D’habitude peu prolixe, comme toutes les armées du monde,
a fortiori en temps de guerre, l’état-major de l’armée malienne a bien
voulu répondre à nos questions par le biais de son directeur de
l’information et des relations publiques. Le colonel Idrissa Traoré
reconnaît la puissance de frappe du MNLA, tout en soulignant sa tactique
militaire équivalente à une guerre d’usure urbaine. Attaques-surprises
et fuite. Zoom sur une guérilla particulière dans l’immensité de la
bande sahélo-saharienne. De Bamako, entretien…
Le Jeune Indépendant : Les hostilités ont été déclarées,
le 17 janvier dernier, par l’attaque de Ménaka. Quelle a été la réaction de l’armée malienne ?
Idrissa Traoré : Il faut que l’opinion
internationale sache et comprenne bien que c’est le MNLA qui a ouvert
les hostilités et que nous sommes les victimes, les offensés. Nous
faisons face au MNLA et ses connexions, notre mission c’est de protéger
les populations, les biens et aussi, bien entendu, l’intégrité
territoriale de notre pays. Telle est la mission régalienne des forces
armées et de sécurité. Pour revenir aux attaques, il y a eu d’abord
l’assaut ayant visé le petit camp militaire d’une compagnie (environ 60
hommes, NDLR). Il faut savoir qu’il s’agit d’une petite unité située à
l’ouest de la bourgade de Ménaka qui a subi une attaque-surprise, sans
aucun signe l’annonçant.
A combien d’assaillants estimez-vous le groupe qui a attaqué à Ménaka ?
Il est difficile de se faire une idée précise aujourd’hui. Ils ont
certainement bénéficié de quelques complicités locales. Nos soldats,
malgré l’effet de surprise, ont riposté quand même et ont infligé de
lourdes pertes aux agresseurs. Ces derniers ont été obligés de battre en
retraite vers le nord, en direction de Kidal ou de la frontière
algéro-nigérienne. Nous avons donc décidé d’acheminer des renforts à
partir de Gao où se trouve une grande caserne.
Y a-t-il eu un message politique qui vous aurait été transmis pour expliquer cette attaque ? Un communiqué, des tracts ?
Aucun message ni tract. Juste une attaque violente que nos soldats ont repoussée.
Les rebelles ont-ils récupéré des armes lors de leur offensive ?
Il n’a pas été fait état d’armes dérobées lors de l’attaque de
Ménaka, mais cela a été le cas dans d’autres localités lorsque d’autres
petits postes militaires ont été la cible des bandits armés, qui ont
misé sur l’effet de surprise et la disproportion de la force.
Justement, pouvez-vous nous présenter une récapitulation des foyers de combat depuis le 17 janvier ?
Au lendemain de l’attaque de Ménaka, c’est-à-dire le 18 janvier,
c’est Aguelhoc qui a été une première fois visée. Aguelhoc se situe
entre Gao et Tessalit. Encore une fois les criminels du MNLA ont été
repoussés et ont subi d’importantes pertes. Les combats ont été très
rudes et les troupes présentes de l’armée malienne y ont consenti
beaucoup de ressources. Très mobiles, en gardant la tactique de
l’attaque inopinée suivie de la fuite, les terroristes du MNLA se sont
volatilisés pour revenir en force le 24 janvier et perpétrer le massacre
d’Aguelhoc lors d’une deuxième attaque.
Que s’est-il vraiment passé à Aguelhoc ?
Ils sont revenus en surnombre pour commettre des atrocités. Ils ont
utilisé des boucliers humains ramenés manu militari de l’Institut de
formation des maîtres, l’IFM, dans le voisinage du camp militaire, et
ont réussi à prendre le dessus. Des militaires ligotés ont été
sauvagement exécutés. Certains par balles tirées à bout portant dans la
tête.
