I. Courtes considérations sur les crises africaines
Au Mali,
deux grands principes s'affrontent : le despotisme oriental, dans sa
forme la plus exacerbée, et le politique comme destin de l'Afrique
noire. Ce n'est en rien une guerre de religions, entre les branches de
l'Islam ou entre ceux-ci et le Christianisme.
En réalité, le Mali n'est que le terrain où apparaissent et se déroulent les premiers actes d'une insidieuse confrontation entre le Moyen Orient et l'Afrique, autour de la question géostratégique du Sahara. Qui contrôlera cet immense désert sera l'un des prochains maîtres du monde.
En réalité, le Mali n'est que le terrain où apparaissent et se déroulent les premiers actes d'une insidieuse confrontation entre le Moyen Orient et l'Afrique, autour de la question géostratégique du Sahara. Qui contrôlera cet immense désert sera l'un des prochains maîtres du monde.
Ce conflit
suit immédiatement la période de désintégration des souverainetés
africaines et ouvre une époque nouvelle, dont l'enjeu essentiel est la
viabilité voire l'existence même des États en Afrique noire.
Au vrai,
le Mali n'est plus un État indépendant, si ce n'est par l'apparence des
attributs. Il ne peut garantir ses frontières, sa classe politique est
anéantie et l'ensemble du corps social est désemparé. Le Mali n'a plus
les moyens de sa propre existence et ne doit sa survie, si l'on en croit
ses hommes politiques, qu'à l'intervention de son ancien colonisateur.
Aussi affligeant soit-il, ce constat pourrait être étendu à la
quasi-totalité des États francophones d'Afrique noire. En effet, en
matière de sécurité intérieure et extérieure, la France porte à bout de
bras toutes ses anciennes colonies. Le Mali en est l'exemple le plus cru
et le plus éclatant. Cruelle ironie de l'histoire, jamais la
FrançAfrique n'a été aussi forte.
Au reste,
il y a quarante-trois ans, à Paris, Franklin Boukaka chantait ses
« lamentations » africaines, avec Ayé Africa. Ce titre, sa triste
mélodie et ses paroles restent dans les mémoires, parce qu'ils mettaient
déjà au jour le dévoiement des États africains, dix ans à peine après
les indépendances. Les premières paroles établissent un constat sans
équivoque : Ayé é Africa, Eh é é Africa, O oh lipando.
Pour les
nations, être dans l'histoire, y rester, persister, y tenir une place,
c'est s'organiser en État. En un État viable et fiable. Aussi
controversé soit-il, le Discours de Dakar ne voulait pas dire autre
chose. La Crise malienne révèle la fragilité des États africains. Et la
communauté des sciences sociales africaines, si prolixe en d'autres
occasions, s'est enfermée dans un assourdissant mutisme, quand on se
rappelle de son vent de colère soulevé par le Discours de Dakar. Sous ce
rapport, le silence d'Adame Ba Konaré est frappant.
Somme
toute, la crise malienne conforte les « lamentations » de Franklin
Boukaka et elle juge sévèrement Amadou et Mariam, dont la belle
innocence vante les dimanches de mariage à Bamako.
En tous
les cas, avec et après la Crise malienne, l'Afrique ne sera plus la
même. Il s'agit d'un tournant dont on n'entrevoit pas encore la
portée, tournant aussi important et décisif que de celui de 1989, qui
vit l'écroulement du monde soviétique. Une nouvelle carte des nations
est en cours de distribution. Les États africains impotents ne
résisteront pas.
II. Quelques causes majeures de la crise malienne
Le Mali ?
Vaste territoire, en Afrique de l'ouest, à la charnière de deux
« mondes », arabe et noir. Ex-colonie française. Un État pauvre et un
pauvre État. Les institutions publiques n'y sont plus qu'un amas
chaotique ou des structures de vacarme. Pire, l'idée de l'État y a
disparue. Il n'en reste que le squelette, une apparence totalement
décharnée. Le Mali n'a pas échappé à une vérité universelle : un État
qui ne se nourrit pas de « l'idée de l'État », un État qui donc ne
repose pas sur lui-même, cet État-là entre en décomposition, de façon
inéluctable. Il n'y a pas de magie, mais des règles objectives dans
l'histoire des peuples et des nations.
S'il n'y a
pas d'État, comment pourrait-il y avoir de « Chose publique », de
Ré-publique ? Tout est privé, ou du moins est conçu et géré comme une
affaire privée. Le caprice et l'arbitraire sont maîtres au Mali. Lorsque
[la] vertu cesse, dit Montesquieu, [...] la République est une
dépouille. Le Mali est face à cette vérité. Or, s'il n'y a ni État ni
République, sur quels fondements solides peut reposer la Démocratie ?
Partout est admis qu'une nation ne se gouverne que par les lois. Là-bas,
la « chose publique » ne s'appuie pas sur la « vertu » ou sur les
« lois », mais tout à l'opposé sur les « grins », qui valent plus que
les partis politiques. Qu'est-ce que cela qui, tout en étant informel,
est au-dessus du formel, c'est-à-dire des partis politiques et des
institutions ?
Le
« grin » au Mali, écrit Seydou Keïta, est une habitude sociale de
rencontres régulières entre amis, à la limite entre le « privé » et le
« public » ; ce qui revient à admettre que le grin abolit, de fait, la
grande distinction républicaine entre le « privé » et le « public ». Ils
constituent des espaces importants du tissu social. Une sorte d'arbre à
palabres, où l'on rend des combines d'arbitrage, où se font et se
défont les arrangements de complaisance, où se recrutent les dirigeants.
