20 nov. 2019

Croire en nous…

Le Niger en près de 60 ans d’existence d’Etat indépendant se trouve à la croisée des chemins. Pays confronté à des agressions multiformes dans son intégrité, sa souveraineté et sa manière de vivre, nous subissons également les aléas des éléments naturels qui se traduit par un rétrécissement de notre espace vital. 

Le Niger a toujours été considéré comme un pays qui revient de loin. Un pays ingrat symbolisé par une nature ingrate dans l’imagerie populaire. Depuis qu’un certain lord Salisbury, premier ministre anglais, lança le 5 août 1890, lors de la délimitation de la ligne Say-Barroua, à la figure des Français ébahis « Ce sont des terres légères, très légères, où le coq gaulois pourra [toujours] gratter… » En langage colonial et impérialiste post-Conférence de Berlin, c’est la traduction que le futur Niger est un territoire dont personne n’en voudra, tant qu’il n’y aurait rien à gratter, rien à tirer.

En réalité, le rapport de force symptomatique du protocole Say-Barroua (modeste bourgade aux abords du lac Tchad)souligne un Nord de la ligne, plus aride (dévolu aux français) et un sud plus clément (arraché par les Anglais du fait de leur puissance) : le Niger et le Nigeria venaient en ces instants d’être créés sur une simple ligne de cordeau. 

Et pourtant c’est un pays qui existe, qui se bat et qui espère. 120 ans plus tard, après le futur Niger, appelé à l’époque Territoire Militaire de Zinder créé en 1901, a connu toutes les péripéties, toutes les épreuves : de l’occupation militaire à la Colonie (1922) le pays fut jalonné de périodes defamines dues aux changements forcés de mode de production agricole liés aux aléas climatiques et aux contraintes coloniales ; l’époque contemporaine se résumera en un cheminement lent vers l’indépendance et l’apprentissage laborieux de la démocratie. 

Le pays a toujours su se relever dans un élan de résilience forgée par les hommes qui l’ont composé ou qui l’ont dirigé : des résistants à la colonisation française que sont les Ahmadou Kuran Daga, Kawussan ag Muhammad, Saraounia Mangou, Firhoun ag Al Insar ou Alfa Saybu de Karma… qui de par leurs messages et actes ont intimé aux nigériens de ne jamais baisser la tête et affronter l’adversité et la domination afin d’être libres. Plus tard, au Panthéon de l’Histoire du Niger, convoquonsaussi les Pères du combat politique et de l’indépendance nigérienne Diori Hamani, DjiboBakari, Boubou Hama, Harou Kouka, Georges Mahaman Condat, Abdoulaye Mamani, Issa Ibrahim, Zodi Ikhia… qui ont de leur côté, malgré les oppositions souvent violentes qui les ont séparés (surtout entre RDA et Sawaba) ont imprimé une certaine vision de la République naissante, entre un progressisme pro-occidental et un radicalisme d’extrême-gauche panafricaniste dans une ambiance de guerre froide.

C’est cela aussi qui a forgé le Niger, né de cet antagonisme dialectique et idéologique affirmé. Nous leur devons toute la reconnaissance de la Nation en les exhumant de l’oubli et en revisitant l’Histoire pour certains d’entre eux, qui n’ont pas encore eu l’heur d’avoir qui, un boulevard, qui un pont… en leur nom même si une dynamique dedénomination d’infrastructures et d’édifices publics a été amorcée ces dernières années. Mais le génie créateur du Niger qui s’est forgé par l’esprit du dialogue et de la conciliation a montré sa capacité au relativisme et au vivre-ensemblequi caractérisent les populations de ce pays. Les peuples de ce pays en ont toujours eu la capacité résiliente de surmonter l’adversité, les différends. 

Le Niger a une histoire, riche et pluriséculaire contenue dans un espace où les différents groupes socio-ethniques ont évolué en toute harmonie. Nous avons toujours tiré notre fierté de cette Histoire, même si insuffisamment transcrite. Cependant, c’est de cela que les forces nihilistes, adeptes de la terreur et d’une idéologie à contre-courant du vivre-ensemble, veulent mettre à mal par les attaques depuis 2015 de Boko Haram et à compter de 2016 du « terrorisme endémique » du Nord-Mali.

Faut-il marteler que le terrorisme de Boko Haram (tout comme celui des groupes terro-djihadistes du Nord Mali) est au départ un phénomène subi et imposé à l’armée et au peuple nigériens et que les katiba de Shekau, et plus tard celles de Al Barnawi avaient un agenda et un modus operandi qui ne laissent guère de doute dans leur volonté d’asservir les régions lacustres du Tchad, le Mayo camerounais et la région de Diffa au Niger ajoutés aux trois Etats déjà « vassalisés » du Yobé, Bornou, Adamawa dans un vaste Califat. 

Ce terrorisme 2.0 des grands trusts comme Al Qaïda, Dawlat Islamiyya(Daesh) tout comme les franchisés d’Abu SayyafShababAqmi ou Boko Haram de type réactionnaire empruntent grossièrement le procédé des guérillas marxistes, maoïstes et révolutionnaires comme les Sentiers Lumineux au Pérou, les Farc en Colombie ou la rébellionnaxalite en Inde, mais l’objectif à l’arrivée est évidemment dissemblable : les uns pour la libération et une société idéale, les autres pour l’asservissement et la caporalisation. Et Victor Hugo de nous rappeler que « la liberté commence où l’ignorance finit ». 

