Quelles sont les conditions socioéconomiques et politiques qui poussent un certain nombre de Subsahariens à quitter leur pays pour d’autres cieux ?
Les causes et les raisons sont nombreuses et diverses. Il y a des causes contextuelles, factuelles et d’autres plus structurelles. Parmi ces dernières, une des causes lointaines des migrations ouest-africaines actuelle est l’absence de «socialisation» des frontières héritées du découpage colonial. Il existe en effet un continuum ethno-démographique qui transcende les frontières : les Touareg couvrent plusieurs Etats post-coloniaux (Mali, Niger, Burkina Faso, Algérie, Libye, Tunisie), et les Peuls, par exemple, selon le chercheur Demba Fall, sont disséminés sur «toute la bande allant du Sénégal à l’Adamaoua».Les populations sont ainsi connectées à des territoires et terroirs sociologiques transfrontaliers très anciens à l’intérieur desquels, elles ont construit divers réseaux d’appartenance et d’identification qui sont en recompositions complexes sous l’effet de rapports de force aussi bien internes qu’externes.
En témoigne dans la violence, nombre de cas aujourd’hui, comme par exemple celui des Touareg qui voit le déplacement de milliers de personnes vers les pays riverains ou celui de la Libye. La multiplication d’espaces de conflits sociopolitiques, ethniques et les difficiles sorties des crises politiques et sociétales dans les pays de la sous-région (Sierra Leone, Guinée, Liberia, Côte d’Ivoire, Nigeria, et plus au Nord, la Lybie et à l’est le Soudan, etc.,) ont considérablement accru les déplacements de populations. A titre d’exemple encore, la crise ivoirienne a produit pas moins de 500 000 migrants internationaux, le conflit libyen a également mis sur les routes vers d’autres pays voisins ou plus lointains des milliers de personnes de toutes origines et statuts, modifiant en profondeur les paysages migratoires aussi bien ouest-africain que nord- africain, avec les nationaux contraints de partir, et les étrangers en transit contraints de prendre les routes transsahariennes pour rejoindre d’autres pays de transit ou l’Europe.
Ceci étant, les déterminations les plus fortes relèvent des conditions socioéconomiques et politiques, dans leur dimension non pas seulement, stricto-sensu économique ou de gouvernance, mais inséparablement écologique et de nature sociopolitique. On peut donc expliquer l’augmentation tendancielle des flux de migrants ouest-africains dans les processus migratoires internationaux par les effets, sur l’ensemble des sociétés et plus spécialement les couches actives, des différentes mutations survenues dans la gouvernance économique au tournant des politiques d’ajustement structurel, gouvernance qui n’a cessé de se détériorer depuis.
Ces transformations ont aggravé la crise d’Etats délégitimés et de classes politiques «compradores», minés par la corruption, approfondissant les phénomènes de rejet par de larges pans de la population et les nouvelles générations relativement plus éduquées. On ne peut expliquer par ailleurs les migrations africaines sous le seul prisme des «dérégulations» internationales et de visions ou approches duales reposant sur l’opposition entre pays riches et pays pauvres (faussement pauvres !) dont les populations sont condamnées à fuir la misère, à courber l’échine ou à périr sur place. Il y a, à non pas douter, un effet des nouvelles formes de redéploiement du capitalisme mondial, mais cela ne doit pas occulter les déterminants proprement politiques et la responsabilité des Etats nationaux en question.
Il y a également à prendre en compte particulièrement l’effet longue durée de la colonisation et de ce qu’elle a incrusté durablement dans les imaginaires – Aminata Traoré parle de viols des imaginaires – dans les pratiques et les modes d’exercice du politique. Sans doute les causes et les raisons de partir tiennent-elles à des situations et statuts différents : chômage, précarité, déclassements, dérèglements climatiques, famines, conflits, violences, mobilités sociales bloquées, corruption, répression, autoritarisme, recherche de sens et exigence de libertés, mais elles trouvent principalement leur ressort dans ce qui s’est fabriqué dans l’imposition de l’ordre colonial et sa reproduction pos-indépendance, particulièrement dans l’inscription dans les esprits des dominés de la fascination pour l’Occident. Celle-ci n’aurait été que pur fantasme si la post-indépendance ne l’avait captée et transmutée en héritage réel et symbolique.
