Les Touaregs au Mali et au Niger, analyse géopolitique
Les Touaregs et leur territoire
Les Touaregs
constituent une branche du vaste ensemble berbérophone qui peuple une
large partie de l'Afrique du Nord-Ouest (Maghreb, Sahara et Sahel). Leur
nombre est estimé entre un million et un million et demi. Ils sont
localisés dans le Sahara central et les confins sahéliens adjacents.
Leur zone de peuplement traditionnelle s'étend sur près de 2,5 millions
de km2, l'équivalent de l'Europe occidentale. Ils se répartissent de
façon très inégale entre cinq États. 20'000 au nord du Burkina Faso,
30'000 en Libye, plus de 50'000 en Algérie, plus de 500'000 au Mali et
plus de 700'000 au Niger. Les quatre cinquième des populations
touarègues se concentre dans la partie septentrionales de ces deux
derniers États (le massif de l'Aïr, l'Azaouak et le désert du Ténéré au
Niger, l'Adrar des Ifôhgas et l'erg de l'Azaouâd au Mali). Le reste se
trouve surtout dans le Tassili n'Ajjer et le Hoggar en Algérie. Le
peuple touareg représente moins d'un dixième de la population du Niger
et du Mali (pour chacun de ces États : un peu moins de 11 millions
d'habitants pour environ 1'250'000 km2).
Mis à part la présence
d'oasis, la majeure partie du Sahara central est formée de vastes
étendues plus ou moins plates (les regs) qui sont couvertes de cailloux.
Les ensembles dunaires (les ergs), en dépit de leur célébrité
photogénique, occupent des surfaces moindres.
Le Sahara n'a
jamais été une barrière entre le nord et le sud de l'Afrique, mais a
toujours été parcouru par des caravanes chamelières. Cependant, les
troupeaux, même de dromadaires, ne peuvent pas vivre en permanence dans
le vrai désert, en raison de la rareté de la végétation. Aujourd'hui,
les caravanes chamelières sont de plus en plus remplacées par le
transport en camions.
Le Sahara central a peu de centres
urbains : Ghât en Libye, Tamanrasset en Algérie, Kidal au Mali et Agadez
au Niger. Cette dernière est la cité la plus importante de toutes avec
ses 35'000 habitants suivie de près par sa voisine Arlit, la cité de
l'uranium (30'000 habitants). Les pasteurs nomades et leurs troupeaux se
trouvent surtout dans les steppes à la périphérie du désert, au nord et
au sud du Sahara. Aujourd'hui, ce sont essentiellement des sédentaires
qui forment la population du désert.
La société touarègue
L'espace
touareg est le théâtre depuis le début de la décennie 90 d'une lutte
armée opposant une minorité d'activistes aux autorités de Niamey (Niger)
et de Bamako (Mali). Ces dernières, soucieuses de préserver leur
intégrité territoriale, souhaitent assimiler leurs concitoyens d'origine
touarègue au sein de leur communauté nationale, quitte pour cela à les
acculturer et à modifier profondément leurs modes de vie.
Répartis sur d'immenses territoires, les Touaregs
n'en ont pas moins conservé un fort sentiment d'appartenance
communautaire. Celui-ci repose en tout premier lieu sur la langue, le
tamasheq, écrite dans un alphabet particulier, le tifinagh. L'autre
facteur d'unité est incarné par l'islam. Il est pratiqué par les Touaregs
de manière très tempérée et accorde une large place aux femmes au sein
d'une société qui, par ailleurs, pratique la monogamie et la filiation
matrilinéaire. Mais l'unité découlant de la langue et de la religion ne
doit pas occulter l'existence d'une multitude de segmentations tribale,
sociale et ethnique, donnant à la société touarègue un aspect fortement
hiérarchisé et composite.
Les Touaregs
sont organisés en huit entités politiques que l'administration
coloniale française baptisa "confédérations", terme toujours utilisé.
Constituée d'un ensemble de tribus, chaque confédération est identifiée
par le nom du territoire dont elle a le contrôle et dans lequel les
populations nomadisent. Ces confédérations sont loin de présenter un
front uni. Alors que certains chercheurs privilégient la thèse de
l'unité du monde touareg, les autres constatent, au contraire, son
morcellement en ensembles concurrents. Les matériaux historiques
disponibles montrent en effet que la rivalité est une donnée
fondamentale des relations entre confédérations.
