Pour la première fois depuis son élection il y a six mois, la
directrice générale du Fonds monétaire internationale, Christine
Lagarde visite le continent africain. Après le Nigeria, elle était ce
jeudi 22 décembre 2011 au Niger. Quel peut être l'impact de la crise des
pays de la zone euro sur le continent africain ? Christine Lagarde
répond aux questions de RFI.
RFI : Pour 2012, le FMI avait prévu une croissance de l’économie mondiale de 4%. Aujourd’hui, maintenez-vous ce chiffre ou pas ?
Christine Lagarde : Nous publierons notre prochaine
prévision à la fin du mois de janvier. Je crains malheureusement qu’elle
soit inférieure à cette prévision de 4% du mois de septembre parce que
les facteurs de production, de consommation, d’investissement et de
stabilité se sont détériorés depuis le mois de septembre.
RFI : Est-ce que cette prévision pourrait être réduite de moitié ?
C. L. : Je ne sais pas. Je ne vais pas m’amuser à
lire dans le marc de café parce que nous avons, au sein de la maison [le
FMI, NDLR] des économistes qui utilisent des modélisations et des
travaux de prévision qui leur permettent de faire du travail qui n’est
pas au doigt mouillé (*). Et donc je vais les laisser faire leur travail
et l’annoncer à la fin du mois de janvier.
RFI : Quel peut être l’impact de cette crise de la zone euro sur le continent africain ?
C. L. : Les canaux de contagion, si j’ose dire, sont
multiples. Lorsque l’activité se réduit, lorsque la récession menace
dans le continent européen, et en particulier dans la zone euro, les
canaux sont notamment les canaux financiers, le canal du commerce
international entre les pays de la zone euro et les pays d’Afrique, et
puis le canal de ce que l’on appelle les transferts de salaires, les
transferts de revenus entre des travailleurs africains expatriés et leur
pays d’origine. J’étais, il y a quelques jours, au Nigeria. Le ministre
des Finances m’indiquait que le montant des transferts d'argent avait
baissé de l’ordre de 40% au cours des deux derniers mois.
RFI : Quels sont les pays africains qui peuvent être les plus
touchés ? Les pays dont beaucoup de ressortissants sont partis en
Europe, les pays qui exportent du cacao, les pays qui exportent du
pétrole ?
C. L. : Tous ceux-là. Les pays dont les salariés
travaillent hors du pays renvoient moins l’argent. Les pays exportateurs
sont moins sollicités -il en résulte en général une diminution du prix
des matières premières, on ne l’observe pas encore vraiment sur le
pétrole mais, dans d’autres domaines, on commence à l’observer- Les pays
qui bénéficient des investissements directs étrangers. Les pays qui
sont liés par des établissements bancaires qui éventuellement
désinvestissent des pays africains.
RFI : Du coup, est-ce que vous allez réviser à la baisse la
prévision de croissance 2012 qui était de 5,75% pour l’économie
africaine ?
C. L. : Je ne sais pas parce que les révisions
s’effectueront au mois de janvier pour l’ensemble des zones. Nous
considérons que les pays d’Afrique, s’ils seront probablement affectés
[par la crise, NDLR], ne le seront pas de manière lourde et brutale
parce qu’ils disposent, d'abord, d’un certain nombre d’amortisseurs de
crise, et puis parce que, notamment le canal financier de contagion
n’est pas particulièrement développé entre les pays de la zone euro et
les pays africains. Pour l’instant, on est quelque part entre 5 et 6%
selon les pays et on verra au mois de janvier si on révise sensiblement
ou pas à la baisse.
RFI : Si le FMI doit aider les Européens dans les mois qui viennent, que va-t-il rester pour les Africains ?
