5 avr. 2013

« Complainte dans le royaume des silences »: L’imzad est sauvé !

 Leila BOUKLI-eldjazaircom
Il y a aujourd’hui dix ans, soit en 2003, que fut créée et agréée par décision du wali de Tamanrasset l’association « Sauver l’imzad « dont l’objectif essentiel était de participer à la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel du Hoggar en militant pour la préservation de l’imzad, cet instrument mythique, expression identitaire, mais aussi vecteur puissant de l’ahal, rassemblement mondain, littéraire et musical de ce savoir culturel ancestral. Jusqu’à nos jours, de Tamanrasset à Djanet, d’Agadès à Niamey ou de Kidal à Bamako, partout dans l’Ahaggar, le Tassili des Ajjer, l’Aïr ou l’Adrar des ifoghas au milieu de ces majestueux massifs, résonnent encore les exploits, histoires romancées, poèmes d’amour racontés ou chantés au son de la complainte de cet instrument culte qu’est l’imzad, que seules les femmes ont le droit de faire vibrer. D’ailleurs, on ne peut parler de l’ahal et de l’imzad sans faire référence à la belle Dassine, déesse de l’Ahaggar, reine de beauté, poétesse et virtuose de l’instrument, qu’elle sublima sa vie durant.

« Préfère à toutes voix,

Préfère avec moi la voix de l’imzad, 

Le violon qui sait chanter

Et ne soit pas étonné qu’il n’ait qu’une corde.

As-tu plus d’un cœur pour aimer ? »
On ne peut apprécier le chemin parcouru par l’association Sauver l’imzad, qui a développé et réalisé plusieurs projets pour la sauvegarde de cette culture, dont Dar el imzad, la Maison internationale des artistes, sans rendre justice à une autre femme, la présidente de l’association, Farida Sellal, que la providence envoya dans ces fabuleuses étendues pour pousser à la fois un cri d’alarme, face au constat de voir les détentrices de la tradition devenir avec le temps moins nombreuses, mais aussi un cri d’espoir, car des dispositions étaient prises, non sans peine, pour que la jeune génération prenne très vite le relais. Mais pas seulement, pour elle, il fallait inscrire un processus au long cours dans une logique de développement durable et solidaire. Il fallait mobiliser autour de l’association l’ensemble des acteurs du mouvement culturel de Tamanrasset et d’Illizi, ainsi que le monde de l’artisanat et du tourisme, pour développer des activités et organiser des festivals annuels autour de l’imzad. Il s’agissait de valoriser la culture touarègue, de former des jeunes, d’organiser des rencontres interactives, fondées sur des principes de transparence et de prise de décision collégiale avec les partenaires et les membres de l’association, bénévoles dont la majorité est originaire du Hoggar.

C’est ainsi que des écoles de formation à l’imzad furent créées dans le Hoggar. Ainsi, sur les deux cents jeunes filles inscrites, plus de soixante pratiquent l’art de l’imzad (jeu et fabrication de l’instrument) dont trois sont devenues maîtresses et enseignent dans ces écoles.  L’imzad fut ressuscité juste à temps car de l’ancienne génération, il ne restait que trois maîtresses d’imzad.
« J’adore humblement les actes du Très Haut qui a donné à l’imzad mieux qu’une âme »
L’imzad de la tradition à la modernité

Au cœur du désert naquit donc un jour une étincelle, qui au fil des siècles, édifiera patiemment un somptueux édifice fait de musique et de poésie, somptueux mais aussi fragile dans un monde moderne, à la fois plus ouvert et plus agressif.

En 2006, l’association, passant de la tradition à la modernité, crée le groupe

l’Imzad Tradition qui maintient l’authenticité en sauvegardant aussi bien l’instrument, qui en restera l’âme, que le genre musical et vocal qui accompagne l’interprétation de ce premier groupe, farouche gardien du passé. Pour ce faire, des éléments polyvalents parmi les formatrices, les artisanes et les jeunes filles des différentes écoles ont été sélectionnés. Ce groupe a participé à plusieurs festivals nationaux et internationaux.