Au sein des
tribus (avant les récents bouleversements induits par la colonisation,
la modernité et la sédentarisation forcée), chaque individu occupe un
rang social précis : nobles, lettrés, hommes libres et vassaux,
artisans, esclaves libérées, esclaves. A cela s'ajoute une dimension
ethnique, en raison de l'existence de Touaregs à la peau « blanche », aux statuts sociaux élevés, et de Touaregs à la peau noire, descendants d'esclaves.
A
ces différenciations traditionnelles s'est superposée depuis le début
des années 60 l'appartenance nationale, laquelle conditionne de manière
très variable le vécu quotidien des populations réparties entre les cinq
États issus de la décolonisation. Ce fait national, longtemps considéré
comme plaqué artificiellement sur des populations nomades habituées à
se jouer des frontières, a empêché que se constitue un mouvement touareg
unifié.
Cependant, l'enracinement tribal et régional constitue
l'élément prépondérant de chaque mouvement. De ce fait, la scène
insurrectionnelle touarègue n'a cessé de s'émietter à la suite de
querelles fratricides : quatre mouvements défendent la cause touarègue
au Mali (regroupés à l'origine en 1992 au sein des MFUA : Mouvements et
Fronts unifiés de l'Azaouâd), tandis qu'au Niger, la rébellion a connu
des scissions à répétition, passant d'un mouvement unique en 1991
(FLAA : Front de libération de l'Aïr et de l'Azaouak) à huit mouvements
distincts en 1996.
Le choc de la colonisation française
L'image des Touaregs est aujourd'hui encore très largement tributaire de l'héritage colonial français (à l'exception des Touaregs
de Libye, anciennement sous domination italienne). Les « homme
libres », comme ils s'appellent eux-mêmes, sont perçus de façon
contradictoire : fiers, rebelles, chevaleresques et, en même temps,
pillards et esclavagistes. Ils sont réputés pour être réfractaires à
toute tentative extérieure de mise en ordre, politique et économique.
Célèbres pour leurs rezzous (pluriel de razzia) contre les populations
sédentaires qu'ils pillaient, voire soumettaient à l'esclavage, avant de
les assimiler culturellement, les Touaregs
ne répugnaient guère à s'entredéchirer, la lutte pour assurer la survie
de la communauté dans un milieu aux ressources rares primant sur la
solidarité entre tribus. Ce mode de vie des « seigneurs du désert », aux
aspects parfois choquants, a été complètement remis en cause à la suite
d'une série de chocs qui se sont succédés depuis la fin du XIXe siècle.
La
conquête française et, dans une moindre mesure, italienne de l'espace
saharien, a entraîné une première altération du fonctionnement de la
société touarègue. Les tentatives de résistance à l'ordre colonial
(1916-17) ont été écrasées dans le sang, décimant durablement
l'aristocratie guerrière, affaiblissant le poids des chefferies
traditionnelles et rompant le fragile équilibre des mécanismes sociaux
internes. Toutefois, les colonisateurs français ne cherchèrent pas à
remettre en cause la suprématie traditionnelle des Touaregs vis-à-vis des ethnies voisines, et éprouvèrent même une réelle sympathie en faveur des « hommes bleus ».
Une
fois les différentes confédérations défaites et soumises, les Français
se contentèrent d'exercer un contrôle relativement lâche, en s'efforçant
de perturber le moins possible l'organisation sociale touarègue (la
volonté de contrôle des officiers méharistes français se doublait d'une
fascination pour un peuple et un mode de vie en totale harmonie avec un
environnement rude et exigeant, fascination qui n'est pas étrangère, du
reste, à l'attrait touristique qu'offre aujourd'hui le Sahara). Mais la
colonisation va inexorablement faire son oeuvre : affaiblissement des
grandes confédérations, relâchement des réseaux communautaires,
fragilisation de l'économie pastorale par le jeu des contraintes
administratives, déclin régulier du trafic caravanier.
Le choc des indépendances
La décolonisation intervenue au début des années 60 se traduit, pour les Touaregs
du Niger et du Mali, par l'inversion des rapports dominants/dominés
puisque, dans ces deux pays, le contrôle des appareils d'État revient à
des ethnies négro-africaines sédentaires. Les anciens « razziés » vont
pouvoir assouvir une vengeance historique à l'encontre de leurs
« razzieurs ». Autrement dit, la mise à l'écart des Touaregs constitue une sorte une revanche des anciens esclaves noirs contre leurs maîtres.