La République y est malmenée. Une telle invention, dont on entrevoit le
danger et les effets dévastateurs, a fini par éroder l'ensemble des
institutions publiques.
Pour s'en
convaincre, relisons la présentation qu'en fait Seydou Keïta : Les grins
des jeunes, écrit-il, ne sont pas les seuls à être impliqués dans les
activités politiques. Les aînés ont aussi leurs grins. Ils reposent sur
des affinités parentales, de promotion, de ressortissants d'un même
village, des bases ethniques, ou même des relations de travail.
C'est en
leur sein que sont véhiculées les idéologies politiques. Les différentes
stratégies politiques d'ascension au pouvoir sont élaborées en leur
sein, de même que les oppositions et les clivages politiques se
retrouvent dans des grins différents. Les recrutements politiques
commencent dans les grins. Ils constituent les noyaux des associations
et partis politiques.
Il y a une
relation asymétrique entre les grins des jeunes et ceux de leurs aînés.
Les premiers sont au service des seconds sur la base du patronage. Les
représentations populaires au Mali ne disent-elles pas que le
Gouvernement lui-même n'est formé essentiellement que des membres d'un
même grin ? Cela dénote de la prégnance d'un tel regroupement dans la
vie sociale des cités maliennes.
Malgré la
pertinence de cette présentation et tout l'intérêt de l'analyse, comment
ne pas s'étonner que l'auteur ne songe pas, l'ombre d'un instant, à
indiquer les périls antirépublicains et les risques anti-démocratiques
que les grins font peser sur l'ensemble des institutions publiques,
jusques y compris la formation des gouvernements ? Ses arguments
auraient dû le conduire à dire que, au Mali, les gouvernements ne sont
que l'expression des grins. Quel scandale !
Au Mali,
la corruption a tout emporté, particulièrement la citoyenneté et le
patriotisme qui rendent seules savent rendre vivantes les institutions
républicaines. C'est le mal qui gangrène tout le corps social. La
corruption est plus forte et mieux enracinée, que partout ailleurs dans
la sous-région.
« L'affaire
Saïdi » (SICG Mali) est un exemple éloquent. Ce promoteur ivoirien
d'origine libanaise, après avoir construit les Halles de Bamako et
quelques programmes immobiliers, s'est vu spolié et dépossédé de ses
droits élémentaires. « L'affaire Saïdi » suffit à elle seule à illustrer
la nature, le degré, l'étendue et les méthodes de la corruption.
Dans cette
injustice organisée, hormis quelques journaux, dont La Dépêche aux
titres évocateurs, tous se sont liés pour le dépouiller : et le
gouvernement, et l'administration, et les banques, et la Justice qui,
dans une ligue d'intrigue, lui ont « pris » 25 milliards de Francs CFA.
Citoyens maliens et amis du Mali, « la patrie est en danger », et pas depuis janvier 2013. Il y a longtemps déjà.
En effet,
si la chronologie politique de la dictature militaire (1968-1991), avec
tout son lot d'arrestations arbitraires, d'abus de pouvoir, de
suppressions brutales des libertés individuelles et publiques, de
gabegies, de concentration des pouvoirs dans les mains d'un seul, si ces
pratiques liberticides montrent l'affaissement progressif des
institutions, il n'en reste pas moins vrai que le régime ATT qui a
succédé à la Deuxième République, et qui n'eut de république que le nom,
n'a rien réglé des grands problèmes du Mali (crise sociale, question
Touareg, etc.).
Car, il
n'y pas pire mal, pour une nation, que la corruption des mœurs
publiques, auquel rien ne résiste et qui ravage tout. Rien ne résiste
donc à la corruption, sinon la vertu. Il n'y a nul autre remède. C'est
pourquoi, à sa manière et fort justement, Cabral dira : en Afrique, il
suffit seulement d'être honnête.
C'est cela
« l'esprit public », l'intérêt général. Tout le reste coule de source :
le repos public, la solidarité, la croissance, le développement,
l'alternance politique, etc. Un État juste est invincible. Car tous ses
membres savent ce qu'ils ont à défendre.
Alors, au
Mali, que voulait-on qu'il advint ? Le 25 mars 2012, un
capitaine-sans-projet et une poignée de soldats dotés d'un matériel
militaire d'occasion renversent un régime qui, depuis longtemps, ne
reposait que sur du « bois pourri ». En une demi-journée, la dépouille
d'un État, d'une République et d'une Démocratie a été incinérée.
C'est que
ces trois structures étaient déjà moribondes, quand elles furent
frappées. Le capitaine-sans-projet, pourrait-on dire, n'y est pour rien.
Il n'a fait que révéler à la face du monde stupéfait, et avec une
déconcertante facilité, toute la putréfaction d'un régime qui, en deux
mandats présidentiels, a épuisé et vidé la belle citoyenneté malienne.
Qui ne se
souvient, en effet, et avec une émotion sublime, de la vigueur citoyenne
qui emporta la dictature militaire de Moussa Traoré ? La jeunesse y
prit une part déterminante. Mais, où sont-ils ces jeunes citoyens qui
s'étaient légitimement arrogé le droit à l'insurrection au nom de
l'amour de la patrie ?
