15 déc. 2011

Le président du Niger Mahamadou Issoufou livre son diagnostic.

"Etouffer dans l'oeuf le monstre du terrorisme au Sahel"

En ce mercredi 14 décembre, le président nigérien Mahamadou Issoufou, 59 ans, de passage en France, reçoit dans un salon de la "résidence d'Etat" du Niger, une coquette villa nichée dans une avenue paisible de La Celle-Saint-Cloud (Yvelines).

Elu à la magistrature suprême en mars dernier, après trois vaines tentatives, cet ingénieur des Mines et mathématicien, formé notamment à Montpellier, Paris-VI et Saint-Etienne, n'a rien d'un novice en politique. Socialiste de coeur, il fut tour à tour, dans les années 1990, Premier ministre, puis président de l'Assemblée nationale. Impact de la révolution libyenne, terrorisme, gel des investissements d'Areva, crise alimentaire dans le Sahel: pour LExpress.fr, l'ex-opposant adoubé par les urnes détaille ses analyses. 

Très tôt, vous avez mis en garde contre l'effet déstabilisateur, pour la région, du soulèvement fatal à Mouammar Kadhafi. Les faits ont il validé votre diagnostic ?
Le pire n'est jamais sûr. Il est vrai que le déclenchement de la révolution libyenne avait suscité chez nous beaucoup d'inquiétude quant à ses effets collatéraux sur le Sahel en général et le Niger en particulier. Il y a eu des conséquences sécuritaires, économiques et sociales. Sur le plan sécuritaire, le pillage des dépôts d'armes en Libye a engendré un phénomène de dissémination dans toute la zone sahélo-saharienne ; d'où les accrochages récents entre l'armée nigérienne et des bandits armés et autres trafiquants. S'agissant de l'économie, il existait des relations très fortes entre le Niger et la Libye, relations interrompues tout comme les investissements libyens dans le domaine des infrastructures, tel le chantier, aujourd'hui arrêté, de cette longue route allant sur 1100 km de la frontière à Agadez. Par ailleurs, le rapatriement de 260000 travailleurs nigériens a stoppé l'envoi d'argent aux parents restés au pays. Ce qui bien sûr grève les revenus de ces familles. Enfin, en matière sociale, on ne peut pas employer tous ces migrants ayant perdu leur travail côté libyen. Avant même la chute de Kadhafi, le Sahel était soumis à des menaces. La menace d'Aqmi [Al-Qaeda au Maghreb islamique], mais aussi la menace d'organisations criminelles vouées au trafic de drogue, d'armes ou d'êtres humains. Le séisme libyen a amplifié ces périls. Au début, nous avons craint la " somalisation " de notre voisin du nord ou la confiscation du pouvoir par les terroristes et les intégristes. Mais la mise en place d'un gouvernement à Tripoli nous rend de plus en plus optimistes. Nous espérons que les nouvelles autorités vont créer les conditions de la stabilisation et nous souhaitons que la normalisation engagée se consolide. Même si des préoccupations demeurent, telle la présence en Libye même de nombreux groupes pas encore désarmés, facteurs d'insécurité.  

L'un des fils du défunt " Guide " de la Jamahiriya, Saadi Kadhafi, a été accueilli à Niamey " pour des raisons humanitaires ", au grand dépit du Conseil national de transition (CNT) libyen, qui exigeait son extradition. Les rapports bilatéraux se sont-ils normalisés depuis lors ?
Les relations entre le Niger et le CNT ont toujours été normales. Nous avons été parmi les premiers à le reconnaître et nous étions présents à Paris lors de la conférence des Amis de la Libye. Concernant la présence de Saadi Kadhafi sur notre sol, nous sommes très clairs. Le Niger est un Etat de droit, une démocratie, qui traitera ce dossier conformément à la loi. Contrairement à ce qui a été dit, nous ne sommes pas hostiles à son transfert, à condition que celui-ci se fasse de manière légale. Nous sommes d'ailleurs disposés à examiner toutes les requêtes en la matière. Mais à ce stade, nous n'avons pas reçu de demande. Ni du CNT, ni de la Cour pénale internationale. La CPI avait un moment envisagé d'envoyer une délégation chez nous ; nous étions prêts à l'accueillir mais elle n'est pas venue.  