Cet
antagonisme historique (conflits entre populations nomades et
sédentaires) ajouté à la logique centralisatrice des nouveaux États
souverains va avoir pour effet d'écarteler et de marginaliser les Touaregs.
Cette nouvelle situation va les forcer à s'inscrire dans des cadres
frontaliers "nationaux", totalement étrangers à leur vision du monde et
de l'espace. Dans cette perspective, les Touaregs,
nomades, à l'écart des activités économiques et peu respectueux des
contraintes administratives, sont perçus négativement, car difficilement
contrôlables.
S'estimant marginalisés à la fois politiquement et économiquement, les Touaregs
refusent de devenir des citoyens de seconde zone et esquissent un début
de lutte armée contre leurs nouveaux maîtres dès les années 1961-63 au
Niger et au Mali, tentatives rapidement résorbées.
Comme les
élites qui héritent des commandes de l'État postcolonial sont issues des
populations sédentaires, leur projet de société exclut d'emblée les
préoccupations des nomades. Ainsi, les décisions politiques et
économiques sont prise dans le sud, loin des zones de peuplement
touarègues. Par conséquent, les Touaregs sont, à quelques exceptions près, exclus du partage du pouvoir.
En
raison du fractionnement de l'espace saharien, l'économie
traditionnelle touarègue va survivre très difficilement à l'instauration
de frontières de plus en plus étanches et à la mise en place
d'administrations nationales (douane, fisc, police), largement dominées
par les ethnies sudistes négro-africaines, qui ne vont avoir de cesse de
contrarier les déplacements transfrontaliers. Les zones touarègues vont
alors être prises entre deux maux : soit elles seront marginalisées (le
pouvoir central n'engagera aucun projet de développement en faveur des
populations qui sont laissées à l'abandon et à la misère : attitude
adoptée par les autorités nigériennes jusqu'au grave incident de Tchin
Tabaraden en 1990), soit elles seront soumises à une politique
volontariste visant à « nationaliser » les populations nomades en les
sédentarisant par tous les moyens, y compris les plus coercitifs (cette
attitude de discrimination ethnique se retrouvera plus volontiers au
Mali et surtout en Libye et en Algérie). Dans les deux cas, actions ou
inactions gouvernementales vont susciter frustrations et rancoeurs.
A
cela s'ajoute l'attitude de l'ancienne métropole : lorsque les Français
s'installèrent à Arlit en 1971 (à 275 km au nord-ouest de l'oasis
d'Agadès au Niger) pour exploiter un des plus grands gisements d'uranium
de la planète, ils n'hésitent pas à faire « monter » des « Sudistes »
pour extraire le minerai. Les Touaregs
en ressentiront une grande amertume d'autant que les retombées
financières seront, pour eux, dérisoires. Possible source de revenus
pour un peuple paupérisé et déstabilisé par les sécheresses, le partage
des royalties sera au coeur des revendications des mouvements rebelles,
mais la chute récente des cours mondiaux de l'uranium en a fortement
dévalué l'intérêt.
Le choc de la modernité
L'irruption
de la modernité dans l'espace saharien va déstabiliser les modes de vie
traditionnels : les camions, accessoire indispensable du commerce
transsaharien moderne, vont entraîner le déclin irrémédiable des grandes
caravanes chamelières et de l'élevage du dromadaire, les deux piliers
de l'économie touarègue de jadis.
Le choc des sécheresses
Sur
la crise économique et un contexte politique défavorable vont se
greffer les effets de la sécheresse dans les décennies 70 et 80. La
mémoire collective touarègue conserve le souvenir de la terrible
sécheresse qui affecta l'Aïr en 1913, provoquant famine et désolation.
Les effets dramatiques de celle de 1969-1974 amorcent une prise de
conscience en Occident. La dernière en date se situe dans la période
1981-1985. Comparable par sa rigueur à celle de 1913, elle consomme la
déchirure du tissu social touareg, provoquant notamment un exode massif
des jeunes.
