Le Nord du pays est devenu une véritable poudrière qui pourrait échapper à toute forme de contrôle.
Une
zone de non-droit où l’on croise des narcotrafiquants, les déçus de la
rébellion touarègue, des bandits de grand chemin, d’anciens soldats de
Kadhafi surarmés et les combattants d’Aqmi.
Les autorités
maliennes le nient. Et pourtant ! Le Nord du Mali est devenu un far-west
qui échappe au contrôle de l’État, une zone de tous les dangers
puissamment déstabilisatrice pour ce pays et la bande sahélienne. Une
zone dans laquelle, depuis le mois de mars, circulent les armes pillées
dans les gigantesques dépôts de l’armée khadafiste. Et parmi elles, des
missiles sol-air capables d’abattre un long-courrier.
Dans ce
nouveau contexte, on assiste à une reprise de l’agitation touarègue.
Malgré les accords d’Alger de 2006, l’État malien n’a pas su améliorer
leur vie quotidienne. L’approche de l’élection présidentielle prévue en
avril 2012 conduit les Touaregs à manifester leur mécontentement. Les
armes circulent, les chefs se retrouvent, un nouveau mouvement politique
agite les esprits : le Mouvement national de l’Azawad.
Quatre
cents Touaregs ayant servi dans l’armée de Kadhafi sont rentrés dans le
nord du Mali, les armes à la main, le 16 octobre : « Une colonne de 70 pick-up de soldats lourdement armés »,
décrit précisément un observateur. Le mystère reste entier quant au
devenir de ces hommes : vont-ils accepter de se désarmer ? Vont-ils
former le noyau de la future rébellion touarègue ? Personne ne le sait.
Le
Nord du Mali doit faire face aussi à la présence des narcotrafiquants.
Ils convoient la drogue venant de Colombie. Un trafic qui, grâce aux
sommes colossales générées par ce commerce illégal, bénéficie d’appuis
dans l’appareil d’État malien, dans le monde politique, dans la police
et parmi les Touaregs. Les trafiquants disposent de nombreux
informateurs, jouissent d’une insolente impunité, et distribuent
beaucoup d’argent à leurs complices. Plusieurs villes du Nord sont
passées sous leur autorité, comme Gao, indiquent plusieurs sources.
« Ils remplacent les structures sociales défaillantes de l’État malien »
Autre
point noir de la région, Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi). Le
mouvement terroriste a élu domicile dans la chaîne de montagnes du
Theghargar et dans la forêt de Wagadou à la frontière mauritanienne. On
estime à 300 leur nombre dans la région : des Algériens, des
Mauritaniens, des Nigériens… mais aussi, depuis quelque temps, des
Maliens (des Touaregs et des Bambaras).
Leur principale activité ?
Conduire des opérations terroristes en Algérie, en Mauritanie et au
Niger. Elles sont de plus en plus audacieuses, de plus en plus
violentes, de plus en plus déstabilisatrices. Selon ces sources, un
accord tacite les unirait aux autorités de Bamako : en échange de leur
passivité, ils ne s’en prennent pas au Mali.
Les militants d’Aqmi ne sont pas des fantômes dans le nord du Mali. « À Tombouctou, on peut les voir faire leurs courses sans qu’ils soient inquiétés »,
constate un habitant de la ville. « Ils achètent les produits locaux
le double de leur prix. Ils remplacent les structures sociales
défaillantes de l’État malien : soignent les gens, aident les pauvres.
De sorte qu’ils sont les bienvenus »,
assure Alexis Kalabry, le directeur de la publication du plus grand quotidien malien, Les Échos.
À Bamako même, logent quelques-uns de leurs logisticiens. Pour
financer leurs opérations, ils vivent du trafic d’armes et de la prise
d’otages des Occidentaux. Ils sont capables d’en enlever eux-mêmes,
comme à nouveau le dimanche 23 octobre dans le sud de l’Algérie (deux
Espagnols et une Italienne), ou ils rachètent les Blancs qu’on leur
vend. Les otages seraient cachés dans la chaîne de montagnes de
Theghargar.
Des menaces niées par les candidats à la présidentielle
Le
tourisme est devenu impossible dans la région. S’éloigner de Bamako
n’est pas recommandé pour les Occidentaux. Il leur est impossible de se
rendre à Tombouctou et à Gao. Et même le pays Dogon leur est fermé : la
route qui y conduit n’étant pas sécurisée.
Jusqu’à la nomination
de Soumeglou Boubeye Maïga au poste de ministre des affaires étrangères
en mars 2011, les autorités maliennes niaient les réalités du Nord. Avec
son arrivée, le discours a changé… sans qu’il soit suivi d’effets.
Ainsi, pour relancer l’activité touristique, le ministre des affaires
étrangères s’était engagé à présenter un plan de sécurisation des lieux
touristiques avant le début de l’été. En novembre, ce plan n’a toujours
pas été rendu public.
Face à cette passivité, la Mauritanie
n’hésite pas à lancer des opérations contre Aqmi sur le territoire
malien. Le 20 octobre 2012, elle a ainsi lancé un raid aérien contre une
cellule d’Aqmi opérant dans la forêt de Wagadou, tuant par là même l’un
des plus importants combattants islamistes mauritaniens.
Une
avancée cependant : sous l’impulsion du nouveau ministre des affaires
étrangères, le président du Mali s’est rendu en Algérie pour une visite
d’État de quatre jours, à la fin du mois d’octobre. Au cœur des
discussions, les menaces qui assombrissent l’avenir du Mali et qui
déstabilisent toute la bande sahélienne. Des menaces cependant jamais
abordées par les candidats déclarés à l’élection présidentielle du mois
d’avril : comme si, à leurs yeux, la poudrière du Nord n’existait
toujours pas.
Laurent Larcher, à KOULIKORO
Source: la-croix.com/