Entre un hypothétique transfert de l'intéressé à La Haye et son éventuel rapatriement à Tripoli, avez-vous une préférence ?
Non, je n'ai pas de préférence. L'essentiel est que les choses se fassent dans le respect des règles de l'Etat de droit.  

Etes-vous en mesure de " digérer " le retour au pays de Nigériens -touaregs pour la plupart- engagés hier au sein des forces kadhafistes ? Redoutez-vous le réveil de foyers de rébellion ?
Effectivement, des supplétifs de l'armée de Kadhafi sont rentrés dans les pays du Sahel. En ce qui concerne le Niger, nous avons défini une position limpide. Chaque fois que ces éléments arrivent chez nous, on les désarme. Et s'ils refusent de l'être, on les combat. Ce qui explique les accrochages avec nos forces de défense et de sécurité évoqués précédemment. Aujourd'hui, fort heureusement, il n'y a plus de présence de ces groupes au Niger. En revanche, on dénombre 300 à 400 hommes armés au Mali, ce qui constitue une source d'inquiétude, même si le gouvernement malien s'emploie à les neutraliser. S'agissant des risques de résurgence de la rébellion touarègue, phénomène récurrent ces vingt années écoulées au Mali et au Niger, il est vrai qu'ils font partie des périls souvent évoqués. Reste que nos pays ont instauré l'Etat de droit et les procédures démocratiques, lesquels fournissent aux citoyens les moyens de revendiquer par la voie légale. Il n'y a donc plus aucune raison d'entrer en rébellion et de tenter d'imposer ses doléances par les armes.  

Votre homologue malien, Amadou Toumani Touré, souvent présenté comme le " maillon faible " du dispositif antiterroriste régional, s'estime la cible d'un procès injuste. Son dépit vous semble-t-il justifié ?
Le Mali fait beaucoup d'efforts sur ce terrain, comme tous les pays de la zone sahélo-saharienne. Les autorités de la sous-région sont conscientes de la nécessité de mutualiser les efforts pour juguler la menace. D'où la création, par l'Algérie, la Mauritanie, le Mali et le Niger d'un état-major commun installé à Tamanrasset, le Cemoc, que nous nous efforçons de rendre opérationnel.  

Tout le problème est là. Aux yeux de maints experts, ce fameux Comité d'état-major opérationnel conjoint n'est qu'une coquille vide, un sigle...
Vous avez raison. A nous de prendre les dispositions concrètes requises pour que le Cemoc ne soit pas qu'un sigle. Il faut que l'on puisse mener des opérations coordonnées au niveau des quatre pays. La menace étant commune, la riposte doit l'être aussi. Au Niger, nous souhaitons aller plus vite afin d'étouffer dans l'oeuf ce danger et de ne pas laisser le monstre grandir.  

Tout en écartant l'hypothèse de l'installation de bases étrangères - françaises par exemple- sur votre territoire, vous réclamez une aide accrue. Cet appel a-t-il été entendu ?
Au niveau de nos forces de sécurité, nous disposons de suffisamment de capacités humaines. Mais il faut que lesdites forces soient bien équipées, pourvues de matériels adaptés. Des amis, notamment européens, nous aident en la matière. Nous-mêmes consentons des efforts pour mieux doter nos unités sur nos fonds propres. Il s'agit de créer progressivement un rapport de forces permettant d'assurer la sécurité de notre pays et de nos frontières. 