L'amour de
la liberté, écrit Mably, suffit pour donner naissance à une
République ; mais l'amour seul pour les lois peut la conserver et la
faire fleurir, et c'est l'union de ces deux sentiments que la politique
doit faire par conséquent son principal objet. C'est tout le contraire
qui a été engagé.
Qu'a-t-il
été fait de cette jeunesse malienne, une des plus conscientes du
continent noir ? Je la reverrai toujours défiler dans Bamako à l'annonce
de l'assassinat de Cabral, le 20 janvier 1973. Où est cet esprit de
liberté de l'Association des élèves et étudiants du Mali de ce juin
1990, qui anima les journées républicaines du 21 au 26 mars 1991,
réprimées dans le sang, et aboutirent à la chute du dictateur ?
Où est la
force des manifestations estudiantines du 5 avril 1993 ? Et l'élan de
liberté et de justice qui porta les journées du 3 au 15 février 1994 ?
Et toi Birus, où es-tu donc ? Il me souvient de notre dernier entretien,
à Bamako, sur les valeurs qui font vivre la République ?
Et toi
l'ami, Anatole Sangaré, soldat droit et militaire de devoir,
représentant de la communauté catholique du Mali ? Je garde trace de la
dédicace que tu me fis, le 24 décembre 2003, à la Gare du Nord, à Paris.
Et vous Kafougouna Koné, oiseau du ciel, où sont vos Migs ? Je me
revois dans votre ministère, où vous me fîtes l'amitié de me recevoir.
Et vous Aminata Traoré, Marianne du Mali, qu'attendez-vous pour tonner,
de votre voix forte qui traduit votre éthique des convictions ? Et
combien d'autres vaillants Maliens !
C'est
pourquoi le spectacle est triste de ne voir aucun sursaut d'orgueil
national. Accepterez plus longtemps que la presse
politico-anthropologique (Pascale Boniface, Antoine Glaser, Stephen
Smith, etc.) et les médias du monde diffusent, à longueur de journée,
des témoignages de Maliens désemparés remerciant la France et appelant
les pays voisins au secours, comme s'ils avaient perdus toute ardeur au
combat pour la liberté ?
Quel
affligeant spectacle offert par Tiéblé Dramé, ex Premier ministre, sur
les plateaux de France 2 allant jusqu'à oublier que seul un peuple libre
se ibère de son dictateur ou se délivre de ses envahisseurs. La France
ne peut faire la guerre du Mali à la place du Mali. N'aurait-il pas pu,
lui, présenter la France comme l'allié du Mali ?
L'honneur
eut été sauf. Mais il ne le peut, parce qu'il ne croit plus en son pays,
en son peuple. Le Mali a « prêté son palabre » à la France. Il est des
délégations honteuses.
Aux
sombres heures de la France, lorsque les Nazis, après avoir percé
Maginot, enchaînèrent l'État français, il s'est trouvé un homme qui
réapprit à son peuple ce qu'est l'idée de l'État dont parle Hegel.
Aussi, pendant que j'écoutais Tiéblé Dramé, je revoyais un autre
spectacle, plus digne celui-là, La Pepa de Sara Baras, dont le Flamenco
retrace l'exploit espagnol face aux troupes napoléoniennes.
C'est
qu'un peuple libre est invincible. Un peuple qui a été libre une fois,
l'est pour toujours. Et lorsqu'il a renversé une dictature, que peut-il
craindre ?
Pauvre
Etat, car au Mali l'amour de la liberté et l'amour pour les lois ont été
perdus, sous le régime précédent. En 2004, alors qu'à renfort d'oukases
et de batteries la presse politico-anthropologique louait le régime
ATT, j'interrogeais gravement : Le Mali, pour combien de temps encore ?
En effet,
tous les prophètes de flatteries qui savent si bien prendre demeure dans
les cabinets présidentiels et les chancelleries, tous les spécialistes
français de l'Afrique qui occupent les médias et jusqu'à
l'assourdissement de masse entretenue par la presse internationale,
tous, vantaient les mérites du régime ATT comme modèle à suivre, mais
qui dans son fond n'était qu'un système qui vidait de leur substance
éthique l'État, la République et la Démocratie.
Aucun
d'eux ne voulut voir ni entendre. Chacun voulait tromper ou, pire, être
trompé. Tout le monde le sera. Car enfin, si un capitaine-sans-projet
parvient si facilement à renverser un régime « modèle », mais qui en
vérité a fini comme il a commencé dans la farce, comment imaginer que
les débris de ce régime et un capitaine-sans-projet puissent résister à
Aqmi, à Ansar Dine, au Mujao, à Boko Haram, etc., qui, au Sahel, ont
formé une dendrite internationale, très disciplinée, aguerrie,
solidement armée et surdéterminée, avec une inouïe volonté d'expansion
« religieuse » ?
Personne
ne voulut voir la lente et inexorable érosion des institutions et
l'entreprise d'affaiblissement de la citoyenneté et du patriotisme
maliens. Les sourds d'hier s'émeuvent aujourd'hui de ne pas entendre
L'Etat. Tous feignent d'ignorer et s'étonnent de l'absence d'une « Armée
sans armes ».
On est
dans quoi-là ?, aiment à dire les Ivoiriens quand l'absurde dicte sa
courbe aux événements. Constat de bon sens : il eût coûté moins cher au
Mali, à la France et au monde aujourd'hui, si l'armée malienne avait été
dotée de matériel militaire et instruite dans l'art de la guerre.
