LE MONDE | Propos recueillis par Christophe Châtelot
ENTRETIEN. Diango Cissoko, 63 ans, a été nommé, le
11 décembre 2012, premier ministre du régime de transition en vigueur à
Bamako, en remplacement de Cheick Modibo Diarra, poussé à la démission
par les militaires qui avaient conduit un coup d’Etat neuf mois plus
tôt. Juriste de formation, plusieurs fois ministre puis médiateur de la
République, M. Cissoko a effectué une visite à Paris, mardi 19 et
mercredi 20 février.
Quel bilan tirez-vous de l’intervention militaire française lancée le 11 janvier ?
Diango Cissoko. C’est une intervention salutaire et
amicale. Si le 22 septembre 1960 est le jour de l’accession du Mali à
l’indépendance, la date de l’intervention française au Mali pour arrêter
l’avancée des terroristes peut être considérée comme le jour de la
renaissance du Mali. Parce que l’existence même du Mali était menacée,
alors que nous n’avions aucun moyen de nous opposer à cette entreprise
de disparition de notre pays.
Vous parlez d’une offensive « terroriste », n’est-ce pas un
peu réducteur ? Le Mali n’est-il pas en proie à un phénomène de
radicalisation religieuse ?
Au début, nous utilisions plusieurs termes : « terroristes »,
« islamistes », « djihadistes ». Nous sommes un pays musulman à 95 %.
Les djihadistes sont des gens prêts à mourir pour le Coran, pour
l’islam. Certains de nos amis, d’autres pays musulmans, nous ont
expliqué que leur opinion publique avait du mal à admettre la lutte
contre des djihadistes, surtout de la part d’un pays musulman. Nous
avons pris en compte leurs remarques.
Il ne s’agit donc que d’une question sémantique ?
Uniquement. Dans tous les pays musulmans, on trouve des illuminés.
L’islam, malheureusement – et je dis ça en tant que musulman –, comprend
souvent beaucoup d’illuminés qui, dans un certain contexte, se laissent
aller. Ils ne réfléchissent pas. Y compris au Mali, on trouve des gens
que je n’appelle pas des extrémistes, mais des gens qui défendent la
religion avec beaucoup de passion. Trop de passion.
Sept Français ont été enlevés au Cameroun, la secte Boko
Haram déstabilise le Nigeria, les Chabab sévissent en Somalie et
d’autres islamistes dans le nord de votre pays… Existe-t-il une
« internationale radicale » allant du Nigeria à la Somalie ?
Non. Je ne pense pas que cela réponde à un schéma conçu. C’est
l’oeuvre d’illuminés. Ils savent très bien que, dans cette région de
l’Afrique, c’est la question du développement qui préoccupe tout le
monde. Plus on s’éloigne des villes, plus on ressent un sentiment de
désolation. Des gens vivent mal. Certains trouvent alors refuge dans la
religion et s’en servent très mal. Ce sont eux qui forment la grande
masse des illuminés, mais je ne pense pas que ce soit un mouvement conçu
qui puisse avoir des effets néfastes capables de nous déstabiliser.
Cela a pourtant été le cas au Mali…
En réalité, il faut remonter à plus loin pour comprendre. Le conflit libyen a servi d’élément moteur.
Mais des rébellions touareg ont existé avant la chute de Mouammar Kadhafi ?
Ceux qui ont conduit la rébellion avaient trouvé refuge en Libye.
Comme par hasard, c’est aussi dans ce pays que se sont négociés tous les
accords qui ont mis fin aux rébellions précédentes.
En ce qui concerne l’état de développement des régions du nord du
Mali, je puis vous dire que, de 1961 à maintenant, on y a investi plus
que dans le reste du pays. Le sentiment de marginalisation des
populations tient au fait que les conditions de réalisation des projets y
sont beaucoup plus difficiles. Il faut y investir quatre à cinq fois
plus qu’au Sud pour obtenir le même résultat. Pour un pays non
producteur de pétrole, qui dépend tant de l’aide internationale, est-il
possible de consacrer autant de moyens pour le Nord ? La question vaut
d’être posée, mais le Nord n’a pas été délaissé. Seulement, la modicité
des ressources du pays nous oblige à faire des choix.
Etes-vous prêts à négocier avec les populations du Nord ?
Nous sommes prêts à discuter de tout et avec tous, pas seulement avec
les communautés du Nord. Mais il est hors de question de parler de
fédéralisme. Nous ne discuterons pas, non plus, de partition du pays,
Nous ne discuterons pas de la remise en question de la laïcité. Et nous
n’accepterons pas la présence de groupes armés dans le pays. Il y a une
seule armée, c’est l’armée malienne, qui s’occupe de tout le territoire
malien défini à l’intérieur des frontières de 1960, pas un centimètre
carré de moins.
Mais nous sommes ouverts à tout dialogue avec toutes les communautés
dès lors qu’il s’agit de parler de développement local et d’approfondir
la décentralisation. Nous sommes aussi prêts à examiner une forme de
redécoupage du territoire : créer plus de régions, de communes, de
cercles, d’arrondissements, dans le Nord.
Avec qui discuter ?
Pas avec ceux qui prônent la scission du territoire ou l’extrémisme religieux. Pas avec ceux qui refusent de déposer les armes.
Voulez-vous lancer ce dialogue avant les élections ?
Je souhaite qu’il commence dès le mois de mars.
Est-il réaliste de promettre des élections avant le 31 juillet ?
Il faut être optimiste. Mais si d’aventure, pour telle ou telle
raison objective, il est impossible d’y parvenir, nous aviserons.
L’armée malienne a été accusée d’exactions contre des populations du Nord, que comptez-vous faire ?
Nous vivons dans un pays qui a failli voler en éclats. Nous essayons
de rétablir la confiance entre les parties en présence. Dans toute
armée, il y a des gens peu recommandables. Mais il ne faut pas en
conclure que l’armée est mauvaise, et il faut aussi faire confiance aux
autorités chargées de sanctionner les manquements à la discipline.