Attaques islamistes, trafic de drogue, risque de famine et explosion démographique. Le Sahel est-il en train de devenir un nouvel Afghanistan, une de ces «zones grises» du monde qui échappent à tout contrôle étatique?
Mise à jour:
La crise en Libye «renforce» Al-Qaida au Maghreb
islamique (Aqmi) et les armes libyennes disséminées mettent le Sahel
«en danger», a alerté vendredi le porte-parole du gouvernement
nigérien, Marou Amadou.
«Les gens doivent voir les
vrais problèmes dans cette crise libyenne: elle renforce Aqmi, elle
renforce les trafiquants de drogue pour qui le Sahel, vaste territoire
de six millions de kilomètres carrés, est un refuge», a-t-il déclaré au
cours d'une conférence de presse.
«Aqmi s'est
approvisionné de façon considérable en Libye et c'est un danger pour
tous», a averti M. Amadou. En ajoutant: «Le Sahel est en danger».
Plusieurs mois de guerre en Libye, suivis de l’effondrement du régime Kadhafi
après 42 ans de pouvoir, ont radicalement changé la donne pour les
fragiles Etats de la bande sahélienne. Une importante conférence
internationale se tient fort à propos les 7 et 8 septembre à Alger pour
faire le point en matière de terrorisme et de criminalité
transnationale. Tour d’horizon des lignes de fractures d’une région
stratégique qui concentre tous les défis actuel du continent.
al-Qaïda au Sahel islamique
al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) pourrait bien devenir al-Qaïda au Sahel islamique, tant cette région apparaît comme son nouveau sanctuaire.
Les combattants d’Abdelmalek Droukdel et d’Abdelhamid Abou Zeid, les
principaux responsables d'Aqmi, y multiplient depuis déjà plusieurs
années attaques et enlèvements d’Occidentaux.
Mais la crise
libyenne semble avoir donné un nouvel élan aux djihadistes qui ont
acquis de nouvelles armes auprès des belligérants libyens. Selon
plusieurs sources, ils auraient notamment en leur possession de
redoutables missiles sol-air, de type Sam-7. Mais auraient aussi
reconstitué leurs stocks d’AK 47, d’explosifs et de lance-roquettes.
De plus, des centaines de combattants touareg ayant fait allégeance à Kadhafi reviennent actuellement au Mali et Niger, aggravant encore un peu plus la situation sécuritaire. Fin juin et début juillet 2011, les violents combats
ayant opposé l’armée mauritanienne aux combattants islamistes dans la
forêt de Wagadou (Mali), ont montré que les hommes d’Aqmi pouvaient
résister farouchement à une armée conventionnelle qui utilise
artillerie, avions et hélicoptères de combat. Ce n’est pas un bon signe.
Les
islamistes se sont finalement retirés de la forêt de Wagadou, une de
leurs bases, près de la frontière mauritanienne. Mais ils sont toujours
aussi présents dans l’est de la Mauritanie
et surtout dans le nord du Mali, où des camps d’entraînement sont
installés depuis des années. Les nouvelles recrues y passent avant de
retourner dans leur pays d’origine. Historiquement liée à l’Algérie,
Aqmi recrute en effet de plus en plus en Afrique subsaharienne. Et des
liens existent désormais avec le mouvement islamiste nigérian Boko Haram.
Cette
«africanisation» d’al-Qaïda va de pair avec la montée en puissance d’un
islam politique et l’influence croissante des imams wahhabites (qui
prônent un retour à l’islam des origines), même s’il ne faut pas
confondre ces religieux avec des combattants
islamistes.
Depuis plus de 20 ans, l’Arabie
saoudite finance écoles coraniques et mosquées dans la bande sahélienne.
De plus en plus de jeunes sortent de cette filière d’enseignement, sans
avoir jamais fréquenté l’école laïque, sans avoir jamais appris le
français (remplacé par l’arabe) et avec très peu de références
culturelles occidentales.
Le Pakistan, le Soudan, le Koweït ou
l’Iran chiite participent également à cette «ruée vers le Sahel», en
finançant des établissements scolaires et religieux. Le nombre de
moquées a ainsi explosé à Nouakchott (Mauritanie) ces dernières années.
Ces
nouveaux courants de l’islam s’opposent à un islam confrérique,
beaucoup plus tolérant, et qui coexiste sans problème majeur avec les
apports laïc et occidental, comme au Sénégal.
Le «maillon faible» malien
Grand
comme deux fois et demie la France, mais en grande partie désertique,
le Mali est souvent considéré comme le «maillon faible» de la lutte
anti-terrorisme. Curieux paradoxe pour ce pays démocratique, dirigé par
le président Amadou Toumani Touré depuis 2002.
Fait
exceptionnel en Afrique, le chef de l’Etat du Mali a annoncé qu’il ne
se représenterait pas en 2012, quittant volontairement le fauteuil
présidentiel, suivant ainsi la voie du Sénégalais Léopold Sédar Senghor
en 1980. Mais durant ses deux mandats, la situation sécuritaire s’est
considérablement dégradée dans le nord désertique du pays. Après une rébellion touareg,
ce sont les combattants d’Aqmi qui occupent le terrain, au point qu’une
grande partie du Nord semble maintenant échapper à l’autorité de
Bamako.