Et, avec
délectation, les reportages télévisés français en rajoutent, qui
montrent à l'opinion publique européenne des soldats maliens ébahis à la
vue d'un hélicoptère, ou un militaire malien à l'entraînement et
feignant de tirer, et qui, faute de minutions, reproduit le bruit des
balles.
Ou encore
l'Armée française qui, après avoir chassé les rebelles de Gao et de
Tombouctou par les bombardements aériens, stoppent net leur avancée aux
portes de ces villes et invite l'armée malienne à y entrer et à en
prendre possession.
Quel
spectacle ! On avait connu la drôle de guerre. Là, nous voyons une
guerre drôle. Pauvre Mali, qui, à la face du monde, joue avec son propre
sort !
Nous
payons en drames et en vies humaines, en recul de croissance et en
expansion de la pauvreté, en foule de réfugiés, en famine, en
instabilité politique et en misère médicale, ce que les responsables
n'ont pas voulu voir. Et si nous n'y prenons garde, peut-être
assisterons-nous à la formation du premier État islamiste de l'Afrique
dans le Sahel. Alors, prenons garde !
Car les
mêmes qui, hier, ne voulurent pas voir les difficultés maliennes se
répandent à présent en longs discours d'explication et justifient leur
erreurs d'analyse et de décision par la guerre française au Mali. Aucun
d'eux, bien étrangement, ne parle de la Société civile. Mais c'est
d'abord d'elle et de l'Armée malienne moquée que viendra ce qui sauve.
III. François Hollande et l'Occasionalisme de Malebranche
M.
François Hollande aurait donc eu raison d'intervenir. Il l'aurait fait à
temps. Quelques jours plus tard, dit-on, il n'y aurait plus de Mali.
Ainsi, en une semaine un État peut disparaître. Et tout ce que
l'histoire universelle n'enseigne pas (disparition subite des États),
nous devrions donc l'accepter et nullement le contester ?
Mais,
aussi difficile que soit une situation, aussi grand que soit le péril,
il n'est aucun argument d'autorité qui puisse ou ne doive affaiblir
l'esprit critique, cet exercice banal de la raison naturelle.
Appelons
ici Bossuet, dont l'un des grands enseignements est précisément ce qu'il
appelle la science des temps. Il est, dit-il, du devoir du prince de
savoir penser et agir à propos, ni avant ni après, mais au bon moment.
Les Grecs
anciens nommaient cela le kairos, le temps opportun. La France
s'est-elle conformée à « la science des temps » ? Le président François
Hollande a-t-il décidé selon le kairos ?
Plus d'un,
à droite et à gauche, lui reprochent de n'avoir pas fixé un cap et des
objectifs, d'où ses changements continus. A première vue, les faits leur
donnent raison. En effet, François Hollande n'avait-il pas publiquement
affirmé que la France ne s'engagerait pas au Mali, comme en République
Centrafricaine, au motif qu'elle n'a plus vocation à être le gendarme de
l'Afrique ?
Or, dès la
prise de Konna par les Islamistes et la désinformation de sa reprise
par l'Armée malienne, il a d'autorité constitutionnelle engagé la
France, en déclarant que cette implication ne se limiterait tout au plus
à un appui logistique et aérien, dans le but de stopper l'avancée des
Islamistes qui se dirigeaient vers Bamako où réside une forte communauté
française.
Puis, quelques jours plus tard, contradiction nouvelle, il décide d'engager au sol près de trois bataillons français.
En outre,
après avoir indiqué que cette intervention serait de courte durée et
localisée, il affirmera qu'elle durera autant que nécessaire et sur
toute l'étendue du territoire malien. Toutes ces variations lui ont valu
un double reproche : improvisations (impréparation, organisation
sur-le-champ, hâtive, absence de vision) et imprévisions (défaut de
prévision, peu de maîtrise des événements).
A première vue, ces tâtonnements semblent indiquer une série d'improvisations doublée d'une suite d'imprévisions.
Si tel
était le cas, nous pourrions légitimement en être choqués, parce qu'il
n'entre pas dans les usages républicains que le Chef de l'État français
ne fixe pas de cap ni d'orientation, alors que la Constitution lui
confère cette prérogative quasi monarchique.
Mais, au
fond, ne serions-nous pas tout simplement en présence d'un Président
qui, de façon inconsciente ou non, et contre toute attente, ne ferait
que mettre en pratique, au cœur du champ politique français,
l'Occasionnalisme de Malebranche ?
Selon
Nicolas Malebranche, le monde n'est régit que par des causes
occasionnelles que Dieu met savamment à profit, pour agir dans
l'histoire. Par conséquent, les causes réelles des actions individuelles
et collectives échappent aux hommes.
Tout n'est
qu'occasion pour Dieu, c'est-à-dire moment d'intervention dans le cours
du monde. Dans le Tout réside les « occasions » qui ne sont que des
causes pour ainsi dire fictives, des causes qui ne sont pas effectives ;
et parce qu'elles sont sans effet, elles ne sont pas véritables.
Pour
Malebranche, à l'opposé d'Aristote, il ne peut donc exister de causes
substantielles (existant par elles-mêmes), puisqu'elles sont toutes
« occasionnelles ». L'Occasionalisme est le système de causes
occasionnelles.
