26 févr. 2013

Derrière la guerre, la décentralisation ratée



Si elle a fait reculer les milices, l’intervention armée française ne peut résoudre les causes profondes de la crise malienne. Ni les tensions entre peuples du Nord et du Sud-Mali. Coincée entre le rêve lointain d’un Azawad – la nation touarègue – indépendant et le risque, bien réel celui-là, d’une spirale guerrière, la société civile tente désespérément de faire entendre une voix différente. Pragmatique. Centrée sur la cohabitation et le développement de la région. 
Hamadi Ag Mohamed Abba dirige l’ADJMOR, une ONG basée à Tombouctou et spécialisée dans l’accompagnement d’initiatives locales de développement. Réfugié en Mauritanie depuis février 2012, le Touareg voudrait voir les peuples du Mali se dessiner un avenir commun dans l’acceptation de leurs différences. Nous l’avons rencontré à Genève, lors d’une rencontre de l’Organisation mondiale pour la propriété intellectuelle (OMPI) sur les questions autochtones. 
La violence politique a une longue histoire au Nord-Mail. Comment décririez-vous cette conflictualité?
Hamadi Ag Mohamed Abba: En effet, le problème vient de loin! Depuis l’indépendance en 1960, les insurrections se suivent et les accords de paix ne répondent jamais aux attentes de la population. Depuis 2012, le problème a pris une nouvelle dimension, avec le retour de nombreux hommes de Libye. Le problème dépasse la question touarègue, il concerne toutes les populations – Songhaï, Peuls, Touaregs... – du Nord-Mali, ou de l’Azawad, comme vous voulez l’appeler. Ces populations partagent les mêmes difficultés. 
Quelles sont ces attentes trahies?
En 1992, des accords signés avec l’aide de l’Algérie avaient marqué le début de la décentralisation. Or, celle-ci a vite montré ses limites. L’implication des habitants dans leur développement est infime. Tout se décide et se conçoit à Bamako. Les projets sont menés par des personnes venues de la capitale.
Les autorités ont toujours affirmé que le conflit du Nord est dû à une communauté touarègue qui refusait de s’intégrer, d’être administrée par un Etat dominé par des Noirs. Ce n’est pas la réalité. Tous les soulèvements ont exigé des changements dans la mise en œuvre des politiques de développement local. A dessein, le Mali entretient la confusion autour de la nature du conflit. 
Faut-il changer les institutions? Ou est-ce l’argent qui manque?
Le Mali, on le sait, est un pays pauvre. Environ 90% des projets de développement au Nord dépendent de l’aide étrangère. Mais ces fonds sont parachutés à Bamako et, avec la corruption qui y règne, ils se volatilisent.
Dans ce contexte, vous prônez une autonomie de l’Azawad.
Attention: je ne rentre pas sur ce terrain. De toute façon, les réfugiés ne sont jamais partie prenante dans les négociations. L’autodétermination est la revendication de l’insurrection (le Mouvement national de libération de l’Azawad, MNLA, ndlr). Nous, la société civile, réclamons que le Conseil de sécurité de l’ONU exige du Mali une résolution juste et durable. La communauté internationale qui finance l’essentiel des projets de développement doit faire en sorte que ceux-ci soient mis en œuvre par les populations de la région. Il y a urgence! La société civile est en crise, elle est lassée de devoir se réfugier à cause d’une rébellion ou de la sécheresse. Le tissu social, culturel et économique de l’Azawad est déstabilisé. En 1992, 200 000 Touaregs ont dû s’enfuir. Et à nouveau en 2012. ça ne peut pas continuer.
Que s’est-il passé début 2012?
Après l'échec de plusieurs médiations proposée depuis Bamako, je pense que le MNLA a fait l’appréciation suivante: en l’absence d’une majorité politique au Mali prête à ouvrir une négociation, la seule option est de reprendre les armes. Or, contrairement aux rebellions précédentes, l’offensive n’a pas débouché sur des négociations mais sur l’effondrement de l’Etat après le putsch. Le MNLA a donc déclaré l’indépendance. Puis a été supplanté par les groupes islamo-terroristes.
