En ce mercredi 14 décembre, le président nigérien Mahamadou
Issoufou, 59 ans, de passage en France, reçoit dans un salon de la
"résidence d'Etat" du Niger, une coquette villa nichée dans une avenue
paisible de La Celle-Saint-Cloud (Yvelines).
Elu à la magistrature
suprême en mars dernier, après trois vaines tentatives, cet ingénieur
des Mines et mathématicien, formé notamment à Montpellier, Paris-VI et
Saint-Etienne, n'a rien d'un novice en politique. Socialiste de coeur,
il fut tour à tour, dans les années 1990, Premier ministre, puis
président de l'Assemblée nationale. Impact de la révolution libyenne, terrorisme,
gel des investissements d'Areva, crise alimentaire dans le Sahel: pour
LExpress.fr, l'ex-opposant adoubé par les urnes détaille ses analyses.
Très tôt, vous avez mis en garde contre
l'effet déstabilisateur, pour la région, du soulèvement fatal à Mouammar
Kadhafi. Les faits ont il validé votre diagnostic ?
Le pire n'est
jamais sûr. Il est vrai que le déclenchement de la révolution libyenne
avait suscité chez nous beaucoup d'inquiétude quant à ses effets
collatéraux sur le Sahel en général et le Niger en particulier. Il y a
eu des conséquences sécuritaires, économiques et sociales. Sur le plan
sécuritaire, le pillage des dépôts d'armes en Libye a engendré un
phénomène de dissémination dans toute la zone sahélo-saharienne ; d'où
les accrochages récents entre l'armée nigérienne et des bandits armés et
autres trafiquants. S'agissant de l'économie, il existait des relations
très fortes entre le Niger et la Libye, relations interrompues tout
comme les investissements libyens dans le domaine des infrastructures,
tel le chantier, aujourd'hui arrêté, de cette longue route allant sur
1100 km de la frontière à Agadez. Par ailleurs, le rapatriement de
260000 travailleurs nigériens a stoppé l'envoi d'argent aux parents
restés au pays. Ce qui bien sûr grève les revenus de ces familles.
Enfin, en matière sociale, on ne peut pas employer tous ces migrants
ayant perdu leur travail côté libyen. Avant même la chute de Kadhafi, le
Sahel était soumis à des menaces. La menace d'Aqmi [Al-Qaeda au Maghreb
islamique], mais aussi la menace d'organisations criminelles vouées au
trafic de drogue, d'armes ou d'êtres humains. Le séisme libyen a
amplifié ces périls. Au début, nous avons craint la " somalisation " de
notre voisin du nord ou la confiscation du pouvoir par les terroristes
et les intégristes. Mais la mise en place d'un gouvernement à Tripoli
nous rend de plus en plus optimistes. Nous espérons que les nouvelles
autorités vont créer les conditions de la stabilisation et nous
souhaitons que la normalisation engagée se consolide. Même si des
préoccupations demeurent, telle la présence en Libye même de nombreux
groupes pas encore désarmés, facteurs d'insécurité.
L'un des fils du défunt " Guide " de la
Jamahiriya, Saadi Kadhafi, a été accueilli à Niamey " pour des raisons
humanitaires ", au grand dépit du Conseil national de transition (CNT)
libyen, qui exigeait son extradition. Les rapports bilatéraux se
sont-ils normalisés depuis lors ?
Les relations entre le Niger et
le CNT ont toujours été normales. Nous avons été parmi les premiers à le
reconnaître et nous étions présents à Paris lors de la conférence des
Amis de la Libye. Concernant la présence de Saadi Kadhafi sur notre sol,
nous sommes très clairs. Le Niger est un Etat de droit, une démocratie,
qui traitera ce dossier conformément à la loi. Contrairement à ce qui a
été dit, nous ne sommes pas hostiles à son transfert, à condition que
celui-ci se fasse de manière légale. Nous sommes d'ailleurs disposés à
examiner toutes les requêtes en la matière. Mais à ce stade, nous
n'avons pas reçu de demande. Ni du CNT, ni de la Cour pénale
internationale. La CPI avait un moment envisagé d'envoyer une délégation
chez nous ; nous étions prêts à l'accueillir mais elle n'est pas
venue.