Une grande partie du cheptel est anéanti, ce qui
entraîne un effondrement irrémédiable de l'économie traditionnelle. Pour
de nombreux éleveurs ruinés, la seule alternative sera de migrer. Si
certains iront s'entasser dans les bidonvilles des grandes métropoles
comme Niamey, Bamako, Dakar ou Lagos, la plupart préféreront s'exiler
vers l'Algérie et surtout la Libye, attirés par sa prospérité pétrolière
et les discours pansahariens du colonel Kadhafi. Ces exilés vont former
les gros bataillons de la Légion islamique. Cette formation créée par
le colonel Kadhafi à la fin des années 70 a servi de matrice à de
nombreux mouvements insurrectionnels dans toute la bande sahélienne.
Constituée pour servir d'auxiliaire à l'armée libyenne et de fer de
lance à la politique expansionniste du colonel Kadhafi, cette Légion a
été principalement engagée au Tchad. Près de 5'000 Touaregs ont combattu à un moment ou à un autre en son sein. D'autres Touaregs
vont rejoindre à la même période les rangs du Front Polisario qui
défend la cause des Sahraouis du Sahara occidental face à l'État du
Maroc.
Le choc du retour
A la fin des années 80, la
fin de la guerre froide et le retournement de la conjoncture pétrolière
(forte baisse des cours) vont conduire à un ralentissement des conflits
tchadien et saharien et à une dégradation de la situation économiques et
sociale en Algérie et en Libye. Dans ce nouveau contexte, Alger et
Tripoli décident de s'alléger de la présence des Touaregs, devenue désormais un fardeau. Nombre de Touaregs
sont donc incités, ou forcés, à regagner leurs zones d'origine au Niger
et au Mali. 20'000 personnes rentrent ainsi avec armes et bagages et
vont rompre le fragile équilibre de ces régions pauvres et
marginalisées. Ce retour entraîne une vague d'agitation et d'insécurité.
Un mouvement de contestation politique à l'encontre des pouvoirs
centraux lointains se développe. Le basculement dans la violence armée
s'opère de manière quasi simultanée au printemps 1990 au Mali et au
Niger : au massacre de Tchin Tabaraden commis le 7 mai 1990 par l'armée
nigérienne contre des Touaregs répond l'attaque, le 29 juin suivant, de la localité de Ménaka par des Touaregs maliens. Le cercle vicieux insurrection-répression est lancé. Les Fronts armés touaregs vont désormais se multiplier.
La représentativité des mouvements
Outre
l'absence d'une idéologie fédératrice, susceptible de transcender leur
lutte, la dizaine de factions armées touarègues est handicapée par
l'absence de chefs charismatiques indiscutables. Leurs chefs, loin
d'incarner l'espoir d'un peuple, apparaissent plutôt comme de petits
entrepreneurs militaires, bien enracinés localement mais incapables de
fédérer au-delà de leur fief ou de leur tribu. Ce sont pour la plupart
d'anciens déserteurs, des fonctionnaires en rupture de ban ou des
étudiants ayant abandonné leurs études en cours de route. Leurs troupes
sont composées de compagnons d'armes ayant eu le même parcours qu'eux,
mais aussi de jeunes désoeuvrés et d'adultes ayant perdu leurs troupeaux
à la suite des sécheresses à répétition de la décennie 80.
Ces
chefs ont fréquemment acquis leur expérience militaire dans les rangs du
Front Polisario ou au sein de la Légion islamique. 1'200 vétérans de
cette légion auraient poursuivi leurs activités martiales au sein des
différents Fronts touaregs.
Pragmatiques
et opportunistes, ces chefs de guerre sont susceptibles de revirement
spectaculaire, à condition que le camp d'en face soit capable d'y mettre
le prix. Leur légitimité au sein de la communauté touarègue est ainsi
sujette à caution. D'autant que seule une fraction minoritaire des Touaregs
est favorable à la lutte armée. Nombreux sont ceux qui estiment pouvoir
obtenir satisfaction de leurs revendications autrement qu'en empruntant
la voie des armes. Ils pensent arriver à leur fin en combinant
résistance passive à l'encontre des pouvoirs centraux et participation
au débat démocratique quand cela est possible (par exemple, deux partis
politiques à recrutement fortement touareg sont intégrés au jeu
politique nigérien ; de plus, l'État nigérien a toujours compté en son
sein au moins un ministre touareg).
