L’exploitation
de l’uranium dans le désert nigérien depuis une quarantaine d’années
n’a pas seulement permis le développement de l’industrie nucléaire en
France. L’activité minière dans les deux mines de la Somaïr et de la
Cominak, qui ont pendant longtemps fourni l’essentiel de l’uranium
utilisé en France comme combustible dans les centrales de production
d’électricité et des armes nucléaires, a été aussi à l’origine de la
création d’Arlit. Une ville dont les contrastes surprennent plus d’un.
Une ville pleine de contrastes
Arlit est l’exemple type d’une ville minière. La ville, devenue
aujourd’hui la commune urbaine d’Arlit, s’est en effet développée à la
suite de la découverte, dans cette partie du nord Niger, des gisements
d’uranium qui seront exploités à partir de 1969 par la société Société
des Mines de l’Aïr (SOMAÏR), puis la Compagnie Minière d’Akouta
(COMINAK) en 1978.
La commune urbaine d’Arlit, qui compte une population estimée à
83.227 habitants sur la base du dernier recensement effectué en 2001,
est située dans le désert du Sahara à 1150 km de Niamey. Deux parties
composent cette ville. Le camp de la cité d’Akokan qui abrite les
ouvriers et les cadres de la société Cominak distant de 6 kilomètres de
celui de la Somaïr abritant les agents de cette société du même nom.
A ces deux camps, se sont juxtaposées des habitations qui forment la
partie induite de la ville. Dans son ensemble, la ville présente un
double aspect : en même temps qu’elle est l’illustration d’une ville
minière, Arlit offre l’image contrastée des villes africaines. Le
contraste est d’abord remarquable au niveau des habitations. Que ce soit
entre les habitations des camps même, ou entre celles des camps et de
la partie induite. Dans les camps où sont logés les agents des sociétés,
la différence est remarquable entre les habitations en congloméra du
genre HLM des ouvriers et celles des cadres qui vivent dans des villas
cossues, les unes plus belles que les autres.
A la cité Akokan par exemple, les villas ceinturées par des arbres
créent un environnement qui fait oublier parfois la rigueur du milieu
désertique. Dans l’ensemble, ces cités constituent un cadre de vie assez
luxueux et attrayant. Infrastructures scolaires, hôpitaux, restaurants,
bars, esplanades pour les concerts, tout ce qu’il faut pour rendre les
soirées agréables pour ceux qui en ont le temps. Le temps est en effet
très précieux ici. Même s’ils le souhaitaient, les agents de ces
sociétés minières ne pourraient pas tous se retrouver sur les pistes de
danse du ‘’Cercle des cadres » et se trémousser au son de la musique de
Guez Band, l’orchestre de la Cominak. Au moment où certains ouvriers
descendent le soir, d’autres doivent les relever.
Les usines doivent continuer à tourner. C’est à ce prix que les
centrales qui produisent l’énergie électrique en France et l’industrie
nucléaire fonctionnent. La vie des agents des sociétés minières est
réglée suivant le rythme des usines. Adam, un jeune ouvrier qui vient
d’intégrer la Somaïr, s’habitue à ce rythme. Son père, un ancien ouvrier
de la même société, avait lui aussi suivi le même rythme pendant près
de 20 ans avant de prendre sa retraite et de s’installer dans la partie
induite de la ville. Aujourd’hui, c’est le fils qui réside dans le camp
des ouvriers de la Somaïr. Mais, comme le fait remarquer le jeune homme,
le camp dont les maisons ont vieilli ne présente plus le même confort
qu’au moment où il y vivait avec ses parents.
Mais
le contraste et le paradoxe sont beaucoup plus saisissants quand on
compare l’environnement et l’ambiance des cités des agents des sociétés
minières avec la situation de la partie induite de la ville. C’est cette
partie de la ville que l’on découvre d’abord en se rentrant à Arlit.
Ici, le voyageur qui découvre Arlit pour la première fois risque la
surprise. Cette partie de la ville offre en effet un visage qui
contraste énormément avec la renommée d’Arlit qui lui a valu le surnom
de ‘’petit Paris ».
Un nom qui ne seyait peut être à la ville qu’à une autre époque,
celle d’avant le développement qu’a connu aujourd’hui cette
agglomération. Quoi qu’il en soit, le décor de cette ville induite n’est
pas plus beau que celui des autres chefs-lieux de département du Niger.
La formation de cette partie de la ville remonte au début de
l’exploitation minière, en 1969. A côté de la cité des agents de la
Somaïr, faite de maisons uniformes, ont poussé au fil du temps les
habitations hétéroclites des gens attirés par l’espoir d’une vie
meilleure. C’est quasiment le même décor à Akokan, le camp des agents de
la Cominak. Ici également, la population a afflué à l’ouverture de la
mine à partir de 1978.
