11 mars 2013

«La menace terroriste au Sahel a été sous-estimée»

El Watan-Mathieu Guidère

Islamologue et agrégé d’arabe, Mathieu Guidère est spécialiste en géopolitique et histoire immédiate du Monde arabe et musulman. Il a été tour à tour professeur résidant à l’Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr (2003-2007), puis professeur de veille stratégique multilingue à l’université de Genève (2007-2011), avant d’être nommé professeur d’islamologie à l’université de Toulouse II – Le Mirail (depuis 2011). Il est l’auteur de nombreux ouvrages, entre autres Les Martyrs  d’Al Qaida  (Editions du Temps, 2005) ; Le Manuel de recrutement d’Al Qaida (Editions du Seuil, 2006) ; Al Qaida à la conquête du Maghreb (Editions du Rocher, 2007).

Les Nouveaux terroristes (Editions Autrement, 2010) ; Le Choc des révolutions arabes, (Editions Autrement, 2011, nouvelle édition revue et augmentée, 2012) ; Atlas des pays arabes : des révolutions à la démocratie ? (Editions Autrement, 2012) ; Le Printemps islamiste : démocratie et charia  (Editions Ellipses, 2012) ; Les Cocus de la révolution (Editions Autrement, 2013).
-La mort d’Abou Zeïd et de Belmokhtar – si cela venait à être confirmé – signerait-elle la fin du terrorisme dans la région du Sahel ? Autrement dit, la victoire «facile» des Français et des Tchadiens veut-elle dire que la menace terroriste au Sahel a été surestimée ?
La mort de ces deux chefs «historiques» d’AQMI ne signifie pas du tout la fin du terrorisme dans la bande subsaharienne. Tout d’abord parce que ces deux individus n’étaient/ne sont que le n° 3 et 4 de l’organisation dans cette région, alors que le n°1 (Droukdel, émir d’AQMI) et le n°2 (Abou Al Hammam, émir du Sahara) sont toujours vivants et très actifs. Ensuite parce qu’ils étaient déjà divisés et en désaccord sur la stratégie à mener puisque Belmoktar avait quitté AQMI pour fonder sa propre brigade, Les Signataires par le sang (Al Muwaqqioun bi ad-dimâ’) avant d’aller faire un pied de nez à Abou Zeïd dans sa province d’origine, Illizi (attaque d’In Amenas).
Enfin, les combattants de la mouvance d’AQMI étaient déjà fragmentés entre le Mujao et d’autres groupes et éparpillés dans l’immense espace désertique du Grand Sahara. Face à ce paysage djihadiste éclaté, on ne peut pas vraiment parler d’une victoire des Français et des Tchadiens, et encore moins d’une «victoire facile». Pour le moment, on a des effets d’annonce qui restent à confirmer par des preuves et des combats très violents dans au moins deux régions (Gao et les Ifoghas).Loin d’avoir été surestimée, la menace terroriste au Sahel a été, au contraire, sous-estimée puisque les Français découvrent à chaque fois un arsenal impressionnant et des combattants qui recherchent l’affrontement.
-Le chef d’état-major des armées françaises, l’amiral Guillaud, a récemment parlé d’organisation industrielle du terrorisme, ajoutant «ça dépasse le Mali, ça dépasse le Sahel, c’était expansionniste». Qu’en pensez-vous ?
L’implantation d’AQMI au nord du Mali est ancienne et avérée, elle remonte à plusieurs années et l’organisation a pu constituer un système propre de fabrication des armements et des caches sûres pour ses munitions, comme toute organisation armée clandestine. Certes, les djihadistes fabriquaient quelques roquettes et bombes artisanales de type IED, mais de là à parler d’«organisation industrielle», c’est un peu exagéré. Il n’y a aucune industrie de l’armement dans cette région ni même d’infrastructure pour une telle «industrie». Même les Etats du Sahel n’ont pas une industrie de l’armement ni les capacités de le faire. Ce n’est pas parce qu’il existe un système rodé de fabrication des munitions, comme en Afghanistan et en Somalie d’ailleurs, qu’il existe une véritable «industrie».
D’ailleurs, on savait déjà qu’il y avait au nord du Mali un marché noir florissant des armes. En l’absence de l’Etat malien, des marchands et des trafiquants d’armes ont installé dans cette région montagneuse leur quartier général et leurs stocks de munitions, ce qui explique la quantité impressionnante d’armes trouvées sur place. Mais de toute façon, aucun des pays voisins n’aurait laissé s’étendre ce trafic d’armes sur son territoire parce qu’il aurait menacé la stabilité de l’ensemble des pays.