D’autres égorgés. Les preuves matérielles existent et une enquête a
été ouverte pour déterminer les circonstances de cette tuerie avec plus
d’exactitude. Des civils ont aussi été suppliciés. Ce qui s’est passé
dépasse tout entendement et viole la convention de Genève, comme tout le
monde a pu le constater. On aurait souhaité que les instances
internationales se penchent de plus près sur ce crime contre l’humanité
et ouvrent une enquête. On a déploré une soixantaine de victimes. Il
faut remarquer que ce mouvement armé se dit «touareg», mais c’est faux
car il ne représente qu’une partie infime, et la grande majorité des
Touareg ne s’y reconnaissent pas. Bien au contraire, il y a des Touareg
et des Maliens issus d’autres communautés implantées au nord qui luttent
dans les rangs de l’armée contre le MNLA.
N’y a-t-il vraiment pas d’estimation sur les effectifs du MNLA ? Sur la nature de leur équipement militaire ?
Sur le nombre que peut recruter le MNLA il demeure difficile de se prononcer. Cela fait partie aussi de leur propagande…
Mais il y a bel et bien eu de nombreuses désertions dans les rangs de
l’armée. Il y a quelques jours, le cas du chef de la section de
gendarmerie de Tombouctou chargée de la lutte contre les stupéfiants…
Tout au plus, une centaine de soldats ont déserté les rangs pour
diverses raisons. Il faut signaler qu’il y a beaucoup de non-Maliens
dans les rangs du MNLA qui a recruté des mercenaires.
Ils sont aussi lourdement armés qu’on le dit ?
Oui. Leur armement c’est d’abord celui de la Libye, avec tout ce
qu’on peut imaginer : BM21, canons de différents types, fusils d’assaut,
munitions… c’est maintenant une petite armée.
Des missiles aussi ?
Assurément, même s’il n’est pas prouvé qu’ils ont l’expertise pour en
faire usage ni même qu’ils sont destinés à attaquer l’armée malienne.
On peut envisager d’autres desseins… Ils ont aussi des véhicules qu’ils
ont volés un peu partout. N’oublions jamais leurs liens étroits avec
Al-Qaïda. Dans leur mode opératoire, on retrouve la signature du GSPC et
d’AQMI. Il y a aussi les témoignages comme ceux des otages civils
rescapés du massacre d’Aguelhoc.
Qui est le chef militaire du MNLA ?
C’est confus. Ils ont plusieurs chefs. Najim, Assalat, Ba Ag Moussa…
Iyad Agali serait mort dans les combats de ces derniers jours…
Nous ne pouvons ni confirmer ni infirmer cette information.
Il y a eu aussi l’attaque de Goma Koura bien au sud des premières attaques… Un autre front tactique de la part des rebelles ?
Cette autre agression s’est déroulée dans une région où l’Etat
réalise un projet routier qui reliera Tombouctou à l’Office du Niger,
véritable poumon agricole du pays. Les assaillants se sont retirés vers
Fassala… des blessés y auraient même été soignés. Sans commentaire. Un
constat. En plus de l’attaque de Goma Koura, on doit rappeler que le
chef du village de Hombori a été lâchement assassiné pour dresser les
communautés les unes contre les autres. Pour faire grossir les rangs des
réfugiés dont le mouvement et le nombre auraient la cynique vocation
d’internationaliser la crise interne du Mali.
Le MNLA oserait-il s’en prendre aux populations civiles ?
Bien entendu ! Si ce mouvement se revendique pour la liberté…
pourquoi s’attaque-t-il alors aux projets de développement, pourquoi
détruit-il les châteaux d’eau ? Pourquoi pille-t-il les centres de santé
communautaires, les caisses d’épargne ? Il se discrédite tous les
jours, son objectif étant d’installer un climat d’instabilité durable et
favorable à son trafic en tous genres.
Ces derniers jours, Tessalit est devenu le principal théâtre d’affrontements, d’intenses combats. Un enjeu particulier ?
Non, pas pour nous du moins. Je vous rappelle ce que je vous disais
plus haut : la mission des forces armées et de sécurité c’est d’assurer
la sécurité des personnes et des biens dans le cadre de l’intégrité
territoriale du Mali. Partout dans le pays. Il s’avère que Tessalit
représente peut-être un objectif pour les assaillants du MNLA, en raison
de sa piste d’aviation, pour on ne sait quel dessein…
Quelle est la situation au moment où nous parlons ?