La logique de la Terreur veut nous faire douter de notre libre-arbitre, de notre mode de vie et de ce en quoi nous croyons. Ce sera la victoire de la fitna et de l’uniformisation sur l’altérité si les messages de nos devanciers sont occultés : la diversité culturelle et cultuelle de ce pays sera l’empreinte de sa renaissance, de sa résilience ou non. Faut-il neutraliser tous les chefs djihadistes comme récemment avec le religieux Abou Abderrahmane al-Maghebi (le marocain), le numéro 2 du groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (GISM –ex Al Qaida) de Iyad ag Ghali pour que l’Hydre soit vaincue ?

A part l’effet psychologique et la démobilisation momentanée, il nous faudra de vraies stratégies anticipatives à la radicalisation et surtout créer les conditions sociales et économiques qui freinent l’engagement. Nos pays doivent procéder à une guerre contre-révolutionnaire (mais dans le respect des droits humains) pour retourner la population souvent acquise aux djihadistes mais surtout instaurer une politique de développement : le pain au lieu du fusil. Car le terrorisme se nourrit de cette industrie de la misère qui le fait prospérer et surtout perdurer. Ensuite mener une guerre offensive pour prendre les bastions insurgés et le surprendre au lieu de se cantonner à une attitude défensive « de voir venir » qui a caractérisé nos stratégies militaires sur les théâtres d’opérations, qui nous auront coûté en vies humaines (civiles et militaires). 

Jusque-là, le pacte politique contre le terrorisme qui a prévalu doit perdurer, car la stratégie adoptée par les adeptes de la Terreur est de diviser, antagoniser les forces vives d’un pays pour faire accepter leurs dérives même par la force. 

Le Niger a toujours été assimilé à l’aridité de ses terres, de son climat qui font de nous, à tort ou raison, un peuple austère et travailleur. Le paysan nigérien s’est toujours battu contre ces aléas qui freine ou hypothèque sa production, l’éleveurpour la recherche du pâturage dans son parcours pastoral : tous ont développé des stratégies à la limite de la survie. Croire en nous, c’est croire en notre force résiliente, tel serait le message de ces deux grandes composantes de notre population.

Au XIXè S, le sultan Tanimoune de Zinder ne promulgua-t-il pas des édits pour qu’aucun arbre ne fut abattu sous peine de sanction (souvent capitale) ? et qu’il initia déjà des plantations avec une politique de protection d’arbres,? en fait, le père de l’indépendance du sultanat du Damagaram (au dépend du grand Empire du Bornou) et accessoirement « formalisateur » de la tauromachie nigérienne (hawan kaho) est, sur les conseils de sa cour, arrivé à la conclusion que pour lutter contre la rareté des pluies et faire prospérer son peuple, il fallait simplement préserver le couvert végétal (l’écologie avant l’heure !). Les pouvoirs publics nigériens doivent plus que jamais s’inspirer de ces initiatives ou stratégies du monde rural et de nos chefs coutumiers pour reverdir, protéger les aires boisées. 

Croire en nous, c’est aussi croire en cette jeunesse industrieuse, libérée et consciente qui peut être une force d’altérité en rapport de ce qui se faisait naguère. Il suffit que les pouvoirs publics lui fassent encore plus suffisamment confiance, comme cela a été entamé en ce moment sous le magistère du président Issoufou Mahamadou (avec l’ANSI, les concours e-Takara…par exemple), pour qu’elle créé, innove et enclenche une dynamique salvatrice : multiplier les réseaux entrepreneuriaux et assouplir les règles de crédit et de financement pourraient libérer les initiatives.En réinstaurant le service civique, la jeunesse pourra prendre le pouls de ce pays, l’aimer, aideret surtout le comprendre loin des stéréotypes. 

Il nous faut des vraies références pour moderniser notre société et mettre fin aux vents contraires, : nous avons une Histoire, des « sages-penseurs », des valeurs (d’unité, de solidarité, de progrès…) et des hommes publics pour les porter et combattrecet impensé qui régit notre société : notre pays en a besoin pour s’affirmer dans une identité purement nigérienne, sahélienne et au-delà. Il nous faut aussi dépasser la dialectique du « nigéro-pessimisme », devenu comme la doxa du « rien-ne-marchisme », qui donne du grain à moudre à tous ceux qui pensent que le pays ne se relèvera pas, la cause étant entendue. 

Cultiver cet esprit de patriotisme et non de nationalisme (car « le nationalisme, c’est la guerre », comme dirait Mitterrand) est le signe que l’aspiration de tout un chacun est et sera de défendre ce pays, ici et à l’extérieur : nous n’avons que ce pays légué par pans successifs ceux qui ont l’ont façonné le Moyen-Age jusqu’à la période précoloniale et contemporaine. Mais le nigérien a su, durant des siècles, dans un pays marqué par la rudesse, transformer ses manques, ses faiblesses en une force résiliente, à l’espoir. 

Par Aboubakar K. LALO (Web contribution)

Géographe Analyste des questions de défense et de sécurité

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