Pourtant quand on s’y trouve, le Sahel ressemble bien a une sorte de
littoral avec de part et d’autre les sables infinis du Sahara et les
herbes de la savane du sud. Des parties du Mali, de l’Algérie, du Niger, du Tchad, et du Soudan qui bordent tous la Libye se trouvent dans cette sorte de no man’s land.
Aujourd’hui le Sahel fournit une protection, des installations pour
amasser des armes et les stocker, des sites appropriés pour des camps
d’entraînement et des planques ainsi qu’une base tout à fait
extraordinaire à ceux qui s’affairent à l’organisation d’un Front de
Libération Libyen (FLL) qui prend de l’ampleur. La région du Sahel n’est
qu’un des nombreux endroits où la contre-révolution libyenne, menée par
des membres de la tribu Wafalla et de celle de Kadhafi, commence à
organiser la prochaine phase de résistance.
Quand je suis entré dans la salle de conférence d’un bureau du Niger,
il y a peu, pour rencontrer des réfugiés qui venaient d’arriver de
Libye et qui, selon mes informations, se préparaient à organiser une
« lutte populaire au moyen de la tactique maoïste des 1000 entailles
contre le groupe qui prétend représenter la Libye à l’heure actuelle »,
deux choses m’ont frappées.
La première, c’est le nombre de personnes présentes et le fait
qu’elles n’étaient ni débraillées, ni fanatiques, ni désespérées, mais
au contraire reposées, calmes, organisées et méthodiques.
La personne qui m’accompagnait, un membre de la tribu de Kadhafi qui
habitait à Syrte, m’a dit : « Plus de 800 organisateurs sont arrivés au Niger
de Libye et on en attend davantage chaque jour ». Un officier en
uniforme a ajouté : « La situation n’est pas du tout telle que vos
médias occidentaux la présentent, les loyalistes de Kadhafi ne sont pas
en train d’essayer frénétiquement d’échapper aux escadrons de la mort de
l’OTAN qui pullulent maintenant dans le nord de notre patrie en offrant
des tas d’argent et d’or pour leur protection. Dans cette région, nos
frères contrôlent des routes qui se rient des frontières depuis des
milliers d’années et ils savent comment faire pour que même les drones
et les satellites de l’OTAN ne puissent pas les repérer.
L’autre chose à laquelle j’ai pensé, pendant cette première réunion,
c’est la différence que trois décennies peuvent faire. Assis là, je me
suis souvenu de ma visite à l’ancien leader des jeunes du Fatah, Salah
Tamri, qui avait fait du bon travail au camp israélien de prisonniers de
Ansar, au sud du Liban lors de l’agression de 1982, en tant que
négociateur élu par ses co-détenus. C’était peu après que la direction
de l’OLP, ait commis l’erreur, selon moi, d’accepter d’évacuer le Liban
en août 1982 plutôt que de mettre en place un défense du type de celle
de Stalingrad (certes sans l’espoir de voir arriver l’Armée Rouge) car
les leaders de l’OLP avaient apparemment cru l’administration Reagan qui
lui avait promis « la création garantie par les Etats-Unis d’un état
palestinien dans l’année. Vous pouvez déposer ça sur votre compte en
banque » avait dit le délégué étasunien Philip Habib.
Le leader de l’OLP, Arafat, gardait la promesse écrite d’Habib dans
la poche de sa chemise pour la montrer à ceux qui doutaient, comme son
adjoint, Khalil al Wazir (Abu Jihad) et les femmes de Shatila,
notamment, qui étaient très contrariées de voir leurs protecteurs les
abandonner. A Tabessa, quelque part dans le vaste désert algérien, les
fiers combattants de l’OLP, réduits à l’inaction et enfermés dans leurs
camps, semblaient passer leurs temps, à l’exception des périodes
d’entraînement, à boire du café, à fumer et à se faire du souci pour les
leurs restés au Liban, quand tout à coup la nouvelle du massacre de
Sabra et Shatila commandité par les Israéliens est tombée comme une
bombe sur le camp de Tabessa et beaucoup de combattants, refusant
d’obéir à Tamari, sont partis pour Shatila.
Il n’en est pas de même pour les réfugiés libyens au Niger.
Ils disposent des derniers modèles de téléphone par satellite,
d’ordinateurs portables et de tout ce qui se fait de mieux parmi toutes
les innovations technologiques qu’on a vues dans les hôtels où étaient
installés les journalistes à Tripoli pendant les neuf derniers mois.