Pour englober tout le genre culturel touareg, un second groupe l’Imzad Guitare, formé de onze artistes, neuf hommes et deux femmes, intégrera la guitare électrique, comme moyen d’expression, portant ainsi la tradition vers la modernité, dans un style pur de désert blues.

Parmi ces neuf hommes, trois sont leaders chanteurs, quatre sont musiciens (guitare électrique, djembi, calebasse); les trois autres dont deux femmes sont choristes et danseurs. Ils font tous partie de l’école d’imzad de Tamanrasset et ont à leur actif plusieurs participations à des festivals nationaux et internationaux, avec l’enregistrement de trois albums CD audio.

Imzad-Guitare, accompagné par l’ONCI dans le cadre d’un programme, s’est récemment produit au Mougar et à l’occasion du 8 mars au Sheraton. Nous avons rencontré ses membres à l’auberge de la jeunesse et des loisirs de Zéralda durant leur séjour algérois. Là, nous les avons vus répéter. Un thé préparé par leurs soins, tradition oblige, nous a été offert, non pas sur une natte, autour d’une dune, mais assis sagement sur des chaises, face à la mer, cet autre paysage de cette terre de contrastes, qu’est l’Algérie et qui veille au bien-être de son peuple, la tête dans l’eau et les pieds dans le sable.

A travers les différents échanges, nous comprenons que pour les âmes du Grand Sud, l’imzad est le sang qui irriguera les veines, pour que le cœur de l’instrument continue à battre.

Ahmed Nouari, représentant du groupe, confie : « Enfant nous écoutions jouer nos mères et nos grands-mères c’est ainsi que l’on s’est intéressé à la musique et à l’écouter avec passion. L’homme n’a pas le droit de jouer de l’imzad, alors nous avons construit notre propre guitare avec un bidon d’huile et des fils de fer. La guitare est devenue notre moyen d’expression. » En plus de la poésie ancestrale, « nous, fils du vent, écrivons nos paroles et voulons véhiculer en langue targuie le message d’amour et de paix », tel Aneslem El Hassen qui fait vibrer sa guitare en nous chantant :

« J’ai vu des enfants chercher de l’eau dans des puits enterrés sous des banchages de bois mort. Honte à nous tous qui ne préservons pas notre désert où vivent nos vieux sages qui gardent notre pâturage notre plus beau trésor ! » Ou encore : « S’il vous plaît mes frères, apprenez à vous aimer car l’amour c’est l’unique force qui nous unit, la haine nous détruit. » Dans Tarha nana (L’amour d’une mère) : « Rien n’est plus beau que l’amour d’une mère… Ne laissez pas nos jeunes enfants quitter leur pays sans connaître leur langue et leur culture. »

Aneslem El Hassan, auteur-compositeur chanteur, évoque la présidente de l’association : « Elle a construit Dar el imzad à Tamanrasset mais aussi des écoles dans les villages pour que les filles apprennent et sauvegardent l’imzad. C’est important pour nous, parce que sauvegarder l’imzad, c’est sauver nos âmes ! »

Danna Bay vante son Ténéré, lui aussi. Avec sa guitare, il compose ses propres paroles :

« Que mon salut soit sur toi, mon Ténéré… Même sans eau, à toi je reviens, toi mon Ténéré je te connais, tu aimes ceux qui t’aiment »

Moussa Melloul – musicien, chômeur comme la grande majorité des jeunes – faisait partie d’un groupe du Mali. Il fait les arrangements des musiques. « Je ne peux pas vivre sans la guitare, alors j’ai sillonné des pays mais aujourd’hui que nous avons les moyens à Dar el imzad, je préfère rester dans mon pays avec ma femme et mes deux enfants. »

Abdallah Rami, auteur-compositeur guitariste, était aussi avec un groupe au Mali. Dans sa famille, ils sont tous artistes auteurs-compositeurs. Abdallah aussi a sillonné bien des pays, mais il a préféré rejoindre le groupe imzad qui est la source de son inspiration.