La poussée des islamistes armés a surpris. Est-ce un phénomène importé ou un symptôme de la crise touarègue?
Ces groupes existent depuis une dizaine d’années. Ils sont impliqués dans le trafic de drogue, on voit régulièrement des avions se poser dans la région avec la complicité de certains acteurs officiels maliens. Bien avant 2012, l’insécurité était devenue l’un des soucis majeurs des habitants, l’Etat de droit se délitait. Mais avec la chute de Kadhafi, ces groupes ont été renforcés en armes et en personnel.
L’un de ces groupes1, qui a pris le contrôle du Nord-Mali, est aussi composé  de nombreux Touaregs. Et son chef était dans la rébellion jusqu’à récemment. Comment expliquer cette proximité?
Je ne connais pas bien ce mouvement. S’il y a eu collaboration, elle fut de circonstance. Je ne veux pas commenter ces groupes, le monde entier a pu en constater la nature... 
Mais y a-t-il eu une stratégie commune entre les indépendantistes et les islamistes?
Je ne le pense pas. Il y a eu la constatation commune qu’il y avait une brèche dans l’armée malienne et chacun a essayé de s’engouffrer. 
Qu’est-ce qui fait la force des groupes islamistes?
L’argent. La majorité de leurs membres n’ont pas été recrutés par idéologie mais par intérêt. 
D’où vient cet argent?
D’abord des enlèvements, puis du trafic de drogue.
Comment la population a-t-elle vu l’intervention française au côté de l’armée malienne?
Comme un soulagement, car elle a permis de chasser les terroristes, mais aussi avec crainte. Les exactions n’ont d’ailleurs pas tardé (lire ci-dessous). 
Comment voyez-vous évoluer les relations entre les peuples du Nord?
J’insiste: ces relations sont plutôt bonnes. Evidemment, elles souffrent de la politique de division de l’Etat malien. 
Ne pensez-vous pas que la guerre laissera des traces? Il y a eu des violences interethniques. 
Tous les groupes armés ont leur part de responsabilité dans la souffrance des populations de ces régions. Cela dit, à notre connaissance, le MNLA a pris les armes et expulsé l’armée sans toucher un cheveu d’un civil. On ne doit pas faire d’assimilation avec les djihadistes. De l’autre côté, c’est l’armée malienne, ou des milices dominées par elle, qui s’en sont pris aux Touregs, pas les civils. 
Qu’attendez-vous de la communauté internationale?
Nous demandons que le Conseil de sécurité oblige le Mali à passer un accord politique et à stopper les appels à la haine, afin que les réfugiés puissent rentrer chez eux en sécurité. Il faut que les auteurs de crimes soient jugés. Chose qui n’a jamais été faite: depuis 1960 à chaque répression, les coupables finissent bardés de médailles. 
A quoi pourrait ressembler un accord entre Touaregs et Maliens?
Je le répète: il ne s’agit pas d’un problème touareg, c’est une question de bonne gouvernance et de développement. La négociation concerne l’ensemble des peuples de la région.
Je pense que le Mali devrait admettre que la partie nord est physiquement, culturellement et socialement différente. Si la communauté internationale amenait le Mali à comprendre cela, on irait vers une solution. Quelle que soit la structure institutionnelle qui serait retenue.
Le gouvernement malien vous semble un partenaire fiable?
Le gouvernement actuel est loin d’avoir toutes les cartes en mains. Idéalement, il faudrait des élections pour qu’il acquière une légitimité. Mais que vaudrait un tel scrutin alors qu’il y a des milliers de réfugiés? On n’a donc pas le choix: il faut commencer par un accord politique qui mette fin aux exactions et permette le retour des réfugiés.

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