A bien
observer, François Hollande semble avoir complètement laïcisé cette
conception malebranchiste, pour l'appliquer au champ politique.
En effet,
pour la première fois, qui plus est en République française, un Chef
d'État développe, de façon méthodique, une ligne politique qui se donne à
voir comme une suite combinée d'occasions.
Cette
politique, qui laisse circonspect, peut se définir, d'une part, comme le
rapport entre les occasions, et, d'autre part, la gestion même de ce
rapport. On comprend mieux pourquoi le Premier ministre de son
gouvernement apparaît autant en déphasage.
Car là où
François Hollande attend les occasions, Nicolas Sarkozy, lui,
recherchait ardemment des « dossiers » ou des « cas » voire même les
suscitaient.
Ainsi,
l'affaire de l'Arche de Zoé n'était pour Nicolas Sarkozy qu'un « cas »,
un casus, un événement, dans lequel retentissait l'ancien cadere qui
signifie « tomber ». Tout « tombe », pour Nicolas Sarkozy. Aussi
conçoit-il les « cas » comme des faits « accidentels » qui ne peuvent
être relevés que par une technè, un savoir-faire technique porté par une
énergie personnelle qui porte aux excès, quand François Hollande ne
saisit que les occasions, et ce en autant d'événements « nécessaires »
(qui s'imposent par eux-mêmes) auxquels il doit simplement s'ajuster.
Une telle
différence concerne le fond, c'est-à-dire la manière d'être, et n'est
pas seulement la forme ou le style, comme les politologues s'efforcent
de nous le faire croire. Pour ces derniers, cette conception
occasionnaliste est incompréhensible, parce qu'ils leur manque les
fondamentaux de la pensée.
Il y a
chez François Hollande une fiance affirmée dans les occasions et les
causes occasionnelles. Sa longue « absence » politique après sa victoire
à la présidentielle, et qui a tant inquiété, n'a duré que le temps que
surgisse une occasion.
Ainsi
a-t-il appréhendé la crise du Mali comme une cause occasionnelle, et
l'on ne saurait expliquer autrement le caractère individuel et solitaire
de sa décision d'agir, tout comme la promptitude de son engagement
militaire et l'étonnement que ces deux faits ont suscité.
Car
l'occasion se suffit à elle. Elle est érigée en « principe de raison ».
Florange, par exemple, ne surgit pas comme une occasion, mais plutôt
comme un « cas », ce qui ne peut vraiment l'intéresser. C'est le domaine
du Premier ministre. Il suffirait que ce « cas » se transforme en cause
occasionnelle, pour qu'il s'en empare aussitôt et s'y implique.
Quant au
« mariage pour tous », il n'est ni une cause occasionnelle ni un
« cas », d'où les atermoiements de François Hollande qui en confie la
responsabilité à la représentation nationale.
En revanche, l'affaire Dominique Strauss Khan fut pour lui une cause occasionnelle, dont il a su si bien tirer parti.
Au fond,
il ne semble pas croire en la grâce, en la prédestination à la manière
du protestantisme. Tout n'est pour lui qu'occasion, comme l'affaire
Florence Cassez ou le controversé impôt à 75% spontanément sorti d'une
occasion.
Les
exemples d'occasions et de causes occasionnelles pourraient de la sorte
être multipliés, pour de montrer comment ils jalonnent et structurent sa
carrière politique. Cette problématique est la matière d'un essai en
cours de rédaction, Hollande et l'Occasionalisme de Malebranche.
Mais on
aurait tort de croire que ce trait personnel est totalement déconnecté
de la réalité nationale. Outre le fait qu'il prend racine dans une
tradition théologico-philosophique française, celle de Malebranche,
cette inclination correspond à une caractéristique culturelle bien
française. En effet, comme le prétend Bruno Pinchard Les Français sont
des occasionnalistes. Mais le savent-ils toujours ?
IV. Répercussions libyennes
Reprenons
le fil de nos propos sur le Mali, en opérant une courte digression sur
la Libye. L'aveuglement libyen de Nicolas Sarkozy, qui ne voulut pas
voir les liens organiques entre la Jamahiriya libyenne et ses États
voisins, en particulier le Mali, est lourd de trop de conséquences.
Outre
qu'elle partage une longue frontière avec le Mali, la Libye avait été
une terre de refuge pour les Touaregs maliens, après 1980, où nombre
d'entre eux furent enrôlés dans les armées de la Jamahiriya. Et nous
savions le rôle de médiateur que le Colonel Kadhafi tenait dans la
vieille crise entre Bamako et l'Azawad.
Fallait-il
être grand clerc pour imaginer qu'une déstructuration de la Jamahiriya
aurait mécaniquement une répercussion sur le Mali, déjà fragile ? Qui
ignorait la présence de Djihadistes dans les Sahel ? Mais il n'y a pas
pire sourd que celui qui ne veut pas entendre, surtout s'il est entouré
de conseillers muets. Ainsi, la confusion organisée en Libye, dont nous
n'avons pas fini de payer le prix, a gagné le Mali en y produisant des
détonations bien plus fortes.
A présent,
au Mali, mélangé, tout est mélangé, pour reprendre le mot d'une
caricature ivoirienne. M. Nicolas Sarkozy et les Nations Unies ont tapé
dans la Jamahiriya comme on frappe du pied une fourmilière. Il y avait
d'autres options.