-Vous soulignez le caractère croissant du phénomène, ses transformations et l’émergence en particulier du phénomène des mineurs. Comment l’expliquez-vous ?
La rhétorique du nombre construit ce qui est fantasmé comme menace. Et les statistiques ici ont cette vertu de remettre en cause beaucoup de fantasmes sur l’envahissement par «les hordes africaines», ces nouveaux barbares, de l’Europe menacée dans son «identité» et de peurs nourries par des politiques apprentis-sorciers. On observe ainsi que sur les 191 millions de migrants internationaux recensés par les Nations unies (2005), on dénombrait 21 millions d’Africains, avec 16 millions qui migrent sur le continent. Les pays de l’OCDE et d’autres continents n’accueillent donc que 5 millions d’Africains, ce qui fait de l’Afrique le continent par excellence des migrations de proximité, de migrations intra-africaines.
Plus précisément, en 2000, seulement 1,2 million d’Africains de l’Ouest vivaient en Europe (CEDEAO/CSAO, 2006). Récemment, Laurent Bossard (2007) indiquait que des 60 millions de migrants en OCDE issus des pays en voie de développement, on comptait seulement 7 millions d’Africains, dont la moitié sont des Subsahariens, avec 1,5 million originaires d’Afrique de l’Ouest. 20% de la population subsaharienne migrante en OCDE sont donc des Ouest-Africains, dans sept pays européens où cette communauté est implantée de manière significative : Belgique, Espagne, France, Italie, Pays-Bas, Portugal et Royaume-Uni.
Les Africains au sud du Sahara migrent peu en dehors de leur continent. Ainsi, en l’an 2000, moins d’une personne sur 100, née au sud du Sahara et âgée d’au moins 25 ans, résidait dans un pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ; c’est trois fois moins, selon les chercheurs Robin et Ndiaye, que pour la population née en Afrique du Nord et 13 fois moins que pour celle née en Amérique centrale.
A partir des années 1990 de nouvelles catégories sociales sont concernées, Il s’agit des produits des systèmes d’enseignement massifiés, dont les certifications sont payées en monnaie de singe, il y a également à côté des précaires et chômeurs, de plus en plus de personnes issues des classes moyennes en voie de prolétarisation, cadres, fonctionnaires, employés, artisans, petits agriculteurs. Dans ces groupes, les femmes, qui représentent quasiment la moitié des nouvelles migrations, émergent comme de nouvelles actrices des mobilités ouest-africaines, et les raisons de leur mobilité sont particulières. La déstructuration des milieux sociaux, familiaux et réseaux traditionnels, le développement exponentiel du chômage, les crises alimentaires et de santé, précipitent les femmes dans des processus de sortie de milieux socio-spatiaux, vécus comme autant d’étapes migratoires.
Cette «montée» des femmes, nettement plus éduquées que les hommes, s’inscrit également dans l’appel d’air que constituent les besoins des sociétés du Nord en métiers du «care» (infirmières, aide-soignante, auxiliaire de vie, aide aux personnes âgées, petite enfance, restauration, commerce ethnique, etc.). D’autres catégories sont en augmentation assez nette : à côté des réfugiés politiques, il y a les réfugiés climatiques, ceux fuyant les conflits armés de plus en plus nombreux sur le continent et enfin une catégorie émergente et s’élargissant, celle des mineurs, adolescents et jeunes, qualifiés, selon les dénominations institutionnelles, de mineurs migrants non accompagnés ou de mineurs isolés.
-Y a-t-il une spécificité de cette migration ?