Ce mardi, le groupe Areva a confirmé un gel des investissements, voire un désengagement, qui affecteront l'immense chantier d'Imouraren. Etes-vous déçu ?
En ce qui concerne Imouraren, il n'y a pas désengagement. Le projet est maintenu. Un chronogramme a été établi, qui aboutira à la mise en exploitation de ce gisement d'uranium d'ici fin 2013-début 2014. Ce projet, qui permettra de doubler la production du Niger et d'atteindre 10000 tonnes par an, est important pour le Niger, mais aussi pour la France. Ce que votre opinion ignore, c'est que le nucléaire crée les conditions d'une meilleure compétitivité de l'économie française. Cette énergie vous garantit un kilowatt/heure 50% moins cher qu'en Italie, 70% moins cher qu'en Belgique, mais aussi moins onéreux qu'en Allemagne. A vrai dire, je suis d'ailleurs surpris par certaines déclarations entendues ici. Le Niger et la France vivent une aventure commune dans ce domaine. Nous avons instauré une relation stratégique, dont je souhaite qu'elle continue de se renforcer dans l'intérêt bien compris des deux parties et dans le cadre d'un partenariat gagnant-gagnant 

Le 28 novembre, vous avez inauguré dans la région de Zinder la première raffinerie pétrolière du pays. En quoi l'événement modifie-t-il les perspectives d'avenir d'une nation aussi pauvre que la vôtre ?
Ce jour-là, le Niger est devenu un pays pétrolier. Le lancement de la production de cette raffinerie renforce notre économie au point de permettre une croissance à deux chiffres, nécessaire pour sortir du piège de la pauvreté. Le Fonds monétaire international prévoit d'ailleurs pour 2012 un taux de 15%, ce qui n'est pas négligeable. Selon le FMI, l'économie nigérienne figurera parmi les plus performantes du monde dans les années à venir. Il va de soi que l'or noir y sera pour quelque chose, tout comme le doublement de notre production d'uranium. Pour l'instant, nous produisons 20000 barils par jour. Un tiers du brut raffiné sur place sera consommé à l'intérieur du pays et deux tiers seront exportés. Fin 2013, début 2014, la production sera portée à 80000 barils/jour dont 60000 exportés via le Tchad et le terminal camerounais de Kribi, et 20000 barils traités par la raffinerie selon le même ratio. Ce qui va générer des ressources et des recettes fiscales substantielles pour l'Etat, susceptibles de financer les ambitions de mon programme électoral, à hauteur de 9 milliards d'euros sur cinq ans. Mais nous veillerons à ce que l'or noir ne devienne pas, comme ce fut le cas dans d'autres pays, une malédiction : il faut que ce surcroît de revenus profite au peuple nigérien, qu'il soit investi dans l'éducation, les infrastructures routières et énergétiques ou l'irrigation des terres agricoles. Telle est la vocation de l' " initiative 3N " -Les Nigériens nourrissent les Nigériens-, vouée à mettre la population à l'abri des aléas climatiques et de la sécheresse.  

Le déficit céréalier enregistré cette année est-il de même ampleur que celui qui a provoqué la grave crise alimentaire de 2010 ?
Nous somme effectivement dans une configuration analogue. A ceci près que, cette fois, nous avons tiré le signal d'alarme à temps. Dès le mois d'août, nous avions prédit un déficit estimé alors à 400000 tonnes. En fait, il sera de 520000 tonnes, auquel il faut ajouter un déficit fourrager considérable. D'où le lancement d'un programme d'urgence portant sur l'irrigation, les activités pastorales, la reconstitution des stocks de sécurité et la diffusion de semences améliorées. Voilà qui devrait contribuer à enrayer l'exode rural que provoque le spectre de la famine.
 
Pourquoi avez-vous limogé six hauts-responsables des forces de police et de sécurité au lendemain d'émeutes meurtrières survenues voilà peu à Zinder ?
J'estime que le maintien de l'ordre n'a pas été assuré conformément aux traditions et aux lois du pays. Les responsabilités ayant été établies, j'ai pris les sanctions appropriées contre ceux qui n'ont pas fait correctement leur travail. En vertu des promesses de liberté, d'égalité et de justice de notre constitution, il est normal qu'il n'y ait ni immunité, ni impunité.  

Source: lexpress.fr

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