Ainsi
ont-ils indûment armé les opposants et accepté la mobilisation de
Djihadistes qui avaient en horreur le Livre Vert, dont la ligne
politique est socialiste et la vocation affichée était de se substituer à
la Sunna. Que croyons-nous qui devait arriver ? Car le colonel Kadhafi,
bien informé des équilibres de la sous-région, avait averti.
Mais, les
prophètes des flatteries, la cohorte des spécialistes de l'Afrique et un
philosophe fatigué dirent en chœur leur exodos : '' regardez, peuples
de la terre, comment un dictateur n'est qu'un menteur et de quelle
manière il est puni ''. Bossuet a raison de dire que tout prince doit se
défier de ses conseillers qui donnent des conseils pour eux-mêmes.
Par
exemple, très fatigué, Bernard Henry Levy conseillait Nicolas Sarkozy
pour lui-même, comme le montre si bien les Guignols de l'Info.
Aujourd'hui, s'agissant du Mali, tous ces conseillers ont « trouvé » une
nouvelle cause explicative : la question Touareg. Mais au Mali, le
problème premier et le seul, c'est le Mali.
V. Les cinq crises maliennes
La Crise
malienne est une dialectique de cinq grandes crises, qui ont formé un
écheveau difficile à démêler. Énumérons ces crises:
Tout
d'abord, une « crise politique » sans précédent, dont nous avons rappelé
les grandes lignes (faillite de l'État, dépouillement de la République
et extinction de la Démocratie), qui débute avec le coup d'état
militaire du 19 novembre 1968 ;
Ensuite,
une « crise sociale » marquée par le sous emploi et la précarisation
constante des populations et la formation d'une diaspora de travail ;
Puis, une
« crise de la religion » qui, d'un côté, voit s'affronter l'Islam
africain (laïc et tolérant) et l'Islamisme d'origine moyen-orientale
(salafisme djihadiste), et, de l'autre, fait peser une menace sur la
petite communauté chrétienne.
En outre,
une « crise ''raciale'' » ou plus exactement phénotypique entre Arabes
et Noirs, sur le modèle du Soudan, dans laquelle prévaut l'argumentation
ethniciste qui peut être conçue à bon escient, comme le fait Ed. Bernus
lorsqu'il affirme que le pays Touareg [...] constitue un pont entre le
Maghreb et l'Afrique noire, ou alors pour susciter de stupides conflits
ethniques, en agitant les différences phénotypiques comme autant de
facteurs essentielles.
Enfin, la
« crise du transit des narcotiques » mis au jour par la ''stupéfiante''
aventure du « Boeing 727 de la coke », et qui vise à faire du Sahara
(donc depuis l'intérieur du continent) le point d'escale le plus court
pour l'écoulement de la cocaïne vers l'Europe, avec l'abandon des voies
maritimes plus longues et mieux surveillées.
La
dialectique de ces cinq crises (influence réciproque des causes,
interaction des facteurs, relance des effets, des contradictions et les
évolutions inhérentes à ce processus) donne à la Crise malienne une
dimension spécifique, lui confère son caractère particulier et détermine
sa force de propagation sous-régionale voire au-delà.
C'est
cette dialectique, où la corruption est le ferment et le facteur
déterminant, qui a fait s'effondrer le Mali, après la Guinée-Bissau.
Dans les mêmes circonstances, des causes identiques produisent les mêmes
effets.
Par suite, si rien n'est entrepris, comme rien n'a été fait en Guinée-Bissau, un troisième pays de la sous-région s'écroulera.
Tout comme
la Guinée-Bissau qui, à force d'ajustements structurels, de gabegie,
d'une armée dévoyée, de tensions interethniques et de politiques
publiques inadaptées, a été livrée au narcotrafic, le Mali est en passe
d'être abandonné au narcotrafic et aux Islamistes. L'ouest africain en
sera déstabilisé.
Aqmi croît
dans le terreau de cette quintuple crise. Et toute l'Afrique de
l'ouest, qui constitue un vaste ensemble géographique, historique et
anthropologique est directement concernée.
Tous les
pays, tous les Etats y ont un lien organique et structurel. Tel est
« l'effet papillon » : un événement dans l'un de ces pays affecte tous
les autres.
La Crise
ivoirienne l'a bien montré. Si « la planète est un village », l'Afrique
de l'ouest est un quartier, dans lequel se déroule des batailles qui ne
sont que des épisodes de la grande guerre ouest-africaine.
La Côte d'Ivoire, grand éléphant de verre, signale déjà dans sa région nord la présence d'éléments djihadistes.
A titre
préventif, elle devrait s'instruire de la Crise malienne et faire son
unité nationale. En effet, si le Mali n'avait pas laissé croître la
« Question Touareg », Aqmi n'eut pas été aussi fort. Toute division
nationale et les guerres civiles qui en découlent sont des brèches
profondes.
Qui peut croire que la Côte d'Ivoire, poumon économique de la Cedeao, n'est pas ou ne sera pas à court terme une cible ?
Le Burkina
Faso, quelque peu affaibli, lui est historiquement lié, tout comme le
Libéria, qui se remet difficilement d'une odieuse guerre civile, et le
Ghana, le frère rival, qui forme un tout avec le vacillant Togo et le
Bénin qui demeure un point d'appui, « mais, pour combien de temps
encore ? ».