Quand j’ai demandé : « Comment avez-vous fait pour vous procurer si
rapidement tout ce matériel électronique de pointe ? » une jeune femme
en hijab que j’avais vue pour la dernière fois en août dernier à l’hôtel
Rixos de Tripoli alors qu’elle donnait des communiqués de presse au
porte-parole de la Libye, le Docteur Musa Ibrahim, m’a répondu par un
sourire énigmatique et un clin d’oeil.
Ce jour-là, Musa, qui se tenait à côté du ministre délégué aux
affaires étrangères, Khalid Kaim, l’ami de nombreux Américains et
militants des droits de l’homme, disait aux médias que Tripoli ne
tomberait pas aux mains des rebelles de l’OTAN car « nous avons 6 500
soldats bien entraînés qui les attendent ». Mais en fait, le commandant
des 6 500 soldats en question était passé à l’OTAN et il a donné à ses
hommes l’ordre de ne pas s’opposer à l’entrée des troupes rebelles.
Tripoli est tombée le lendemain ; le jour suivant Khalid a été arrêté et
il croupit actuellement dans une des nombreuses prisons rebelles ; ses
requêtes pour voir sa famille sont ignorées par ses geôliers et une
équipe internationale d’hommes de lois mise en place aux Etats-Unis
négocie pour pouvoir le rencontrer.
Le FLL a des projets politiques et militaires. Un des projets
politiques est de se présenter aux élections qui doivent avoir lieu
l’été prochain. Un des membres que j’ai rencontré a pour mission
d’étudier les élections en Tunisie, en Egypte et ailleurs dans la région
pour s’en inspirer pour la Libye.
Un autre comité du FLL élabore un message nationaliste de campagne et
un argumentaire détaillé pour la campagne de leurs candidats et met au
point des listes de recommandations de candidats spécifiques. Rien n’est
encore tout à fait arrêté mais un des professeurs libyen m’a dit que
« les droits des femmes auront une place de choix dans le programme.
Les femmes ont été horrifiées quand, dans le but d’obtenir le soutien
des supporters d’Al Qaeda qui menacent de prendre le contrôle de la
Libye, le président du CNT, Jalil, a dit que la polygamie serait
rétablie en Libye et que les femmes ne pourraient plus garder la maison
en cas de divorce. La Libye a été très progressiste pour les droits des
femmes comme pour les droits palestiniens. » Aisha Kadhafi, la seule
fille de Mouammar, qui vit maintenant en Algérie avec des membres de sa
famille dont son bébé de deux mois, a joué un grand rôle dans la loi de
2010 par laquelle les Congrès du Peuple ont accordé plus de droits aux
femmes. On lui a demandé de rédiger un tract sur la nécessité de
maintenir les droits des femmes qui sera distribué si les élections de
2012 ont bien lieu.
Tandis que leur pays se retrouve largement en ruines après les
bombardements de l’OTAN, le FLL pro-Kadhafi a des atouts majeurs dans
son jeu : Le premier est constitué par les tribus qui commençaient à se
soulever contre l’OTAN l’été dernier quand Tripoli est tombé avant que
leurs efforts ( dont une nouvelle constitution) ne se concrétisent. Le
FLL croit que les tribus peuvent jouer un rôle crucial dans l’obtention
des votes.
le FLL a peut-être dans son carquois une flèche encore plus acérée
pour lancer sa contre révolution, ce sont les 35 années d’expérience
politique des centaines de Comités du Peuple Libyen qui existent dans
tous les villages de Libye parallèlement aux Secrétariats des
Conférences du Peuple. Bien qu’ils ne fonctionnent plus actuellement
(ils ont été mis hors la loi par l’OTAN pour dire la vérité) ils se
reforment rapidement. Bien qu’ils aient parfois été tournés en dérision
par des « experts » autoproclamés sur la Libye, les Congrès du Peuple,
basés sur le livre Vert de Kadhafi, sont en fait très démocratiques et
une observation attentive de leur travaux montrent qu’ils se sont de
moins en moins contentés de refléter les idées qui parvenaient du camp
militaire de Bab al Azziza (où se trouvait la résidence de Kadhafi,
ndt).