L’armée malienne paraît incapable de faire face, seule, à
Aqmi. Au point que l’armée mauritanienne multiplie les raids à
l’intérieur du territoire malien pour combattre les islamistes armés. Le
nord du pays est également livré aux trafiquants en tout genre:
cigarettes, carburant, mais aussi de plus en plus cannabis, héroïne et
cocaïne. Un Boeing bourré de coke venant du Venezuela s’y est même posé en novembre 2009, confirmant que la région était désormais devenue une «zone grise».
Mais
de plus en plus de spécialistes s’interrogent: comment tous ces
trafics, ces attaques islamistes, ces enlèvements peuvent prospérer et
perdurer sans un minimum de complicité, au niveau local, régional, voire
national et international? Cette question sera sans doute au centre de
la conférence d’Alger.
Avant sa mort le 26 août 2011 dans un «accident» de voiture, un chef rebelle touareg dissident, Ibrahim Ag Bahanga, avait donné son point de vue, même s’il était probablement excessif, lors d’un entretien avec El Watan:
«C’est avec l’autorisation de Bamako que les otages sont enlevés et c’est toujours avec sa bénédiction qu’ils sont dirigés vers le nord du Mali, pour y être cachés et protégés.»
Selon lui, les Occidentaux paient des rançons pour leurs otages «tout en sachant que cet argent va financer Aqmi et ses prestataires de services».
Qui va contrôler le Sahel?
Si
plusieurs capitales, notamment Bamako (Mali) et Niamey (Niger), ont
perdu le contrôle d’une partie de leur territoire, qui va mettre de
l’ordre dans cette région pour l’empêcher de devenir un nouvel
«Afghanistan» avec ses talibans ou ressembler aux «zones tribales» du
Pakistan, qui servent de refuge à al-Qaida?
Ancienne puissance coloniale, la France reste très présente dans la région. Mais que peut faire Paris? En janvier, des militaires français avaient tenté de libérer deux Français
qui venaient d’être enlevés à Niamey. Des affrontements avaient eu lieu
au Mali, près du Niger, avec les ravisseurs liés à Aqmi. Mais les deux
Français avaient été tués. L’échec de ce raid a souligné la difficulté
de ce genre d’opération.
De plus, une intervention militaire de
grande envergure de la France dans le Sahel pourrait se heurter à une
vive hostilité d’une partie de la population et de l’opinion publique et
surtout de l’Algérie, qui veille à ce que Paris et Washington
n’installent pas leurs soldats à ses frontières méridionales.
Paris
a été en pointe pour renverser le régime de Kadhafi. Toutefois, une
intervention d’envergure dans le Sahel serait beaucoup plus délicate à
gérer tant diplomatiquement que militairement.
En attendant, la
France déconseille vivement à ses ressortissants de se rendre dans une
grande part de la Mauritanie, du Mali et du Niger ainsi que dans le sud
de l’Algérie. Cependant, quatre Français restent détenus depuis un an
par Aqmi, après avoir été enlevés dans la cité d’Arlit, un important
site d’extraction d’uranium dans le nord du Niger. Le contrôle du Sahel
passe donc par une plus grande coopération régionale plutôt qu’une
intervention occidentale.
Malnutrition et explosion démographique
En
plus d’énormes défis sécuritaires, qui plombent tout développement
économique et ruinent le secteur touristique, les pays de la bande
sahélienne sont confrontés à de graves problèmes d’ordre structurel. Une
démographie galopante, conjuguée à l’avancée du désert et donc
à des récoltes toujours plus faibles, provoque en effet une situation
de malnutrition chronique dans de nombreuses régions.
S’il y a un
pays qui concentre tous ses problèmes, c’est bien le Niger. Grand comme
deux fois et demie la France, mais couvert à plus de 80% par le Sahara,
ce pays est un important carrefour entre l’Afrique du Nord et l’Afrique
subsaharienne.
Il est en outre situé entre la Libye, où la
situation est loin d’être stabilisée, et le Nigeria, où les islamistes
de Boko Haram multiplient les attaques. Si le «domino nigérien» tombe
dans une instabilité chronique, un nouvel arc de crise, allant de la
Libye au Nigeria, se superposerait à celui allant déjà de la Mauritanie
au Soudan. Le Niger a le taux de fécondité le plus élevé au monde avec
plus de sept naissances par femme en moyenne, suivi de peu par la
Somalie (6,4 enfants par femme).
A son indépendance en 1960, le Niger
comptait moins de deux millions d’habitants, contre 15 millions
aujourd’hui. En 2050, il pourrait en avoir près de 60 millions, soit une
des plus fortes croissances démographiques au monde dans un des pays
les plus pauvres de la planète.
A ce rythme-là, c’est une
véritable «bombe démographique» qui risque d’exploser, provoquant famine
à très grande échelle et déplacements massifs de population. Déjà en
2010, dix millions d’habitants ont été durement affectés par la
sécheresse. En 2011, la vulnérabilité alimentaire
s’est accrue en raison de la forte baisse des transferts des migrants
travaillant en Côte d’Ivoire et surtout en Libye. Le planning familial a
fait ses preuves dans d’autres pays africains, d’autres pays
arabo-musulmans. Il continuera d’échouer au Niger sans une réelle
amélioration de la condition de la femme, qui passe par le contrôle des
naissances et la lutte contre l’analphabétisme. L’avenir du Sahel se
joue en grande partie au Niger.
Adrien HartSource: http://www.slateafrique.com