Le dernier rapport de l’Organe international de contrôle des stupéfiants (OICS) dresse un constat peu encourageant de la situation des drogues sur le continent africain: poursuite du trafic de cocaïne, qui s’étend à l’ensemble du continent, tendance à la hausse en ce qui concerne l’héroïne et développement du trafic de méthamphétamines.
Cocaïne dans toute l’Afrique
La baisse des saisies de cocaïne en Afrique, de 47 tonnes en 2007 à 21 tonnes en 2009, ne rassure pas les experts de l’OICS. Selon eux, le trafic continue : « Les trafiquants semblent avoir changé de tactique et utilisent le transport conteneurisé pour introduire illicitement la cocaïne en Afrique de l’Ouest ».Effectivement, d’importantes saisies de ce type ont été signalées depuis 2010sur les ports dans des conteneurs maritimes. Parmi les destinations les plus prisées des organisations criminelles, figure le Nigeria. Plusieurs interceptions ont notamment été effectuées dans le port de Lagos. En juillet 2010, un conteneur avec 450 kg de poudre blanche a été saisi sur un navire en provenance du Chili. Deux autres saisies au moins, d’un total de 275 kg, ont été effectuées en janvier 2011. Des découvertes du même type ont été faites au Ghana (125 kg de cocaïne dans un conteneur venu des Etats-Unis via le Panama, en octobre 2010). Nous avions fait état sur ce blog de saisies réalisées également au Togo et au Bénin. L’OICS ajoute que 480 kg de cocaïne ont été saisis au Brésil à destination du Nigeria en octobre 2011.
L’Organe international de contrôle des stupéfiants affirme également que les organisations criminelles continuent à utiliser des avions privés pour acheminer la cocaïne sur le continent africain: « En 2010, un nombre croissant d’aéronefs modifiés ont décollé de la République bolivarienne du Venezuela, en direction de pays d’Afrique de l’Ouest, notamment le Cap-Vert, la Guinée-Bissau, le Mali, la Mauritanie et la Sierra Leone ». L’organisation rappelle que la poudre blanche est ensuite transportée en petites quantités par des passeurs sur des vols commerciaux et parfois aussi par fret aérien, ou encore en contrebande à travers le Sahara en direction de l’Afrique du Nord avant d’atteindre l’Europe.
L’autre tendance, déjà perceptible auparavant mais qui se renforce, c’est la pénétration de la cocaïne en Afrique de l’Est et en Afrique australe. « Des enquêtes de la police sud-africaine ont permis de mettre en évidence des flux de cocaïne notables partant d’Amérique du Sud pour rejoindre l’Afrique du Sud, la Namibie et le Zimbabwe », indique l’OICS. Des saisies importantes ont été effectuées en Afrique du Sud en 2010 et 2011 : « L’Afrique du Sud a déclaré avoir saisi 1,7 tonne de cocaïne dans un navire en provenance du Paraguay en décembre 2010 ». En août précédent, 165 kg avaient été découverts dans un conteneur de la même provenance. Autre exemple saisissant dans la même région: en juillet 2011, la marine portugaise intercepté un bateau de pêche venant de Namibie et transportant près de 1,7 tonne de cocaïne, destinée au marché européen. En mai de la même année, 875 kg de cocaïne ont été découverts dans un conteneur maritime à destination du Mozambique.
L’héroïne en hausse
Deuxième grand dossier concernant la drogue en Afrique: l’héroïne. Si le pavot à opium n’est cultivé que très marginalement dans cette partie du monde (excepté à petite échelle en Haute-Egypte et dans la péninsule du Sinaï), l’OICS confirme que l’héroïne afghane « transite de plus en plus souvent par l’Afrique », comme nous l’écrivions récemment.
Entre 40 et 45 tonnes d’héroïne afghane ont été introduites sur le continent africain en 2009, rappelle l’Organe international de contrôle des stupéfiants.« L’Afrique de l’Est est toujours la zone de transit principale pour l’héroïne d’Asie occidentale destinée aux marchés illicites en Europe, en Amérique du Nord et dans certaines régions d’Asie », souligne l’OICS. La Tanzanie signale ainsi un nombre important de saisies. Exemple: en décembre 2010, 50 kg interceptés alors qu’ils allaient être transportés au Soudan, via Nairobi; ou encore deux saisies d’un total de 178 kg réalisées dans la ville côtière de Dar es-Salaam en mars et septembre 2011, auxquelles il faut ajouter « la plus grosse saisie d’héroïne jamais réalisée en une seule fois en Afrique de l’Est (à savoir 179 kg) en février 2011 ». Au Kenya voisin, 102 kg ont été interceptés en mars 2011.« L’héroïne avait été transportée par un navire ravitailleur jusqu’à la zone côtière du pays, puis transbordée sur de petites vedettes rapides », précise l’organisation.