La Côte
d'Ivoire est également rattachée à la Guinée-Conakry, pays en équilibre
précaire, qui forme un sous-ensemble avec la Sierra Léone en situation
délicate.
Le
Sénégal, vitrine démocratique, est à quelques encablures du Mali, avec
lequel il fut lié fédéralement dans un passé récent. Qui tient Bamako,
menace directement Dakar. Qui dirige Bissau peut provoquer Dakar (crise
de la Casamance) et inquiéter Banjul (Gambie) ou vice-versa, car ces
trois capitales appartenaient à l'ancien empire du Cayor.
Le Sénégal
doit faire sa concorde nationale mise à mal par les dernières
présidentielles. La Guinée-Bissau, elle, est déjà paralysée. La Gambie,
petite enclave, ne résistera pas aux secousses.
La Mauritanie, instable, liée au Sénégal, doit craindre sa « malisation », en raison des tensions entre Noirs et Arabophones.
Le Niger,
outre la famine, ne supportera pas le basculement du Mali. Le Cap Vert
est à part, protégée par la mer et une classe politique responsable. Le
Nigéria, géant de la sous-région, n'a pas vaincu Boko Haram. Que peut-il
au Mali, le plus fragile de tous les États ?
Plus au
nord, d'après le bornage rectiligne du 8 mai 1983, l'Algérie partage
1400 kms de frontières avec le Mali. Mais pourquoi s'engagerait-elle à
l'extérieur de ses frontières, de façon directe dans un conflit qu'elle a
externalisé et dont elle est à peine sortie ?
Sous ce
rapport, comment ne pas se demander si la surprenante prise d'otages sur
le site gazier de Tiguentourine, près d'In Amenas, ne vaut pas comme un
avertissement direct adressé à l'Algérie, pour qu'elle reste neutre
dans les conflits qui sont en cours au Sahara, au risque de devoir subir
la paralysie de son principal secteur d'activité ?
Pour
l'Algérie, la crise malienne vaut-elle la mise en jeu de son moteur de
sa croissance ? Et si cette épineuse question était celle que pose Aqmi à
l'Algérie ? Il semble que ce soit probablement là l'enjeu de cette
prise d'otages, sinon comment l'expliquer ?
A
l'avertissement djihadiste, les autorités algériennes ont répondu par
une brutalité inouïe. Dès lors, les modalités d'intervention de l'armée
algérienne, le choix du matériel militaire (armes lourdes, chars de
combat, hélicoptères, etc.) et la nature du résultat de cette opération
(plus de morts d'étrangers que de terroristes) indique pour toute
réponse un équilibre de la terreur.
Le statu
quo serait une intention doublement partagée. Notons donc que l'Algérie
et tout comme la Mauritanie sont sur des lignes de prudence.
La moitié
du continent africain est directement concerné par la crise malienne,
avec l'implication massive du Tchad (2.000 soldats) et du Burundi,
l'Afrique centrale est engagée.
Par le jeu
des menaces et des alliances cette crise nous amène à la première
guerre continentale africaine, qui ne laissera pas indifférent le Moyen
Orient et l'Occident.
VI. Que peut la France?
Que peut
la France ? Cent guerres et cinq cent batailles, en deux mille ans
d'histoire. Une incontestable tradition militaire faite de victoires
éclatantes et de lourdes défaites. Que peut-elle, dans une guerre sans
bataille ? Bien peu et beaucoup à la fois.
La guerre
du Mali, qui n'en est qu'à des débuts, tend à être longue et difficile,
en raison même de sa nature. Elle prolonge la crise libyenne avec
laquelle elle entretient des rapports complexes.
En outre,
le coût quotidien de l'engagement militaire français est plus important
qu'on ne le dit. Il est à minima de deux millions euros/jour, selon les
experts que nous avons consultés, ce qui le rend insupportable au regard
des contraintes budgétaires.
Une année
de guerre au Mali absorberait la totalité du budget des Opérations
Extérieures (Opex), soit huit cents millions d'euros. En outre, le
risque d'enlisement est réel, si le Tchad ne prend pas la relève. Et dès
lors que les Djihadistes passeront à la guerre de guérilla (retraits
des villes et bourgs, harcèlements des casernes, attentats suicides,
etc.), le rapport de forces pourrait s'équilibrer.
Or, la
France s'est mise en première ligne, sans qu'elle ne sache comment se
retirer. Sun Tzu enseigne que l'on entre dans une guerre, quand on sait
d'avance comment en sortir. Mais, pour envisager une fin, encore faut-il
que l'action conduite ait une finalité.
La
difficulté ici tient dans le fait que la « situation d'urgence »
invoquée pour justifier la rapide et soudaine implication française au
Mali n'est pas la cause occasionnelle ni ne peut être un but.
En tous
les cas, s'il faut féliciter la France d'avoir arrêté l'avancée des
troupes djihadistes, et si nous ne sommes qu'au début d'une des guerres
ouest-africaines, la question reste entière de savoir qui sauvera le
Mali, si l'on admet qu'aucun peuple n'a jamais été libéré par un autre ?
C'est aux Maliens qu'il revient de sauvegarder le Mali, avec le concours d'alliés.
Pour lors
toutes les institutions publiques maliennes sont « tombées » et restent
dans un état de délabrement. Seuls l'ardeur citoyenne et les combats
républicains pourront les redresser. L'amour de la patrie, dit
Montesquieu, corrige tout.
