4 mars 2013

A Gao, la dérive des «soldats perdus» du jihad

Ils disent s’être trompés de camp, avoir rejoint les islamistes sans savoir où ils mettaient les pieds. Ils tentent désormais d’échapper à la justice.
Ils sont immobiles, à l’ombre d’une maison de boue durcie, se cachant à la fois du soleil dévastateur, des mouchards, des patrouilles maliennes et des blindés français qui font voler les poules. Ils changent «d’endroit le plus souvent possible», au gré des complicités nouées, et donnent chaque fois rendez-vous «dans une maison différente». Les «patrouilleurs» de Gao, ces membres des comités de quartier, finiront bien par les retrouver, alors qu’au crépuscule, deux radios locales appellent les auditeurs à la délation des anciens des jihadistes, ou présumés tels.


«Chair à canon». Face à ce qu’il leur reste «à vivre», ils se disent que leur témoignage dans la presse «pourra être pris en compte» par la justice. L’un était chauffeur «dans le tourisme», l’autre refuse de décliner sa profession. Ils sont originaires de Gao, parlent un français fluide et sont aujourd’hui à la recherche de faux papiers. Ils ont rejoint la milice d’autodéfense songhaï, Ganda Izo, à la fin des années 2000 : «On pensait que l’intégration dans l’armée malienne, qui a toujours été notre but, impliquait un passage dans une rébellion [comme ça a été le cas pour d’autres milices arabes et touaregs, ndlr]», affirment-ils.
C’est le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) que ces deux soldats perdus ont rejoint dès le 4 avril 2012, «mais pas pour faire le jihad», avancent-ils aujourd’hui. Magnétisme des armes ou extrême bêtise ? «On a tout perdu», avoue le premier, qui se présente comme «commandant» et donne son nom de guerre, Ablaye Maïga, tandis que le second souhaite qu’on dise «capitaine» et répond au pseudonyme de Dounkan Diarra. Ces grades avantageux, ils se les sont attribués du temps de Ganda Izo. Au sein du Mujao, ils n’étaient «que chair à canon».
L’un comme l’autre ont plus de 40 ans. Le recruteur du Mujao, Oumar ould Hamama, un Arabe originaire de Tombouctou, se rend à Douentza, à 380 km au sud de Gao, le 2 avril 2012 et «fait son marché» dans les rangs de Ganda Izo, dont une immense partie restera fidèle à la République. «Nous étions une grosse centaine à vouloir nous enrôler, et Oumar ould Hamama nous a dit que c’était une chance de rejoindre les rangs du Mujao pour reconstruire le Nord abandonné par Bamako, que nous aurions une solde et que nous serions intégrés avec nos grades de miliciens.» Le «commandant» Ablaye Maïga assure aujourd’hui «n’avoir pas trop réfléchi aux conséquences». Il évoque un «choix par défaut» : «On n’avait plus rien à perdre, étant donné que l’armée malienne nous a toujours négligés en tant que miliciens songhaïs.»
Le «capitaine» Dounkan Diarra se souvient avoir perçu 400 000 francs CFA (un peu plus de 600 euros) «comme première solde». «Pour les soldats, c’était 150 000 CFA.» En Land Cruiser Toyota, armés d’AK 47, ils font route en convoi «de 50 véhicules» vers Kidal et Tessalit, qu’ils touchent à la mi-avril l’an dernier «pour parfaire [leur] formation militaire». On leur refusera toujours «de toucher à l’armement lourd», comme pour signifier qu’ils ne sont «que des petites mains du Mujao», se dédouane Maïga. Ils sont immédiatement placés sous l’autorité des hommes d’Abou Walid, un Mauritanien du Mujao basé à Gao. Ces derniers les «obligent à porter le pantalon court et à laisser pousser la barbe».
De mai à juillet 2012, les Songhaïs félons de Ganda Izo rejoignent les troupes d’Abou Zeid à Tombouctou, où, disent-ils, ils sont placés sous son autorité. C’est là que les premières tensions apparaissent : «Les Arabes nous prenaient pour leurs esclaves. Eux dormaient dans des lits, et nous à même le sol, comme leurs chiens. Ils nous balançaient leurs treillis à laver et tout leur linge sale, poursuit Maïga. On s’est dit qu’on ne s’était pas engagés pour être les servantes des Arabes.»