C. L. : L’aide n’est pas destinée exclusivement à la
zone euro. Le Fonds monétaire international est au service de tous ses
membres et lorsque les pays d’Afrique, qui bénéficient aujourd’hui de 23
programmes, ont besoin du soutien du FMI, il faut que la ressource soit
disponible. Il n’est pas question de privilégier une seule zone au
détriment des autres. Donc les programmes à destination des pays à
faibles revenus, ou les instruments financiers qui sont
particulièrement destinés à ces pays-là, devront continuer à être
alimentés et financés.
RFI : Depuis un an, la Guinée est dotée d’un régime démocratique. Est-ce que vous allez lui accorder un prêt exceptionnel ?
C. L. : Nous espérons pouvoir finaliser ces
négociations dans les prochaines semaines pour pouvoir mettre en place
une facilité élargie de crédits et soutenir les efforts de développement
du gouvernement de Guinée. C’est évidemment un pays qui bénéficie
maintenant d’un gouvernement légitime. Nous sommes à ses côtés. Il
s’agit maintenant de mettre en place un programme, sur une période de
trois ans, doté de moyens financiers importants. Il faut qu’on arrive à
négocier de manière efficace et j’espère que je pourrai soumettre à mon
conseil d’administration en début d’année 2012 une facilité élargie de
crédit.
RFI : Une réduction de la dette de la Guinée dans le cadre de l’initiative des Pays pauvres très endettés (PPTE) ?
C. L. : Pour cela, il faut qu’on arrive à définir le point d’achèvement. C’est un point qu’on examinera dès que possible en 2012.
RFI : Une réduction de la dette de la Côte d’Ivoire est-elle envisagée dans les mois qui viennent en 2012 ?
C. L. : Pour l’instant, nous travaillons évidemment
très étroitement avec le gouvernement de Côte d’Ivoire. Ce qui me
réjouit en ce qui concerne ce pays, ce sont les perspectives de
croissance pour l’année 2012. Il y a clairement des efforts très
importants qui sont entrepris, avec un rôle locomotive dans la région
qui est bien connu. La Côte d’Ivoire en 2011 a subi le contrecoup des
grosses difficultés politiques du début d’année avec une prévision de
croissance qui sera peut-être supérieure à 2%, mais dont nous prévoyons
qu’elle sera au moins égale si non supérieure à 8% sur l’année 2012.
Cette perspective est vraiment un grand sujet de satisfaction. Nous
prévoyons de mettre en place un programme de soutien à l’économie de
Côte d’Ivoire qui serait un programme de trois ans et qui a été
d’ailleurs approuvé le mois dernier. Et ce programme vient évidemment
en plus de tous les programmes d’assistance technique, de soutien dans
un certain nombre de domaines, notamment l’administration des finances,
le développement du secteur financier, la gestion de la dette. Dans tous
ces domaines-là, nous essayons d’aider la Côte d’Ivoire au mieux de nos
moyens.
RFI : Il y a 18 mois, le FMI a accordé au Congo-Kinshasa un
allégement de dette de 12 milliards de dollars pour le récompenser de
ses efforts en faveur de l’État de droit et de la bonne gouvernance.
Mais au vu de la présidentielle très controversée du 28 novembre, le FMI
n’a-t-il pas pris cette mesure trop tôt ?
C. L. : Nous suivons très attentivement ce qui se
passe sur le terrain en République démocratique du Congo. Nous sommes
évidemment très attentifs, très soucieux, de voir d’abord être
respectés l’État de droit, [de voir, NDLR] la transition s’effectuer
dans des conditions qui soient les plus pacifiques et les plus sereines
possible. La situation n'est pas très facile, je le sais bien, et nous
en sommes très conscients. On suit cela au plus près, quasiment au jour
le jour. On a, en particulier, ce qu’on appelle une quatrième revue de
programme, imminente, et on est assez soucieux qu’elle puisse
s’effectuer dans les meilleures conditions.
RFI : Ca dépendra peut-être du dépouillement des législatives ?
C. L. : Ca dépend de l’ensemble de la situation politique actuelle et en particulier de la situation électorale et post-élections.
RFI