Pour recouper celles des adultes qui sont dans des situations similaires au départ, les causes et les raisons de départ des jeunes mineurs non accompagnés n’en sont pas moins spécifiques. Elles procèdent des déterminations qui leur sont plus «extérieures» que celles qui touchent aux adultes. Les modalités et les formes à travers lesquelles elles s’expriment sont également très différentes. L’entrée des mineurs dans les migrations dites «irrégulières» et leur accroissement (7000 moins de 18 ans en Espagne, 6000 en France, 7700 en Italie, dont 60 à 80% sont issus du Maghreb) s’expliquent entre autres causes par l’érosion des liens de solidarité autant communautaires, tribaux que familiaux, érosion qui procède de profonds remaniements autant dans les représentations à l’égard du travail, de ce que travailler veut dire, que dans celles des statuts à l’intérieur de la famille, des rapports entre parents et enfants, entre membres de la fratrie, entre aînés et puînés.
Ces transformations, comme l’aggravation de la pauvreté, poussent les familles à élargir aux enfants les stratégies collectives de survie. Elles sont révélatrices de changements profonds survenus dans le regard que les groupes sociaux portent sur leur propre survie et sur leur positionnement dans un contexte écologique et social contraint, qui soumet les structures familiales à de véritables refondations stratégiques quant à leur avenir. Là aussi, les modalités au fondement des départs et des circuits sont à la fois spécifiques et générales : le rôle des familles n’est pas négligeable dans la prise de décision. Dans une logique de transnationalisation des réseaux et des pratiques, se configurent des «familles transnationales», voire des «accueils transnationaux» (Empez 2008), dont rendent compte des processus de transfert de responsabilités parentales qui se construisent en interrelation avec la parentèle expatriée (kafala, confiage, etc.), affiliée aux procédures et règlementations en vigueur sur place. Cela peut passer également par des réseaux professionnalisés.
Les enfants mobiles sont pris dans la démultiplication des réseaux, de tous types, les plus criminels couvrant le trafic d’enfants pour le travail au noir, d’adolescentes pour le trafic sexuel, de mendicité ; réseaux qui cherchent à capitaliser sur des opportunités réelles ou supposées, mais devenues attractives, par l’aggravation de la pauvreté au sein des familles, la disponibilité du travail précaire et sous-qualifié sur les sites miniers, dans les plantations ou les arrière-cours de certains villes et villages de pays étrangers ou d’appartenance. Cependant, les mineurs peuvent être leurs propres acteurs dans les décisions de partir, s’investissant parfois eux-mêmes formellement d’un mandat familial. On ne peut donc sous-estimer l’engagement quelque peu autonome dans le processus de départ de nombre d’entre eux. De manière générale, on observe, à l’opposé d’approches ou de prise en compte des nouveaux migrants comme victimes, que ceux-ci se construisent comme acteurs, souvent stratèges de leur propre devenir.
-Y a-t-il des réponses étatiques ?
Du point de vue des Etats du Sud, cette migration est généralement occultée. Les discours politiques tendent à construire des représentations d’une jeunesse menaçante à travers les figures de l’émeutier, du harag, l’assimilant même au kamikaze. Le président Bouteflika a ainsi déclaré «qu’il n’existait pas de différence entre les kamikazes et les harragas, si ce n’est que les premiers tuent des innocents et que les derniers font plus de mal à leurs familles et à eux-mêmes» (Liberté 16 février 2009). Reconnaître que même les adolescents, les enfants cherchent à partir, c’est admettre la faillite totale du système sociopolitique qu’on ne cesse de célébrer quotidiennement. Et quand on est malgré tout confrontés à un problème qui ne peut plus être caché, on culpabilise et stigmatise les familles comme l’a récemment fait le secrétaire d’Etat chargé de la communauté algérienne à l’étranger qui a mis en avant la seule responsabilité des familles et dédouané les pouvoirs publics par la même occasion.