Une guérilla des sables
Dans
ce type de conflit, s'étendant sur de vastes étendues désertiques, la
mobilité constitue le facteur primordial : il faut frapper fort et se
retirer rapidement, en esquivant le contact avec l'ennemi et en refusant
toute guerre de positions. Équipés de véhicules 4 x 4 et d'armes
légères en quantité, les Fronts touaregs
ont multiplié depuis 1990 les opérations de harcèlement contre les
symboles et les représentants des pouvoirs centraux maliens et
nigériens. De telles opérations ont été la plupart du temps de faible
envergure. Il est rare qu'elles aient mobilisé plus d'une centaine de
combattants simultanément. Le quotidien de ces attaques est fait de
raids surprises contre des localités, brièvement investies, contre des
bâtiments officiels ou contre des infrastructures « stratégiques » (par
exemple, les sites miniers d'Arlit) et d'embuscades contre des convois,
autant civils que militaires. C'est ce qui explique que, bien souvent,
la frontière est des plus ténues entre actions militaires et actes de
banditisme.
En réaction, les armées nationales, mal équipées et
mal préparées à intervenir dans des zones désertiques et montagneuses,
n'ont pu s'empêcher de commettre des exactions contre les populations
civiles suspectées de soutenir les rebelles (opérations de ratissage,
actions de représailles contre les campements nomades, multiples
arrestations).
Le bilan humain
En raison de la
non-utilisation d'armes lourdes et de la pauvreté des moyens militaires
déployés par chaque camp, le nombre des victimes provoquées par ces
insurrections est relativement faible, du moins à l'aune d'autres
conflits intraétatiques africains contemporains (Rwanda, Burundi, Congo,
Angola, Soudan, etc.). Officiellement, le bilan de l'insurrection
s'établirait aux alentours de 150 morts au Niger, entre 1990 et 1995.
Mais ce chiffre est totalement sous-estimé. En additionnant le nombre
des victimes directes des combats, des représailles de l'armée et des
affrontements ethniques, on approche du seuil du millier de mort. Au
Mali, le nombre des victimes est plus important, l'année 1994 y ayant
été particulièrement sanglante. Le nombre d'environ 5'000 victimes
pourrait être considéré ici comme réaliste.
La recherche d'une solution politique
Au
Mali, après avoir entamé à partir de novembre 1994 un dialogue
prometteur avec les autorités maliennes qui aboutira a une série
d'accords de paix en 1995, les différents Fronts touaregs cesseront aussi leurs luttes fratricides.
Un ambitieux plan de paix va être élaboré. Il comprend trois grands chapitres :
1.
La réinsertion de 1'500 anciens combattants au sein des corps en
uniforme de la fonction publique (armée, gendarmerie, garde nationale,
police, douane, service des eaux et forêts), tandis que plus de 9'000
autres pourront bénéficier du Programme d'appui à la réinsertion des
ex-combattants (mis en oeuvre par le programme des Nations unies pour le
développement) et destiné à leur permettre de se reconvertir dans des
projets socio-économiques de leur choix (dans le secteur de
l'agriculture, de l'élevage, de l'artisanat, du commerce) dans le but de
redynamiser l'économie des régions septentrionales.
2. Le
retour des réfugiés ayant fui à l'étranger au gré des combats (160 à
170'000 personnes) grâce à l'action du HCR (Haut Commissariat aux
Réfugiés).
3. La restauration de la sécurité avec le soutien de
la France : le retrait de l'armée du nord-Mali a été compensé par le
déploiement d'unité « mixtes » (comprenant d'anciens rebelles).
Le
déroulement satisfaisant du plan de paix, ces dernières années, a été
complété par une meilleure participation de la minorité touarègue à la
vie politique malienne (cette communauté disposait à partir de 1998 d'un
ministre en charge de l'Environnement et de neuf députés).
Le
déroulement de la crise touarègue au Niger présente de grandes
similitudes avec celle du Mali. Toutefois, même si elle a été beaucoup
moins meurtrière, elle a plus de mal à se résoudre en raison d'un
mélange ethniques plus complexe, rendant difficile la délimitation d'un
« pays touareg » ethniquement homogène. De plus, la proximité de la
Libye et les aléas de sa politique n'a pas arrangé les choses.
