Depuis la mort de son père, le 20 octobre dernier, Seif al-Islam
Kadhafi, fils de Mouammar Kadhafi, demeure introuvable. Même sa
localisation demeure l’objet de supputations qui le situent à des
endroits différents. Tandis que certaines sources non officielles
l’annoncent au Niger sous la protection des Touaregs, d’autres l’indiquent toujours en Libye où il serait sous protection de mercenaires sud-africains.
Les seuls signes de vie que donne jusque-là le fils en fuite du feu
guide libyen sont des déclarations par personnes interposées. Selon Luis
Moreno Ocampo, procureur de la Cour pénale internationale (CPI), ces
intermédiaires avec qui il aurait eu des contacts informels auraient
traduit l’intention de Kadhafi fils de se rendre à l’institution
judiciaire internationale. Admettons que ces tractations aient eu
vraiment lieu et que celui contre qui la CPI a émis, il y a quatre mois,
un mandat d’arrêt international soit effectivement prêt à se rendre.
Quelles peuvent bien être les motivations d’une telle décision et
quelles conséquences en découleront au cas où elle venait à être
exécutée ?
Réputé pour être le plus intransigeant des rejetons du regretté père
de la Jamahiriya, Seif al-Islam aurait sans doute voulu par cette
pénible option, choisir le moindre entre deux maux. Acculé par les
combattants du Conseil national de transition (CNT), il aura
probablement préféré l’enclume de la CPI au marteau de ceux qui sont
capables de lui faire subir le même sort que son père. Reste à savoir
s’il ira jusqu’au bout de sa décision en se mettant le plus tôt possible
à la disposition de la Cour avant de tomber entre les mains de ses
ennemis.
Si tant est que Seif compte réellement sauver sa tête, il doit se
hâter d’aller répondre des faits à lui reprochés avant d’être gagné par
une indécision suicidaire comme celle de l’âne de Buridan. Il exaucerait
ainsi le dernier vœu le plus cher au CNT et aux Occidentaux qui, à y
voir de très près, n’ont pas intérêt à voir un dignitaire du régime de
Kadhafi devant une Cour internationale. Car, l’une des conséquences
redoutables d’un procès des pro-Kadhafi hors de la Libye demeure les
éventuels déballages fracassants qui peuvent mettre très mal à l’aise
les tombeurs du colonel Kadhafi.
Et Seif al-Islam en sait tellement sur tout ce qui a pu être
entrepris officiellement ou officieusement en Libye pour ne pas
inquiéter. Les nouveaux dirigeants libyens sont comptables de la gestion
de l’ancien régime au sein duquel ils assuraient des fonctions
importantes. A défaut de les conduire devant la CPI, la découverte de
charniers qui engageraient leur responsabilité peut ternir leur image et
susciter la révolte contre eux des victimes ou leurs ayants droit qui
voyaient en eux des révolutionnaires des temps modernes.
Les vagues de certaines révélations peuvent également éclabousser
des dirigeants occidentaux, notamment le président français Nicolas
Sarkozy, dont les relations avec la Libye sous l’ère Kadhafi ont été
ponctuées d’affaires aussi floues que nombreuses. Même si la résolution
onusienne constitue un bouclier protecteur pour les meneurs de
l’opération militaire qui a eu récemment lieu en Libye, il n’en demeure
pas moins vrai qu’ils n’ont pas intérêt à ce qu’on y décèle quelque
imperfection.
L’actuel chef de l’Etat français, qui tente, non sans peine, de
reconquérir la sympathie de ceux d’entre ses compatriotes encore
dubitatifs, joue gros dans cette affaire dont une gestion à la légère
peut lui coûter son fauteuil. Si les histoires aux allures anecdotiques
de financement de la précédente campagne de l’UMP par l’ex-dictateur
libyen et de vente d’armes par l’Hexagone à ce dernier venaient à être
confirmées par le fils, il ne fait aucun doute que le sommeil du
locataire du palais de l’Elysée en sera troublé.
Un jugement de Seif al-Islam qui échapperait au contrôle des
vainqueurs de la guerre libyenne se présente donc comme un risque réel
pour ceux-ci, quoique relatif. Cette évidence apporte du reste du crédit
à la thèse qui sous-tend que ni le CNT ni les Occidentaux n’ont intérêt
à ce que ce candidat à la CPI soit vivant. Si l’on s’inscrit dans cette
même logique de raisonnement, l’on peut émettre l’hypothèse, que ces
mêmes raisons ont pu conduire au probable assassinat du guide libyen.
Les mêmes causes ont pourtant l’habitude, dans des conditions bien
précises, de produire les mêmes effets. Un assassinat de cet important
rescapé du régime Kadhafi ne rendra pas service à l’humanité, car il
permettra à des criminels de conserver leur voile et à leurs crimes de
passer sous silence à jamais.
Source : "Le Pays"