L’émigration des mineurs non accompagnés et des jeunes laissés-pour-compte de systèmes économiques et sociaux en crise, interpelle les Etats et les sociétés du Sud, du point de vue même de leur existence et des valeurs qu’ils revendiquent comme étant au fondement de leur fonctionnement, valeurs articulées à une tradition prégnante, assignant une place centrale à «l’enfance», perçue jusque-là comme «sacrée». L’accroissement de l’émigration des mineurs apparaît ainsi comme un séisme dans les remaniements des représentations sur soi qu’ont ces sociétés qui ont longtemps vécu sur les modalités traditionnelles de la communauté, tous frères et tous solidaires, l’enfance à préserver avant tout.
-Vous avez donné plusieurs chiffres-clés en Europe. Le nombre de migrants subsahariens en Algérie est-il connu ?
Dans un pays où même les statistiques officielles du chômage prêtent à réserve, les chiffres sur l’immigration irrégulière restent peu transparents, variant selon les contextes et les sources. Les chiffres sont instrumentalisés, ils vont du simple au double, selon les sources. Ils traduisent dans leurs contradictions, l’inconfort de politiques migratoires évoluant entre occultation fondée sur une répression inavouée pour ne pas heurter les pays voisins et affichage de résultats à destination du «commanditaire» européen. L’opinion publique locale étant peu prise en considération. Les Africains sont chez eux en Algérie et les comptabiliser relève d’une forme de déni de son identité. On est loin du moment Panaf et d’Alger capitale des mouvements de Libération nationale africains. Sur quelles bases en effet peut-on distinguer sur la place «Tchad» ou dans les quartiers Thaggart et Gat El Oued, à Tamanrasset, des Nigériens, des Maliens, des Algériens, des Mauritaniens appartenant souvent à la même ethnie ou aux mêmes tribus, historiquement et contextuellement liées dans les échanges, le commerce, l’économie souterraine.
En recoupant diverses sources, on peut estimer que le nombre annuel de migrants subsahariens qui transite par l’Algérie, varie entre 25 000 personnes (chiffres 2005) à 40 000 (estimations 2011) et ceci sans prendre en compte ici les effets des conflits dans les pays voisins qui ont généré, en 2011-2012, des flux importants de réfugiés. Pour ce qui est des interpellations et des expulsions, un rapport officiel algérien déposé devant la Commission des Nations unies dans la cadre de la Convention 1990, relève qu’entre l’année 2000 et 1er janvier 2007, il y a eu 20 000 personnes expulsées du pays, soit une moyenne annuelle de quelque 3000 personnes.
D’autres sources universitaires (Bensaâd 2009) relèvent les chiffres de 300 à 600 refoulements par semaine en 2005, ce qui donne une moyenne de 1200 à 2400 expulsions mois. Ces chiffres ont connu une nette augmentation sur les dernières années si l’on considère le nombre de 4053 migrants expulsés, (chiffre officiel 2010) dont 646 d’entre eux «ont été impliqués» dans des affaires pénales, pour la seule wilaya de Tamanrasset. Dans la période 2000 à 2007, ce sont donc 42 000 étrangers qui ont été refoulés aux frontières. Toujours durant cette période, les statistiques officielles enregistrent 70 000 cas d’étrangers en situation irrégulière. Selon le ministère du Travail, et les services de la gendarmerie, 28 800 migrants irréguliers en provenance de pays subsahariens et travaillant dans le Sud ont été appréhendés au cours de la période de 1992 à 2003.
Entre 2004 et 2009, le nombre d’appréhendés a presque doublé atteignant les 45 500. Pour nous résumer et en recoupant les chiffres des chercheurs travaillant sur le domaine (A. Bensaâd 2009, S. Chena 2012 s’accordent sur le chiffre de 75 000 Subsahariens en Algérie, certains vont jusqu’à recenser autour de 300 000, d’autres notent un recul des chiffres consécutivement à l’application de la loi 2008), il y aurait, selon des estimations les plus fiables, entre 60 000 et 85 000 Subsahariens présents en Algérie, dont 20 à 30 000 résident au nord du pays. (Les chiffres officiels de 2010 recensent 107 450 travailleurs étrangers résidants). De pays d’émigration, l’Algérie devient ainsi progressivement un pays d’immigration avec l’installation durable de migrants subsahariens en situation régulière ou non.