Les cases ou ‘’Boukoki » et les autres maisons en banco ont poussé
aux alentours du camp. A l’opposé des travailleurs des mines qui ont un
revenu acceptable et vivent dans un certain confort, ainsi que des
agents de l’Etat, la grande partie de la population d’Arlit vit dans
l’extrême pauvreté. Cette population, dont la grande partie n’a pas de
véritable activité, vit en effet dans des taudis. En dehors de ceux qui
exercent dans le commerce, et des rares personnes qui ont réussi dans
l’entreprenariat, la plus importante partie de cette population, qui
espérait trouver un Eldorado dans la ville d’Arlit, vit d’activités de
subsistance. Les uns sont employés comme domestiques chez les
travailleurs des mines.
D’autres, les plus chanceux, arrivent à trouver un emploi temporaire
dans les entreprises locales. Le décor, en ce qui concerne les ruelles
de la ville, est presque partout le même. Aucune voie bitumée dans la
ville. Même les deux cités minières ne sont reliées que par une piste.
Que ce soit dans la cité Akokan, de la Somaïr ou dans le reste de la
ville, l’on vit et circule dans la poussière rouge que soulèvent les
véhicules. Cette image de la cité minière a surpris, voire déçu, plus
d’un visiteur. ‘’En 2009, quand je découvrais Arlit pour la première
fois, j’ai été découragé dès l’entrée de la ville », raconte Oumarou, un
jeune fonctionnaire affecté dans un service de cette cité minière dont
il avait tellement entendu parler depuis son enfance.
La réalité d’Arlit, telle qu’il l’a découverte, n’a pas laissé
indifférent le préfet du département qui ne cache pas aussi sa surprise.
‘’De petit Paris, il n’en est rien. J’étais dépassé de trouver la
préfecture sans clôture, la ville sans tribune officielle ni hôtel digne
de ce nom », indique le Capitaine Seydou Oumarou. Un problème auquel
l’officier et l’administrateur délégué d’Arlit ont rapidement trouvé de
solution en faisant construire un mur de clôture pour la préfecture, une
tribune officielle en lieu et place du hangar qui en faisait office.
‘’Pas d’antagonisme, pas de progrès »
Cette situation d’Arlit constitue le repoussoir de la société civile
locale. Cette structure qui a vu le jour il y a une dizaine d’années, et
qui regroupe des ONG, des syndicats et des associations, s’est donné
pour objectif la défense des intérêts des populations d’Arlit, face aux
sociétés qui mènent des activités dans le département. ‘’Désormais, nous
entendons amener toutes les sociétés qui vont mener des activités ici à
prendre en compte les questions environnementales et de
développement », explique le secrétaire général de la coordination de la
société civile d’Arlit, M. Mamar Illatou.
‘’Rien n’a été fait pour le développement. Il n’y a que des actions
timides, alors que les sociétés minières exploitent l’uranium dans cette
partie du Niger, depuis une quarantaine d’années. Pendant ce temps, les
populations vivent dans la pauvreté et subissent les effets de la
radioactivité. Tous les projets de développement qu’initient l’Etat sont
orientés vers d’autres zones, car on pense qu’il n’ y a pas de
problèmes ici du fait de la présence de ces sociétés minières »,
s’indigne M. Abadramane Maoli, enseignant et coordinateur adjoint de la
société civile d’Arlit. L’évolution rapide et positive de la situation
d’Arlit suite aux actions vigoureuses de la société civile locale
conforte bien la thèse de Karl Marx qui soutenait que ‘’l'humanité ne se
pose jamais que les problèmes qu’elle peut résoudre. Le problème ne
surgit que là où les conditions matérielles pour le résoudre existent
déjà ».
Entre
2001 et 2003, la coordination de la société civile d’Arlit va organiser
des marches et des meetings dans la ville. De ces antagonismes va
résulter l’établissement d’un partenariat avec les responsables des
sociétés minières pour lesquels la société civile locale est devenue
désormais un interlocuteur privilégié. Pour formaliser ce partenariat,
un cadre, le comité bilatéral d’orientation a été créé. C’est au sein de
ce cadre, présidé par le préfet, et où siègent le maire de la commune
urbaine d’Arlit, la société civile, les représentants des services
déconcentrés de l’Etat et de la structure mutualisée d’Areva, que les
discussions sur les programmes à financer en direction des communes du
département ont été menées.
Pour financer les réalisations retenues, les sociétés minières
d’Areva ont mutualisé leurs moyens et constitué un budget, ce qui a
permis la création d’un département ‘’développement durable et
intégration dans les territoires ». Mais pour M. Ahadjira Salifou,
responsable en charge de ce volet, ‘’les sociétés minières ont toujours
répondu aux sollicitations des populations ». Sur la base des
conventions établies au sein de ce cadre, les communes des départements
d’Arlit ont reçu en appui au projet de développement local trois cents
millions (300 000 000) de FCFA en 2006, quatre cent cinquante millions
(450 000 000) en 2007 et, en 2008 et 2009, des financements de cinq
cents millions (500 000 000) de francs CFA. Ces financements, précise M.