Entre un hypothétique transfert de l'intéressé à La Haye et son éventuel rapatriement à Tripoli, avez-vous une préférence ?
Non, je n'ai pas de préférence. L'essentiel est que les choses se fassent dans le respect des règles de l'Etat de droit.
Etes-vous en mesure de " digérer " le retour
au pays de Nigériens -touaregs pour la plupart- engagés hier au sein des
forces kadhafistes ? Redoutez-vous le réveil de foyers de rébellion ?
Effectivement,
des supplétifs de l'armée de Kadhafi sont rentrés dans les pays du
Sahel. En ce qui concerne le Niger, nous avons défini une position
limpide. Chaque fois que ces éléments arrivent chez nous, on les
désarme. Et s'ils refusent de l'être, on les combat. Ce qui explique les
accrochages avec nos forces de défense et de sécurité évoqués
précédemment. Aujourd'hui, fort heureusement, il n'y a plus de présence
de ces groupes au Niger. En revanche, on dénombre 300 à 400 hommes armés
au Mali, ce qui constitue une source d'inquiétude, même si le
gouvernement malien s'emploie à les neutraliser. S'agissant des risques
de résurgence de la rébellion touarègue, phénomène récurrent ces vingt
années écoulées au Mali et au Niger, il est vrai qu'ils font partie des
périls souvent évoqués. Reste que nos pays ont instauré l'Etat de droit
et les procédures démocratiques, lesquels fournissent aux citoyens les
moyens de revendiquer par la voie légale. Il n'y a donc plus aucune
raison d'entrer en rébellion et de tenter d'imposer ses doléances par
les armes.
Votre homologue malien, Amadou Toumani Touré,
souvent présenté comme le " maillon faible " du dispositif
antiterroriste régional, s'estime la cible d'un procès injuste. Son
dépit vous semble-t-il justifié ?
Le Mali fait beaucoup d'efforts
sur ce terrain, comme tous les pays de la zone sahélo-saharienne. Les
autorités de la sous-région sont conscientes de la nécessité de
mutualiser les efforts pour juguler la menace. D'où la création, par
l'Algérie, la Mauritanie, le Mali et le Niger d'un état-major commun
installé à Tamanrasset, le Cemoc, que nous nous efforçons de rendre
opérationnel.
Tout le problème est là. Aux yeux de maints
experts, ce fameux Comité d'état-major opérationnel conjoint n'est
qu'une coquille vide, un sigle...
Vous avez raison. A nous de
prendre les dispositions concrètes requises pour que le Cemoc ne soit
pas qu'un sigle. Il faut que l'on puisse mener des opérations
coordonnées au niveau des quatre pays. La menace étant commune, la
riposte doit l'être aussi. Au Niger, nous souhaitons aller plus vite
afin d'étouffer dans l'oeuf ce danger et de ne pas laisser le monstre
grandir.
Tout en écartant l'hypothèse de l'installation
de bases étrangères - françaises par exemple- sur votre territoire,
vous réclamez une aide accrue. Cet appel a-t-il été entendu ?
Au
niveau de nos forces de sécurité, nous disposons de suffisamment de
capacités humaines. Mais il faut que lesdites forces soient bien
équipées, pourvues de matériels adaptés. Des amis, notamment européens,
nous aident en la matière. Nous-mêmes consentons des efforts pour mieux
doter nos unités sur nos fonds propres. Il s'agit de créer
progressivement un rapport de forces permettant d'assurer la sécurité de
notre pays et de nos frontières.
Ce mardi, le groupe Areva a confirmé un gel
des investissements, voire un désengagement, qui affecteront l'immense
chantier d'Imouraren. Etes-vous déçu ?