-Comment ces migrants, particulièrement, sont-ils reçus par la population, en Algérie ? Dans quelles conditions vivent-t-ils en Algérie ?
Du point de vue des autorités, celles-ci ont édicté une nouvelle loi en 2008, nettement sécuritaire et répressive. L’arsenal juridique mis en place tend à verrouiller les conditions d’entrée, de séjour et de circulation des étrangers en Algérie. Il met en pratique, entre autres décisions répressives, ce qui était jusque-là officieux, des «centres d’attente», destinés à l’hébergement des ressortissants étrangers en situation irrégulière (qui peuvent être retenus sur décision du wali pendant 30 jours).Trois nouveaux centres ont été ouverts ces dernières années. De manière générale, relayé par une certaine presse, nourri par des stéréotypes tenaces et un vieux fond raciste – nos compatriotes noirs en savent quelque chose – se construit de manière plus ou moins ouverte un discours, se développent des pratiques, qui étiquètent, stigmatisent en séparant et différenciant entre eux et nous.
Osons le reconnaître, la xénophobie qui a connu son acmé dans la décennie noire reste un sentiment relativement bien partagé. On a ainsi vu tout un quartier d’Oran partir à la chasse d’Africains lors d’incidents les ayant opposés à la population locale. Si globalement les Algériens confrontés aux difficultés de leur vie quotidienne restent assez peu au courant de ce qu’endurent leurs hôtes venus du Sud, de nombreux préjugés sur les Subsahariens et d’ailleurs pas seulement sur eux, sur d’autres communautés comme les Chinois par exemple, sont véhiculés, prenant corps dans la doxa populaire. La menace subsaharienne n’est plus virtuelle du même coup. Dans la durée, elle devient vérité toute faite, elle se traduit à travers des clichés collés une fois pour toutes à ces «étrangers», aux «Kahlouches» aux «Nigros» : trafics en tout genre, drogue, prostitution, propagation du VIH, lien avec le terrorisme. Et on voit les Algériens reproduire ce qu’eux-mêmes ont subi et subissent plus au Nord.
Sans doute le pays connaît-il également son quart monde, cependant les Subsahariens en transit sont quasiment dans une situation d’infrahumain. Vivant dans les lits d’oueds, ou dans les forêts, sous des tentes rafistolées, n’ayant pas accès aux soins, au minimum vital, traqués, raflés, détenus, réprimés, ils sont l’impensé d’une société, lors même qu’ils lui posent au quotidien, dans la confrontation, la question des conditions de sa propre émancipation.
-Quels sont les mécanismes mis en place pour venir en aide à ces migrants ?
Contrairement au Maroc ou L’AMDH, l’OMDH (partenaire du HCR), le Gadem et plusieurs autres ONG développent un travail d’observation et de plaidoyer en faveur des droits des migrants en situation irrégulière, des réfugiés et des demandeurs d’asile. Et ou les réfugiés, migrants et demandeurs d’asile, notamment ceux d’Afrique de l’Ouest francophone, sont regroupés en différentes associations représentatives. Où sensibilisés, de nombreuses associations et personnalités ont organisé les luttes à travers des sit-in, des manifestations, durant les années qui ont suivi les évènements de 2005, en Algérie les associations spécifiquement destinées à lutter pour les droits des migrants sont quasi-inexistantes. Les Ligues algériennes des droits de l’homme ne s’intéressent qu’accessoirement aux atteintes des droits des migrants.