Ils ont tous déposé leurs œuvres à l’Office national des droits d’auteurs et des droits voisins (ONDA) qui les a reçus avec enthousiasme. L’association les a poussés en ce sens pour protéger leurs œuvres, comme nous le confie Aneslem : « Bien des chansons que j’ai écrites et composées sont reprises par d’autres groupes… Je ne savais pas que je pouvais protéger mon œuvre. »

Ahmed Ag El Kheir, en cours de formation comme ingénieur du son et représentant du groupe, intervient : « Avant, il n’y avait personne pour nous porter écoute et assistance ; nous étions livrés à nous-mêmes et nous avons connu Dar el imzad. Elle est devenue notre refuge et grâce à l’association qui nous a acheté des guitares et tout le matériel, nous avons eu tout ce qu’on avait espéré.»

« Qu’importe tous les voiles sous lesquels tu te caches, j’en ris comme le soleil rit des nuages ; ta vraie pensée sort toujours de ton cœur dans ton souffle. »

Aujourd’hui, cette présidente d’association peut être fière de voir ses efforts récompensés, elle qui s’est tant battue pour l’association Sauver l’imzad à but non lucratif, comptant sur des donateurs pour atteindre et réaliser ses objectifs à caractère humanitaire, culturel et social. Fière d’avoir contribué à sauver une histoire, une épopée, un savoir à deux doigts d’être engloutis dans l’abime de l’oubli. Fière de la réhabilitation et de la pérennisation de ce patrimoine culturel. Fière d’avoir réussi à sensibiliser les générations futures et de leur permettre de se l’approprier. « Ces ex-chômeurs qui vivaient dans des conditions précaires peuvent bénéficier aujourd’hui de cachets. Ils commencent à construire leur avenir. C’est l’une de mes plus belles récompenses ! » nous confie Farida qui, une fois encore, fait appel aux mécènes, aux amoureux de la sauvegarde du patrimoine pour parfaire l’équipement de Dar el imzad par l’acquisition d’un studio d’enregistrement. «Ce serait le rêve car tous les jeunes de Tamanrasset pourront en bénéficier. »

L’imzad est sauvé, mais le combat pour sa pérennisation continue. Farida veut que l’association, créée en 2003, passe à une vitesse supérieure en devenant Fondation. C’est en voie de concrétisation, nous dit-elle ; tout en enchaînant sur son autre projet.

Elle prépare pour le 1er Novembre un spectacle grandiose sons et lumières, en partenariat avec l’ONCI, sous l’égide des ministères des Moudjahidine et de la Culture, et le patronage du président de la République Abdelaziz Bouteflika.

La trame de cette œuvre musicale s’appuie sur la légende du Mont Iharen, cette citadelle inébranlable que l’on a nommée djebel erroumya. « Pour avoir attiré et aimé une femme venue d’un autre monde. Une femme qui a tenté de t’affronter et de t’humilier. Une femme que tu as fini par tuer en la projetant dans les profondeurs de ton mystère », nous raconte cette histoire écrite par Farida Sellal.

Cet hymne à l’imzad, clairsemé de messages d’amour et de paix, fera appel à une féerie liant la légende et les moyens technologiques en sons et lumières de haute teneur avec un ensemble d’artistes faisant de ce spectacle unique une création nationale de haute valeur artistique et culturelle, dont Farida Sellal a le secret !

Belle manière de commémorer le défi majeur de Novembre 1954, qui avait la forte conviction, portée par tout un peuple, de mobiliser, de programmer le déclenchement du combat avec des moyens de fortune, pour aboutir après plus de sept années de guerre et d’énormes sacrifices à l’indépendance de l’Algérie. Ce défi aura été aussi une formidable épopée pour l’amour et la paix.

L.B
http://www.eldjazaircom.dz/index.php?id_rubrique=311&id_article=3180

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