2 mars 2012

La France et le Mali divergent sur Aqmi et la rébellion touareg (3/3)

Spécialiste du Mali, Serge Daniel vient de publier «AQMI, l'industrie de l'enlèvement» aux Editions Fayard. Il analyse pour SlateAfrique les raisons de l'expansion d'al-Qaïda au Maghreb Islamique. Troisième partie de l’interview.

Les présidents français Nicolas Sarkozy et malien Amadou Toumani Touré, Bamako, le 25 février 2010. REUTERS/Pool New


SlateAfrique - Avec l’affaire des otages d’Aqmi, les relations entre la France et le Mali se sont-elles tendues?
Serge Daniel – La France dit: «le Mali ne fait rien pour lutter contre Al-Qaïda au Maghreb islamique» et le Mali rétorque: «je ne peux pas lutter seul contre Al-Qaïda car ils ne viennent pas de chez moi». L’erreur du Mali c’est d’avoir accepté de négocier avec Aqmi en 2003 (la libération des otages allemands).
SlateAfriqueDans le nord du Mali, les populations n’éprouvent-elles pas du ressentiment à l’égard d’Aqmi du fait du départ des touristes et des ONG?
Serge Daniel - Non. Les populations locales sont abandonnées. Si vous allez dans le désert, du Mali en direction du Niger, vous croiserez 3 villes. Les populations se sentent plutôt abandonnées. Certains Maliens sont certes au chômage avec la raréfaction des touristes dans la région. Mais ils se disent qu’ils vont retrouver du travail ailleurs. Aqmi est présent là où l’Etat est absent. C’est pourquoi pour combattre Aqmi, il faut un programme de développement de la région. 
SlateAfrique - Est-il possible d’organiser des élections dans ces conditions? Des ONG affirment que 100.000 réfugiés ont quitté le nord du Mali.
Serge Daniel - On peut organiser l’élection présidentielle, dont le premier tour est prévu le 29 avril prochain. Le gouvernement n’a pas l’intention de les repousser. Les urnes viennent d’arriver de New Delhi.
SlateAfrique - De nombreux médias maliens accusent la France de soutenir les Touareg. Pourquoi de telles accusations?
Serge Daniel - Non seulement les médias maliens le disent. Mais même les officiels estiment que la France soutient les rebelles. Ce qui se dit, c’est que la France soutient les rebelles touareg, car les Touareg sont considérés comme une force pouvant s’opposer à Aqmi. Sortie de son contexte, la déclaration d’Alain Juppé disant que les Touareg avaient connu des victoires importantes au Mali, a été mal perçue. Pour Bamako, la France soutient les rebelles sous couvert de la lutte contre al-Qaïda au Maghreb islamique.
Or je pense que les rebelles ne peuvent pas avoir deux fers au feu. Sur ce dossier, la France et le Mali ne regardent pas dans la même direction.
SlateAfrique - Quel rôle jouent les Américains au Mali ?
Serge Daniel - Je pense qu’ils se livrent avant tout à des activités de renseignements. Aujourd’hui, les Américains tentent d’organiser des attaques ciblées contre des chefs d’Al-Qaïda au Maghreb. L’utilisation future de drones n’est pas à exclure. Les Américains voulaient s’installer dans le Sahel. Mais le Mali et le Niger ont tout de suite posé leur véto. Les Américains ont sous-estimé le ressentiment anti-américain dans la région.
C’est une manière d’expliquer le soutien inconditionnel des Maliens à Kadhafi. Kadhafi aujourd’hui au Mali est plus populaire que Sarkozy et pas forcément du seul fait de l’argent distribué: le petit peuple n’a pas beaucoup bénéficié de ses largesses.
Les Maliens ont éprouvé un sentiment d’injustice avec l’intervention de l’Otan et de la France en Libye. Kadhafi est un musulman comme les Maliens. Sa mort les a beaucoup choqués. Ils ont prié dans les mosquées pour que l’âme de Kadhafi repose en paix. Même si les habitants n’étaient pas forcément d’accord avec son idéologie.
SlateAfrique – Le développement de sentiments anti-occidentaux ne rend-t-il pas plus difficile la lutte contre Aqmi?
Serge Daniel - Les populations ne sont pas favorables à Aqmi même si elles n’ont rien contre. Il y a un village dans la campagne de Tombouctou où les combattants d’Aqmi viennent se marier, des membres y passent, des liens se créent, forcément. Essentiellement parce que ces zones sont abandonnées par l’Etat.
SlateAfrique - Selon plusieurs medias occidentaux, notamment le Guardian, al-Qaïda pourrait chercher à établir un nouveau sanctuaire en Libye et dans le Sahel?
Serge Daniel - Bien sûr. Ils ont les cellules dormantes là-bas. A partir du moment où la crise s’est installée dans cette région, avant même la chute de Kadhafi, ils s’étaient procurés des munitions. Dans cette zone là, si tu as de l’argent tu peux tout faire. Ceux qui paient les rançons vont semble-t-il le regretter. L’argent a fructifié, avec l’achat de bétail ou l’investissement dans le carburant.
SlateAfrique - Comment Aqmi parvient-il à communiquer malgré les écoutes satellites?
Serge Daniel - Ils ont par exemple 100 puces téléphoniques, une puce par appel. Donc ils arrivent dans le réseau, et dans le désert la couverture est très étendue. Ils communiquent puis détruisent la puce. Quand ils ne peuvent pas venir, ils envoient des gens. Des porteurs de message.
SlateAfrique - Les combattants d’Aqmi sont-ils considérés par certains Maliens comme des héros?
Serge Daniel - Non. Ils savent que ce sont des voyous, des tueurs. Si des populations les soutiennent, c’est purement stratégique. Mais Aqmi possède une stratégie à long terme. Par exemple, demain, Aqmi peut très bien organiser un attentat à Bamako et inciter les femmes à se voiler.
Les élections locales qui suivent consacreront la victoire des islamistes. Ils sont dans cette phase là: une ville témoin où ils s’implantent puis cela fait tâche d’huile. L’objectif est donc la prise de pouvoir au Mali. Quelque soit le règlement de la crise touareg, un dirigeant d’Aqmi tel que Abdelkrim Taleb veut implanter la charia au Mali.
Propos recueillis par Nadera Bouazza et Pierre Cherruau 
Slateafrique

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