Activent quelques ONG internationales comme le CISP une ONG italienne qui s’est attachée à la défense du droit des migrants subsahariens. Par la bande et de manière accessoire là aussi, certaines associations (comme l’AFD qui a rejoint le réseau Migreurope) et syndicats (comme le Snapap investi dans le cas des évènements d’Oran) se saisissent de quelques cas. Quelques religieux et personnalités étrangères dont l’admirable Jean Heuft prennent en charge également ce qu’ils peuvent. Le statut de réfugié politique est lui-même très discuté voire contesté et le BAPRA (Bureau Algérien pour les Réfugiés et Apatrides, en redéfinition) n’aurait reconnu aucun cas, alors que les demandes augmentent significativement chaque mois, parmi les centaines (111 cas de réfugiés dits «urbains» et 300 demandeurs d’asile en 2010) pris en compte par le HCR en tant que tels. Des tentatives de regroupement associatif de certaines communautés comme celle des Congolais en 2009 ont tourné court. La nouvelle loi sur les associations en verrouillant la participation étrangère met ainsi fin à toute velléité de prise en compte du droit des migrants.
-Ces droits sont-ils respectés, en Algérie, précisément ?
Comment pourraient-ils être respectés, lorsque ceux de la majorité ne le sont pas ? De fait, les atteintes aux droits des migrants et étrangers en situation irrégulière traduisent à l’extrême la situation de dénis de droits que vit plus largement la société toute entière, fragmentée, ghettoïsée et dont les composantes sont opposées les unes aux autres. Ils posent par la marge la question qui est centrale pour l’avenir du pays, celle du vivre ensemble et avec les autres, dans l’égalité, la reconnaissance et la dignité. Dans l’application de la loi beaucoup de libertés ont été prises. En principe, des dispositifs de la loi interdisent l’expulsion des femmes enceintes et la séparation des familles. La pratique, le cas des subsahariennes d’Oran et d’autres non médiatisées l’attestent clairement, contreviennent ainsi de fait à la loi et est en porte à faux par rapport à la convention des droits des enfants de 1989, que l’Algérie a ratifiée en 1992 et à la Charte africaine des droits et du bien être de l’enfant, adoptée à Addis Abéba, en juillet 1990, ratifiée par l’Algérie le 8 juillet 2003.
Dans le cas d’expulsion forcée, le juge peut être saisi et le recours est suspensif, l’étranger pouvant être assigné à résidence en attendant la décision du juge des référés, encore faut-il que les migrants en situation irrégulière puissent avoir accès à un avocat et puissent être mis au courant de leurs droits, ce qui est du ressort des pouvoirs publics. Les pouvoirs publics dont la responsabilité est ici engagée, n’informent quasiment jamais de leurs droits les migrants. Aucune aide judiciaire n’est prévue. Il en est également des mariages qui sont contractés sur le sol algérien, mariages le plus souvent religieux. Introduisant une infraction nouvelle «la fraude au mariage» la loi, sans prévoir aucune condition de validité du «mariage mixte» met à la marge de la société de nombreuses familles constituées de fait.
Subséquemment l’admission aux écoles des enfants de migrants n’est ainsi pas générale, l’accès aux soins non plus et on voit certaines administrations se faire les supplétives des services de sécurité dans la dénonciation de migrants irréguliers qui se rapprochent de telle ou telle institution. Les conditions des expulsions procèdent de pratiques inhumaines : elles sont précédées d’opérations de « nettoyage » comme celles qui ont touché par le passé la place Tchad à Tamanrasset, Dely Ibrahim à Alger, Oran à la veille de la réunion sur l’énergie de 2006. Elles sont suivies, rite sinistre, de passages de cellules en centres de détention qui prennent des semaines et parfois des mois, contrevenant aux dispositifs de la loi, détentions « finalisées » par l’entassement dans la promiscuité la plus totale sans distinction entre femmes, enfants et adultes, dans des camions à bestiaux, pour être abandonnés aux trois points de refoulement que sont : Aïn Guezzam /Assamkra au Niger, Tinzaouatine et Bordj Baji Mokhtar vers le Mali.