Le
9 octobre 1994, l'accord de Ouagadougou affirme le caractère
indivisible du Niger, mettant un terme aux aspirations fédéralistes,
voire indépendantistes, des Touaregs,
en contrepartie de quoi le gouvernement s'est engagé à faire adopter
une loi de décentralisation (répartition des ressources, en particulier
les royalties tirées des mines d'uranium d'Arlit, modalités de
démobilisation des combattants et de leur intégration au sein de
l'administration, amnistie, etc.). Le plan est en cours. Il prévoit la
démobilisation de 8'000 combattants touaregs,
dont près de 6'000 doivent être intégrés dans le secteur public (armée,
gendarmerie, police, douane, services des eaux et forêts ou stage de
formation professionnelle) et la réinsertion de 20'000 réfugiés. Sur
fond de sédentarisation et d'acculturation plus ou moins forcée, la mise
en application de ce plan progresse lentement.
La France
En
tant qu'ancienne puissance coloniale saharienne, la France est liée par
des accords de défense à Niamey et à Bamako. De plus, en sa qualité de
principal partenaire économique et premier bailleur de fonds du Mali et
du Niger, elle se doit de contribuer à leur stabilité politique. Le
Niger recèle une importance supplémentaire aux yeux de Paris, puisqu'il
possède d'importants gisements d'uranium (mines d'Arlit), d'où est
extraite une bonne partie du minerai brûlé dans les centrales nucléaires
françaises. Par conséquent, la France a multiplié les efforts de
conciliation, dépêchant régulièrement diplomates ou émissaires des
services secrets pour servir de médiateurs entre les Fronts rebelles et
les autorités nationales. Avec un relatif succès puisque les crises
nigérienne et malienne se sont apaisées depuis 1995.
L'Algérie
Elle
abrite une importante diaspora, forte d'environ 60'000 personnes,
originaires du Niger et surtout du Mali, ayant fui les fortes
sécheresses qu'a connues le Sahel au cours des décennies 70-80. Cette
réalité humaine a incité dès le début des crises touarègues les
autorités d'Alger à suivre avec la plus grande attention l'évolution de
la situation chez ses deux voisins méridionaux, son but étant d'étendre
son influence diplomatique en direction de Niamey et de Bamako, et
d'éviter un risque de contagion autonomiste touchant sa propre
communauté touarègue. La diplomatie algérienne s'est de ce fait montrée
très active lors de la conclusion des accords de paix autant au Mali
qu'au Niger.
La Libye
La Libye a accueilli à bras
ouverts au cours des décennies 70-80 une importante diaspora touarègue
nigérienne et malienne, fuyant la sécheresse et la paupérisation. Le
colonel Kadhafi aimait alors à se présenter comme le protecteur naturel
des Touaregs et soutenait
activement la création d'un grand État saharien. Il a contribué à la
formation militaire de la plupart des cadres des Fronts touaregs
actuels en les enrôlant au sein de sa Légion islamique. Mais après les
avoir utilisés pour soutenir ses ambitions territoriales au Tchad,
Kadhafi s'est assez brutalement débarrassé d'eux, au tournant des années
80-90, en les incitant plus que fortement à regagner leur pays
d'origine. Ce brusque revirement s'explique par les difficultés
politiques et économiques auxquelles a été confrontée la Libye à la
suite de sa mise au ban des Nations par les pays occidentaux du fait de
son implication dans le terrorisme international. En lâchant la Légion,
Kadhafi donnait ainsi des gages de modération à la communauté
internationale. Une autre explication à ce lâchage tient au fait que son
pouvoir en Libye est contesté par des rivalités tribales, et que
l'exemple des insurrections touarègues pouvait donner des idées à
certaines tribus. Ceci expliquerait pourquoi la Libye s'était finalement
ouvertement engagée aux côtés de l'État du Niger en lui fournissant des
équipements militaires pour combattre les rébellions touarègues.
Le texte ci-dessus a été élaboré à partir des sources suivantes :
- Balencie, Jean-Marc. De La Grange, Arnaud. 1999 : « Mondes rebelles », Paris : éd. Michalon.
- Lacoste, Yves. 1993 : « Dictionnaire de géopolitique », Paris : éd. Flammarion.
- articles dans l'Encyclopaedia Universalis 2000
- Veyrac, Jean Louis : « La lettre ethniste », n°4, 10 mars 2000 :
http://www.ethnisme.ben-vautier.com/veyrac/veyrac4.html
http://www.ethnisme.ben-vautier.com/veyrac/veyrac4.html