Ils ont voulu empêcher nos forces de ravitailler le camp de Tessalit
mais ils ont échoué et nous avons mené à bien notre mission. Notre
objectif de ravitaillement a été atteint. Le MNLA a subi d’énormes
pertes en hommes et en matériel.
Utilisez-vous l’appui de l’aviation dans vos opérations ?
Cela va de soi ! Quand le contexte le demande. Quand c’est nécessaire.
On parle de bavure lors d’un bombardement qui aurait tué une maman et sa fillette dans un camp de civils…
Oui, sur RFI… Un soi-disant représentant d’une ONG qui a annoncé, à
partir de Kidal, ce bombardement et la mort d’une fillette. Etait-il sur
place pour témoigner avec tant de certitude ? Ne peut-on pas envisager
une manipulation de la part du MNLA ? Je suis personnellement pilote de
chasse, je voudrais vous demander s’il vous paraît possible, selon votre
bon sens, qu’un aéronef bombarde un camp à forte densité d’habitants
en laissant le bilan circonscrit à deux personnes atteintes ? Ce n’est
pas crédible ! Nous sommes une armée professionnelle dans un pays
démocratique. Nous n’avons pas fait le choix de raser, «nettoyer des
zones»… on en aurait fini. Mais nous voulons, d’abord et avant tout,
préserver les populations, tandis que le MNLA veut les utiliser comme
bouclier pour ses replis après ses lâches attaques.
Sur ce plan strictement militaire, l’armée malienne peut-elle, oui ou non, venir à bout de la rébellion ?
Nous avons la légitimité, la foi avec nous et le soutien de notre
peuple. Comme le dit notre devise : «Un peuple, une foi, un but.» Toutes
les communautés combattent pour la paix dans nos rangs pour un Mali «un
et indivisible».
Pourquoi ces quêtes d’argent à travers le pays pour aider
l’armée malienne ? Le gouvernement, le COREN… cela peut inquiéter les
observateurs sur les capacités et la logistique de vos troupes…
Ce ne sont pas l’Etat ni l’armée qui ont demandé cette aide… C’est
une histoire de mentalité, celle d’un peuple qui a, dans ses coutumes,
cette spontanéité pour l’expression de sa solidarité. L’expression de
son unité sacrée comme vous les Algériens face au terrorisme il y a
quelques années. A l’instar des cérémoniaux de deuil ou de mariage où
les Maliens apportent avec eux une participation… C’est un acte
collectif symbolique. Le premier Malien qui a eu ce réflexe culturel est
un jeune chômeur proposant 2 000 FCFA (environ 300 DA) et un lot de
bouteilles d’eau minérale. Il s’est aussi déclaré volontaire pour
s’enrôler dans l’armée et aller se battre contre la subversion. Cette
dynamique de quêtes bruyantes au profit de l’armée c’est, avant tout,
une manière pour les Maliens du pays de défier la terreur du MNLA.
Bénéficiez-vous d’une coopération militaire ? Le CEMOC est-il
en action ou est-il réservé à la lutte antiterroriste ? L’intervention
de l’armée d’un des pays du champ, en renfort, demeure-t-elle possible ?
Bien malin celui qui me prouvera la différence entre ces nébuleuses
armées et subversives. Les structures de coopération face à la menace
ont un contenu. Il s’agit de crimes contre l’humanité, la lutte peut
opter pour un traitement suprafrontières.
On peut aussi envisager un dialogue, d’ailleurs des émissaires seraient revenus du terrain et seraient à Alger…
C’est un volet qui relève des politiques, des Affaires étrangères…
Pensez-vous que vos forces font les frais du retrait du nord du pays dans le sillage de l’accord d’Alger de 2006 ?
Certainement ! Nous faisons les frais de la démilitarisation de la
zone qui a laissé place à tous les trafics les plus dangereux.
Quelle échéance vous fixez-vous pour la maîtrise de la situation ?
Quelle armée au monde a pu savoir, à l’avance, quand elle en
finirait avec le terrorisme ? On prendra le temps qu’il faudra. On y
parviendra avec l’aide de Dieu.
De notre envoyé spécial à Bamako
Entretien réalisé par Nordine Mzala
Jeune Independant