Ahadjira Salifou, s’inscrivent dans la ligne de la Stratégie de
réduction de la pauvreté.
D’autres structures d’Areva, basées en France, financent également
des projets qui leur sont soumis, explique-t-il. C’est dans ce cadre que
s’inscrivent les appuis de la fondation Areva à la bibliothèque de la
commune urbaine d’Arlit pour un montant de cent soixante dix-huit
millions (178 000 000) de FCFA, l’électrification de quatre quartiers
d’Arlit et d’Akokan pour un montant de cent soixante quatre millions
(164 000 000) de FCFA, un appui pour la mise en place des structure de
micro finance pour un montant de quarante-quatre millions (44 000 000)
de FCFA, des bourses d’études en partenariat avec des écoles
nigériennes, des appuis dans le domaine de la santé et de
l’assainissement.
Au total, le fonds d’appui à l’initiative local a contribué, entre
2006 et 2008, au financement des infrastructures scolaires et sanitaires
et leur équipement en matériel et en médicaments, ainsi qu’à un soutien
aux activités génératrices de revenus, au sport et à la culture, pour
un montant total de un milliard deux cents millions (1 200 000 000) de
francs CFA. Le financement qui fait l’actualité au mois d’août dernier
est celui des travaux de bitumage sur près de 13 kilomètres dans la
ville d’Arlit pour un montant de deux milliards neuf – cents millions (2
900 000 000) de francs CFA.
Ces travaux devront enfin donner à la commune urbaine d’Arlit le
visage d’une ville digne de ce nom. Attendues depuis très longtemps, ces
actions n’ont été réalisées qu’après la lutte menée par la société
civile. ‘’ C’est vrai, la société civile est pour beaucoup dans
l’évolution de la situation », affirme le chargé du ‘’développement
durable et intégration dans les territoires d’Areva », M. Ahadjira
Salifou. ‘’Dans tous les cas, les choses devraient évoluer de tous les
côtés. Le monde est devenu aujourd’hui comme un village. Ce qui se passe
ailleurs est tout de suite connu ici. Les revendications qui ont été
posées ailleurs devraient se poser ici. Et les réponses données là,
inspirent également les mêmes démarches dans une autre partie du
monde », estime M. Ahadjira Salifou.
Une autre raison, explique-t-il, qui a présidé au financement des
actions au bénéfice des populations locales, est le contexte de
décentralisation. ‘’Le contexte de la décentralisation nous impose cette
nouvelle démarche. Les jeunes communes qui n’ont presque rien ont
besoin d’appui pour financer leur plan de développement »,
justifie-t-il. ‘’Maintenant, ce sont des approches projets, et non plus
comme par le passé où les aides allaient souvent à des individus. Ce
n’est jamais trop tard pour bien faire », estime le chargé du
développement durable et intégration dans les territoires d’Areva.
L’autre aspect de la lutte de la société civile porte sur le volet santé
de la population et surtout sur la question de la présence, dans la
ville d’Arlit, des déchets radioactifs liés aux matériaux provenant des
usines.
‘’Aujourd’hui, la question des déchets radioactifs n’est plus taboue.
Nous avons conclu un pacte quant à la nécessité de sécuriser la
population », souligne M. Abdrahmane Maoli. Dans ce sens, explique-t-il
des spécialistes procèdent à l’évaluation du degré de la radioactivité
dans la ville. Une démarche qui a déjà permis, selon cet acteur de la
société civile, de découvrir des matériaux souillés au niveau d’une
maison. D’ores et déjà, le recasement du propriétaire de la maison a été
pris en charge par Areva. Un observatoire de la santé a été également
mis en place pour suivre la santé des anciens agents et autres
travailleurs souffrant de maladies professionnelles. Mais à ce sujet, la
société civile critique la procédure, en mettant en doute la neutralité
du médecin qui, selon M. Abadrahmane Maoli, était déjà un employé
d’Areva.
Malgré les acquis obtenus, la société civile n’entend pas faiblir
dans sa lutte. Dans sa ligne de mire, toutes les sociétés qui mènent des
activités dans le département d’Arlit. ‘’Notre lutte ne vise pas
seulement Areva qui exploite les gisements d’uranium à Arlit et bientôt à
Imouraren. Les autres sociétés comme Goviex, ou même la Satom, sont
aussi concernées, car d’une manière ou d’une autre, leurs activités ont
des impacts sur les populations », martèle M. Mamar Illatou.
Mais maintenant, les représentants de la société civile n’occupent
plus la rue pour se faire entendre. Leurs préoccupations sont discutées
au sein du cadre de concertation, une structure qui regroupe, en plus
des représentants de la société civile, ceux des autorités locales et
d’Areva, et qui se réunit régulièrement.
VENDREDI, 10 SEPTEMBRE 2010
MOUTARI SOULEY, ONEP TAHOUA/AGADEZ