Ablaye Maïga demande à percevoir les mois de solde en retard : «Tu travailles pour aller au paradis, et au paradis, on n’a pas besoin d’argent», s’entend-il répondre. Pour Diarra la situation n’est plus tenable : «[Les Arabes] fumaient de la drogue, buvaient de la bière, ramassaient des filles dans les villages qu’ils violaient en brousse, et se bourraient de pilules rouges qui empêchent de dormir.»
«Un soir de septembre» 2012, lors d’un bivouac sur la route de Gao, une dizaine d’hommes, dont Maïga et Diarra, décident de s’enfuir. Ils bénéficient de la complicité d’un ancien de Ganda Izo, exécuté quelques mois plus tard. Les deux hommes assurent aujourd’hui n’être plus armés : «On s’est rasé, on a brûlé nos gandouras et, depuis, on vit dans la crainte d’être dénoncés.»
Entraves. Le fils d’un fameux chanteur originaire de Gao, décédé en 2006, était en attente de jugement «pour meurtre à l’arme blanche», selon Mahamadou Douaré, l’ancien directeur de la prison de Gao interrogé par Libération, au moment où arrivent, fin mars 2012, les moudjahidin du Mujao. Le fils du chanteur veut qu’on l’appelle «Agaly» et raconte qu’il voit sa cellule «où dormaient 25 détenus» s’ouvrir «le 31 mars à 16 heures» par «des hommes du Mujao qui s’adressent aux prisonniers» : «C’est Dieu qui vous libère, mais vous allez rester avec nous.» Aujourd’hui, le fils du chanteur sait qu’on l’a repéré et qu’il va être dénoncé «tôt au tard», mais pense que comme le tribunal et la prison ont été saccagés «c’est comme [s’il n’avait] jamais rien fait».
Son français est hésitant, mais d’emblée il se défend d’avoir «combattu» et affirme n’avoir jamais perçu de solde. Il aurait rejoint la base de l’aéroport de Tessalit «d’avril à juin 2012» et se serait enfui en novembre, en prétextant qu’il «serait plus utile à Gao pour aider la police islamique à arrêter les malfrats [qu’il connaissait] en prison». Plusieurs témoignages confirment sa présence à Gao courant novembre, comme supplétif du Mujao.
Le colonel Saliou Maïga, 57 ans, qui commande la gendarmerie à Gao, n’est pas du tout surpris par ces profils : «On a arrêté différents types de jihadistes, des intégristes wahhabites soupçonnés d’avoir aidé à des degrés divers les kamikazes. Eux ne parlent jamais. Puis des profils de soldats perdus, comme des anciens de Ganda Izo qui, contre une somme d’argent, se sont engagés dans un combat insensé. Il y a aussi les délinquants et autres « droits communs », qui ont gagné la liberté contre la promesse de rejoindre les rangs du Mujao. Ils sont coincés en ville.» Le colonel explique aussi que «quand les preuves ne sont pas suffisantes, [il] relâche les suspects», et dit préférer «la justice à [sa] famille» : «C’est pourquoi je n’ai pas hésité à déférer à Bamako mon neveu, qui a été le traducteur pendant dix mois du Mujao pour le compte de la police islamique.»
Devant nous, l’officier demande alors à ce qu’on sorte de sa cellule le jeune Oumar, 20 ans, regard fuyant mais prompt comme un automatique. Originaire du Niger et recruté par «des Arabes» à Ouallam, au nord de Niamey, prétend-t-il. Il affirme qu’il ignorait tout du Mujao, mais l’a rejoint contre la promesse de 5 000 francs CFA (environ 8 euros). Jamais versés, selon lui. Il a été arrêté il y a trois jours par la population, dans un village à 3 kilomètres de Gao. Le colonel affirme que la chair à vif et les vilaines marques au cou laissées par les entraves ne sont «pas du fait de l’armée», mais des villageois. «Allez, vous aviez cinq minutes pour lui parler, c’est terminé, on le remet en cellule.» Avant qu’on l’engouffre dans une cellule infecte, le type dit : «Je regrette tellement. J’avais faim…»

http://www.liberation.fr/monde/2013/03/01/a-gao-la-derive-des-soldats-perdus-du-jihad_885762

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