Un secrétaire général de l’un des Congrès qui travaille maintenant au Niger
a raconté ce qui avait été dit à une délégation occidentale en juin
dernier au cours d’une exposé de trois heures au quartier général du
secrétariat national du CP à Tripoli. On avait montré aux participants
les rapports sur la participation et les votes ainsi que toutes les
motions de vote des dix dernières années et les comptes-rendus des
débats du dernier Congrès du Peuple.
Il y a de grandes similitudes entre les Congrès du Peuple et les
assemblées générales des habitants des villes de la Nouvelle
Angleterre ; dans les deux instances, la population locale prend les
décisions qui affectent la communauté et discute ouvertement des
problèmes soulevés et des solutions proposées.
J’ai moi-même particulièrement apprécié mon mandat de 4 ans comme
représentant de la section 2A de l’assemblée générale des habitants de
Brookline au Massachusetts, pendant que j’étais étudiant à Boston, assis
parfois à côté de mes voisins Kitty et Michael Dukakis. Nous avons tous
les deux été élus, j’ai eu 42 votes de plus que Mike mais il a fait une
carrière politique tandis qu’on peut dire que moi j’ai sombré du fait
que j’ai rejoint les Etudiants pour une Société Démocratique, les ACLU
(Union Américaine pour les libertés civiles) et les Blacks Panthers au
cours du même semestre de licence à l’université de Boston après une
rencontre enthousiasmante avec le Professeur Noam Chomsky et le
Professeur Howard Zinn dans le bureau de Chomsky au Massachusetts
Institute of Technology (MIT).
Les débats de l’assemblée générale des habitants étaient intéressants
et productifs et “Moustafa”, le secrétaire national du Congrès du
Peuple Libyen qui a étudié à l’université George Washington de
Washington et écrit une thèse de doctorat sur les assemblées générales
des villes de Nouvelle Angleterre a affirmé que son pays avait calqué
les Congrès du Peuple sur ce modèle. Malheureusement, « Moustafa » a
aussi été emprisonné par le CNT selon des amis communs.
On ne sait pas qui vont être les candidats du FLL s’il y a une
élection, mais on suggère qu’il pourrait s’agir du Dr Abu Zeid Dorda,
qui se remet de sa « tentative de suicide » (l’ancien ambassadeur libyen
à l’ONU a été jeté par la fenêtre du second étage le mois dernier
pendant son interrogatoire par des agents de l’OTAN mais il a survécu en
présence de témoins et il est donc soigné actuellement dans l’hôpital
de la prison).
Contrairement à ce que racontent les médias, Saif al Islam ne va pas
se rendre au Tribunal Pénal International et comme Musa Ibrahim, il se
porte bien. Tous les deux sont fortement encouragés à faire profil bas
pour le moment, à se reposer et essayer de se remettre de la mort de
nombreux membres de leur famille et amis tués par l’OTAN.
De nombreux analystes politiques et juridiques pensent que le
Tribunal pénal International ne déclenchera pas de procédure en lien
avec la Libye à cause de ses règles et de sa structure alambiquées et du
fait qu’il n’est pas certain de réussir à incriminer les « bons »
suspects. Quoiqu’il en soit, au cas où il y aurait un procès, des
chercheurs se préparent à remplir la salle du Tribunal de documents sur
les crimes de l’OTAN pendant les neufs mois d’attaques, les 23000
sorties et les 10000 bombardements des 5 millions d’habitants du pays.
Des observateurs du Tribunal Pénal International jugent encourageante
la promesse faite cette semaine par le bureau du Procureur de ce
Tribunal et rapportée par la BBC : « d’enquêter sur tous les crimes
commis par les rebelles comme par les loyalistes de Kadhafi, y compris
ceux commis par l’OTAN et de poursuivre leurs auteurs. »
Une victime de l’OTAN, qui a perdu le 20 juin 2011 quatre membres de
sa famille, dont trois bébés, lorsque des bombes américaines MK-83 de
l’OTAN et deux missiles sont tombés sur sa demeure dans une tentative
(qui a échoué) d’assassiner son père, un ancien conseiller du Colonel
Kadhafi, m’a écrit hier de sa résidence secrète : « C’est une bonne
nouvelle si c’est vrai ».
Maintenant que l’OTAN déplace son attention et ses drones vers le
Sahel, il est possible que les neufs mois de déchaînement contre ce pays
et son peuple ne produisent pas les effets escomptés.
Source: http://www.egaliteetreconciliation.fr/Le-Front-de-Liberation-de-la-Libye-s-organise-dans-le-Sahel-8953.html