L’Ethiopie enfin reste une zone importante de transit pour l’héroïne, ce qui n’est pas nouveau. Ce qui l’est en revanche c’est qu’elle l’est devenu aussi pour la cocaïne. « La principale plaque tournante du trafic [pour ces deux drogues] est l’aéroport international de Bole, près d’Addis-Abeba, qui relie l’Ethiopie et plusieurs pays d’Afrique et d’autres régions, précise l’Organe international de lutte contre les stupéfiants. Des routes de la drogue reliant le Brésil à la République-Unie de Tanzanie, en passant par l’Ethiopie, ont été identifiées en 2010. Des routes partant du Mali pour rejoindre les Philippines ont été indentifiées au début de l’année 2011 ».
L’Afrique du Sud, confirme l’OICS, est également à la fois un lieu de consommation et de transit de l’héroïne notamment vers l’Afrique australe, l’île Maurice, l’Europe et l’Australie. L’organisation rappelle que « la drogue est généralement introduite clandestinement en Afrique du Sud via le Mozambique ». Le Nigeria, plaque tournante de l’héroïne depuis les années 80, est toujours une importante plaque tournante. Selon les autorités nigérianes, en 2009, 50% de la drogue saisies étaient destinés aux Etats-Unis, 40% à l’Europe et 10% à la Chine. Plus de 200 kg d’héroïne ont été découverts en 2010 dans ce pays. Des saisies sont également signalées dans d’autres Etats d’Afrique de l’Ouest, notamment un chargement de 200 kg découverts au Bénin dans un conteneur provenant du Pakistan en avril 2011. Des interceptions de cargaisons d’héroïne ont aussi été effectuées en Egypte ces dernières années (211 kg en 2008, 159 kg en 2009, 222 kg en 2010).
La méthamphétamine produite en Afrique
La troisième grande tendance – et la plus nouvelle – concerne le développement impressionnant du trafic de stimulants de type amphétamine depuis l’Afrique vers d’autres régions. « L’Afrique de l’Ouest, en particulier, est désormais une des sources de la méthamphétamine disponible sur les marchés illicites d’Asie de l’Est, principalement au Japon et en République de Corée, mais aussi en Malaisie et en Thaïlande, relève l’OICS. Depuis 2009, le nombre de cas de contrebande de méthamphétamine depuis des pays d’Afrique de l’Ouest, notamment le Bénin, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Nigeria et le Sénégal, a nettement augmenté ». La drogue est principalement transportée par des passeurs Mais l’Organe international de contrôle des stupéfiants, bien que prudent, confirme également que les soupçons évoqués dans notre précédent billet quant à la production de méthamphétamine sur le continent africain. Parmi les indices: la mise en accusation en juin 2010 de membres d’un réseau qui tentait d’établir un laboratoire au Libéria, et le démantèlement en juin 2011 d’une structure de production dans les environs de Lagos, au Nigeria. Quelques jours avant la publication du dernier rapport de l’OICS, un autre laboratoire a d’ailleurs été découvert près de la capitale économique nigérianne.
Autre pôle important de production des drogues de synthèse : l’Afrique du Sud. L’Organe international de contrôle des stupéfiants rappelle que ce pays est, depuis de longues années, un lieu de fabrication de la méthaquolone ou mandrax, mais aussi de méthcathinone et de méthamphétamine, principalement consommées sur place: « En avril 2011, la police sud-africaine a saisi un laboratoire clandestin au Cap avec près d’une tonne de poudre de méthaquolone, quantité suffisante à la fabrication d’environ 1,6 millions de comprimés de mandrax. La quantité de produits chimiques précurseurs saisie sur le site était quant à elle suffisante pour fabriquer 2 millions de comprimés de Mandrax supplémentaires ». De fortes quantités de méthaquolone sont aussi importées d’Asie de l’Est et du Sud-Est, notamment par le Mozambique.
Enfin, précise l’OICS, il existe aussi sur le continent africain une consommation incontrôlée de toute une série de médicaments soumis habituellement à une prescription médicale et contenant des amphétamines, des sédatifs ou des tranquillisants. Certains de ces médicaments sont contrefaits. Les saisies ont augmenté dans certains pays, comme le Nigeria (2 556 kg de substances psychotropes non spécifiées saisies en 2010) ou Maroc (105 940 doses saisies en 2010, contre 61 254 en 2009).
Rappelons que l’Afrique reste un haut lieu de la culture et de la consommation de cannabis. Le Maroc, malgré une forte réduction des surfaces cultivées (134 000 ha en 2003, 47 500 ha en 2010, affirme l’OICS), reste l’un des principaux pays africains exportateurs de haschich vers l’Europe et le reste de l’Afrique du Nord. Près de 120 tonnes ont été saisies au Maroc en 2010 et 23 tonnes en Algérie. Par ailleurs, l’herbe de cannabis est produite un peu partout sur le continent, notamment au Ghana, au Nigeria, au Sénégal et au Togo, de même qu’en Afrique de l’Est et en Afrique australe. « En 2009, 640 tonnes d’herbe ont été saisies en Afrique, soit 11% des quantités saisies à l’échelle mondiale »,estime l’OICS.
Lire le rapport 2011 de l’OICS