En ce qui concerne
Imouraren, il n'y a pas désengagement. Le projet est maintenu. Un
chronogramme a été établi, qui aboutira à la mise en exploitation de ce
gisement d'uranium d'ici fin 2013-début 2014. Ce projet, qui permettra
de doubler la production du Niger et d'atteindre 10000 tonnes par an,
est important pour le Niger, mais aussi pour la France. Ce que votre
opinion ignore, c'est que le nucléaire crée les conditions d'une
meilleure compétitivité de l'économie française. Cette énergie vous
garantit un kilowatt/heure 50% moins cher qu'en Italie, 70% moins cher
qu'en Belgique, mais aussi moins onéreux qu'en Allemagne. A vrai dire,
je suis d'ailleurs surpris par certaines déclarations entendues ici. Le
Niger et la France vivent une aventure commune dans ce domaine. Nous
avons instauré une relation stratégique, dont je souhaite qu'elle
continue de se renforcer dans l'intérêt bien compris des deux parties et
dans le cadre d'un partenariat gagnant-gagnant
Le 28 novembre, vous avez inauguré dans la
région de Zinder la première raffinerie pétrolière du pays. En quoi
l'événement modifie-t-il les perspectives d'avenir d'une nation aussi
pauvre que la vôtre ?
Ce jour-là, le Niger est devenu un pays
pétrolier. Le lancement de la production de cette raffinerie renforce
notre économie au point de permettre une croissance à deux chiffres,
nécessaire pour sortir du piège de la pauvreté. Le Fonds monétaire
international prévoit d'ailleurs pour 2012 un taux de 15%, ce qui n'est
pas négligeable. Selon le FMI, l'économie nigérienne figurera parmi les
plus performantes du monde dans les années à venir. Il va de soi que
l'or noir y sera pour quelque chose, tout comme le doublement de notre
production d'uranium. Pour l'instant, nous produisons 20000 barils par
jour. Un tiers du brut raffiné sur place sera consommé à l'intérieur du
pays et deux tiers seront exportés. Fin 2013, début 2014, la production
sera portée à 80000 barils/jour dont 60000 exportés via le Tchad et le
terminal camerounais de Kribi, et 20000 barils traités par la raffinerie
selon le même ratio. Ce qui va générer des ressources et des recettes
fiscales substantielles pour l'Etat, susceptibles de financer les
ambitions de mon programme électoral, à hauteur de 9 milliards d'euros
sur cinq ans. Mais nous veillerons à ce que l'or noir ne devienne pas,
comme ce fut le cas dans d'autres pays, une malédiction : il faut que ce
surcroît de revenus profite au peuple nigérien, qu'il soit investi dans
l'éducation, les infrastructures routières et énergétiques ou
l'irrigation des terres agricoles. Telle est la vocation de l' "
initiative 3N " -Les Nigériens nourrissent les Nigériens-, vouée à
mettre la population à l'abri des aléas climatiques et de la
sécheresse.
Le déficit céréalier enregistré cette année est-il de même ampleur que celui qui a provoqué la grave crise alimentaire de 2010 ?
Nous
somme effectivement dans une configuration analogue. A ceci près que,
cette fois, nous avons tiré le signal d'alarme à temps. Dès le mois
d'août, nous avions prédit un déficit estimé alors à 400000 tonnes. En
fait, il sera de 520000 tonnes, auquel il faut ajouter un déficit
fourrager considérable. D'où le lancement d'un programme d'urgence
portant sur l'irrigation, les activités pastorales, la reconstitution
des stocks de sécurité et la diffusion de semences améliorées. Voilà qui
devrait contribuer à enrayer l'exode rural que provoque le spectre de
la famine.
Pourquoi avez-vous limogé six
hauts-responsables des forces de police et de sécurité au lendemain
d'émeutes meurtrières survenues voilà peu à Zinder ?
J'estime que
le maintien de l'ordre n'a pas été assuré conformément aux traditions et
aux lois du pays. Les responsabilités ayant été établies, j'ai pris les
sanctions appropriées contre ceux qui n'ont pas fait correctement leur
travail. En vertu des promesses de liberté, d'égalité et de justice de
notre constitution, il est normal qu'il n'y ait ni immunité, ni
impunité.
Source: lexpress.fr