Rien, en
matière historique, n'est désespérant. Aucune nuit n'arrête l'aube. Le
crépuscule du matin est une conquête toujours recommencée. Là où naît le
danger, croît aussi ce qui sauve. Rien n'est impossible à un peuple
libre ou qui combat pour sa liberté, parce que libre. Nul joug ne
résiste au souffle puissant d'une nation qui combat pour être.
VII. Quatre propositions pour une sortie de la crise malienne
Napoléon,
qui sut ce qu'est vaincre des peuples, mais aussi ce qu'est être vaincu
par des peuples, fixa dans son testament politique, au terme de sa folle
course impériale, une pensée : l'histoire est la seule philosophie. En
nous gardant de donner des leçons de patriotisme aux Maliens, qu'il nous
soit cependant permis de faire quatre suggestions politiques :
1°)
la mise en place d'un Comité de Salut public qui, pour une courte
période, concentrera tout le pouvoir exécutif, supprimant ainsi
l'actuelle diarchie politico-militaire au sommet de l'État, entre un
président « provisoire » et toléré, dont le Premier ministre est nommé
par un capitaine-sans-projet.
L'une des
missions essentielles de ce Comité de Salut public serait de procéder à
une levée en masse de soldats maliens, d'organiser et de diriger l'armée
dont la tâche essentielle sera de sécuriser les frontières actuelles ;
2°)
instituer un changement politique, par la proclamation d'un régime
parlementaire (sur l'exemple du Cap Vert), qui donne toute sa légitimité
à un Premier ministre fort.
L'élection
du Président de la République, au suffrage universel indirect (par les
députés), et qui ne peut être que d'origine Touareg, pour les deux
mandants suivants. Car il faut savoir mettre un terme aux courses
présidentielles sur fond ethnique ;
3°)
sur la base d'une stricte séparation des pouvoirs, la représentation
nationale malienne devra reprendre l'initiative des lois, autant que
durera le Comité de Salut public. En outre, la Justice et le quatrième
pouvoir devront être réellement indépendants.
Sans cette
mesure, qui fonde l'objectivité des institutions, il sera impossible
d'éradiquer la corruption qui est le mal le plus profond.
Cette
vaste réforme institutionnelle, conjointement impulsée par le Comité de
Salut Public et la Justice (l'esprit de modération), permettra de poser
les fondements de l'idée de l'État, d'enraciner les deux grandes valeurs
de la République, la vertu et la frugalité.
Il n'y a
que la mise en œuvre simultanée de l'idée de l'État, du sentiment de
vertu et de la volonté de frugalité qui puisse faire de la Démocratie
une coutume par laquelle pourront être organisées des élections libres
et le règlement de la question Touareg ;
4°)
sous la double initiative de l'Union Africaine et de l'Union
Européenne, il sera nécessaire de procéder à la suppression immédiate de
toutes les dettes publiques externes et à la suspension de tout
ajustement structurel.
Sans cette
réforme de justice sociale, non seulement il ne peut y avoir d'État
viable au Mali, mais le Mali ne saura conduire de lutte efficace contre
les Narcotrafiquants et Aqmi.
VIII. Conclusion
Le désert
croît, disait Nietzsche. Cette parole résonne autrement aujourd'hui, en
Afrique, pour se laisser entendre comme la décroissance de L'État. Le
Sahara, une fois de plus, surgit comme un destin.
Telles
sont les considérations d'ensemble que suscite la Crise malienne.
Celle-ci marque un tournant décisif, dont le risque majeur est de voir
les États africains s'effondrer.
Et devant
le grand péril, la pensée est le plus grand recours, qui précède le
courage, cet exercice de la volonté. Penser la Crise malienne, c'est
revenir à ce qu'est l'essence de l'État qui est trop peu méditée par les
intellectuels africains. Hegel a consacré maintes recherches sur ce
qu'est L'État.
Peut-être
les Africains gagneraient-ils, enfin, à questionner le plus puissant
philosophe de son temps, lorsque, dans les Leçons qu'il lui a
consacrées, il a présenté L'État comme la Raison. Écoutons, ce qu'il dit
de son ouvrage :
Ainsi,
dans la mesure où il contient la science de l'État, ce traité ne doit
être rien d'autre qu'un essai en vue de concevoir et de décrire l'État
comme quelque chose de rationnel en soi [...]
Si ce
traité contient un enseignement, il ne se propose pas toutefois
d'apprendre à l'État comment il doit être, mais bien plutôt de montrer
comment l' Etat, cet univers éthique, doit être connu.
L'État ne
se laisse connaître que comme idée, mais une « idée » effective qui mène
le monde. Comble de guigne, il n'y a pas de culture d'État ou
d'idéalisme de l'État en Afrique. Aussi peut-être même est-ce dans cette
« crise de la connaissance » que la Crise africaine demeure dans toute
son ampleur. Le Mali le montre. Mais ce pays, qui n'est plus un
pays-État, voudra-t-il s'élever à cette idée ? Et s'il le veut, le
saura-t-il ?
Mably a
donné la clé de cet idéalisme politique : l'union de « l'amour de la
liberté » et de « l'amour des lois », qui doit devenir le principal
objet de la politique. Mettre en pratique politique cette union, c'est
surmonter le destin qui préoccupait tant mon vieil ami, Jean-Pierre
Ndiaye, dont je salue la mémoire.
Dr Pierre Franklin Tavares