Le chef d’état-major français est dans son rôle de communication sur ses opérations, et il peut se targuer de succès indéniables grâce à la supériorité militaire écrasante de l’armée de terre et de l’aviation française.
-Les informations d’ordre sécuritaire sont essentiellement de source militaire ou provenant de l’agence mauritanienne Sahara Media, proche des groupes terroristes, les journalistes ne pouvant couvrir les zones de conflit. Les informations en provenance de Sahara Media vous semblent-elles crédibles ? Comme celle consistant à affirmer que Belmokhtar est toujours en vie «pour la simple raison qu’il se trouve dans la région de Gao, dans le nord du Mali, où il mène les combats contre l’ennemi»…
L’agence d’information mauritanienne est crédible, la plupart du temps, parce que les terroristes lui font confiance et l’appellent pour lui communiquer leurs nouvelles. Ils savent qu’elle les diffusera telles quelles alors que les autres médias ont tendance à ne pas les diffuser ou bien à les censurer ou encore à les manipuler carrément.

Au Maghreb, cette agence (Sahara Media) a acquis sa crédibilité auprès des groupes djihadistes au cours des dernières années, un peu comme la chaîne qatarie Al Jazeera avait acquis au Machrek la confiance de Ben Laden et d’Al Qaîda au début des années 2000 lorsqu’elle diffusait les vidéos et les messages de l’organisation sans les censurer.

Bien sûr, dans les deux cas, l’accusation de propagande terroriste a été lancée contre les deux médias. Mais c’est bien pour cette raison, c’est-à-dire la crédibilité acquise par Sahara Media auprès des djihadistes maghrébins, que l’information concernant Belmokhtar semble crédible, d’autant plus qu’elle correspond globalement à la position connue des troupes de sa brigade.
-A votre avis, la France négocierait-elle la libération des otages retenus au Sahel ? Et si c’est le cas, avec qui le ferait-elle dans la mesure où Belmokhtar et Abou Zeïd sont donnés pour morts ?
D’abord, les otages français sont détenus par divers groupes qui ne dépendent pas tous de Belmoktar et d’Abou Zeïd. Ensuite, les ravisseurs qui les détiennent directement se trouvent aujourd’hui isolés et sans consignes claires de leurs chefs. Et c’est justement avec ces «sous-chefs» que la France essaie de négocier la libération des otages.

Enfin, sur le fond, le contexte est favorable aux Français puisqu’il n’y a plus d’intermédiaires fortement idéologisés ou intransigeants dans la négociation, mais seulement de «petites mains» de l’industrie des otages. Il n’en reste pas moins que dans la pratique, c’est très difficile et très compliqué, car les sous-chefs, même s’ils se savent encerclés et dans une situation sans issue, ils ont peur de se faire tuer dès qu’ils auront libéré les otages et ils cherchent, par conséquent, à obtenir des garanties pour leur vie, à défaut d’obtenir des rançons. Concrètement, c’est eux aujourd’hui qui sont les otages. Et c’est ce contexte délicat concernant une porte de sortie qui prend du temps et qui peut avoir une fin heureuse ou malheureuse.

Nadjia Bouaricha,http://www.elwatan.com/international/la-menace-terroriste-au-sahel-a-ete-sous-estimee-07-03-2013-205787_112.phpv

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