19 févr. 2013

Où va le Niger ?

Aïr Info 151
Issouf ag MAHA un des "anciens" du MNJ chargé de la Communication, nous offre sa vision du Niger 2013... Les amis qui suivent depuis de nombreuses années la situation politique au Niger et dans la sous-région en tireront leurs conclusions. JMP





 
De passage à Niamey où il participe à la session du conseil économique social et culturel, Issouf Ag MAHA Maire de Tchirozerine, SG de l'association des maires du Niger section d'Agadez et membre du CESOC a accepté de se confier à Aïr Info.
On sait que la région d’Agadez regarde avec une grande attention ce qui se passe au nord Mali ! Quelle est votre appréciation de ces événements ?
La région d’Agadez a connu diverses péripéties les unes plus douloureuses que les autres pour la population. Ce qui reste gravé dans les mémoires, c’est essentiellement les périodes de rébellion avec leur spirale de violence et de haine malgré notre culture profondément marquée par la tolérance. C’est fort heureusement un passé lointain que personne ne souhaite revivre. Même si cette ténébreuse période a laissé des stigmates, on constate que les populations touchées ont choisi de tourner la page et d’aller de l’avant. Pour autant, on ne peut pas parler de conflit armé et ne pas s’attendre à des périodes désagréables postconflit caractérisées par une insécurité résiduelle. C’est notamment le banditisme résiduel et son corollaire de vols à main armée mais heureusement qui n’ont aucun impact sur la stabilité du pays. A mon avis, un Etat ne peut être menacé que par une rébellion armée or une rébellion ne peut se faire de nos jours qu’avec le soutien d’un Etat tiers ou d’une organisation mafieuse capable de mobiliser d’importantes ressources financières. Pour l’instant, Dieu merci il n’en est rien de tout cela au Niger ! Mais cela n’est pas une raison pour baisser la garde ! Ces choses peuvent apparaître sous des visages divers et variés et souvent là où on s’y attend le moins. A l’instar de tous les africains nous sommes tous chagrinés par ce qui se passe au Mali. D’abord le phénomène ATT qui laissait présager tous ces événements doit nous interpeller. Noyauté jusqu’au cou par les réseaux mafieux, lesquels avec des espèces sonnantes et trébuchantes, ont infiltré tout le système politico-administratif du Mali. Ils ont su grâce à cette démarche créer leur terrain de prédilection où ils circulent avec armes et bagages et garder leur butin en matière de prise d’otages. Comme Il y a énormément d’argent en jeu avec le trafic de drogue et les versements de rançons, le temps de se rendre compte le Mali était déjà à un stade de non retour. S’en est suivi tout le processus qui a abouti à l’occupation pure et simple d’une partie du territoire Malien.
Qu’est-ce que vous pensez de l’intervention de la France et des forces de la CEDEAO ?
Je pense que c’est grâce à la France et à la CEDEAO que le Mali a retrouvé son intégrité territoriale. Il est impératif de placer des garde-fous pour éviter les représailles et les règlements de compte. Il est pratiquement impossible de distinguer avec certitude qui était pro ou antisalafistes pendant leur occupation. Certaines populations ne pouvant pas fuir ont choisi de faire « allégeance » aux terroristes pour avoir la paix et la vie sauve. Si à nouveau, elles doivent répondre de cet état de fait ça serait trop injuste. Par ailleurs, les jihadistes retranchés dans l’Adrar des iforas seront certainement traqués avec des moyens conséquents. Il y a fort à craindre qu’ils réussissent à s’extirper et là ils ne peuvent aller que dans le massif de l’Aïr. On assistera alors à un déplacement du site du conflit.
Comment se porte le secteur sociopolitique et économique de la région d’Agadez en général et celle de Tchirozérine en particulier ?
Sur le plan régional, il faut dire que depuis le conflit du MNJ au Niger et l’émergence d’Aqmi au Mali, le septentrion de notre pays a été placé au rouge dans le site du Ministère des Affaires Etrangères français sur sa Page conseils aux voyageurs. Ce site étant la référence en Europe en matière de tourisme est consulté par tous les voyageurs potentiels à destination de notre pays. La destination a donc été anéantie et cela constitue un manque à gagner considérable pour la région d’Agadez. Fort heureusement il y a eu une autre manne qui a tendance à remplacer celle du tourisme : c’est la production de l’oignon et sa commercialisation dans la sous région. Cela est à n’en point douter une bouffée d’oxygène même si on connaît les limites de la monoculture. Par ailleurs, il faut aussi retenir que l’Etat a consenti d’importants efforts pour soulager les populations dans ces dures épreuves. En plus des actions d’urgence liées à la lutte contre l’insécurité alimentaire il y a eu des actions visant à améliorer significativement la production. En revanche, ce qui est à déplorer c’est la vie politico administrative et économique dans la région depuis bientôt deux ans. La politique est totalement pervertie dans notre région. Toutes les grandes valeurs de démocratie et d’équité ont fait place hélas au trafic d’influence, à la corruption et à l’achat des consciences. C’est un peu le phénomène ATT à visage voilé et c’est ce qui nous inquiète. Il y a une nébuleuse qui fait usage de beaucoup d’argent avec un incroyable désir d’écraser et une soif effarante de pouvoir. Cette nébuleuse passe pour le parrain du pouvoir actuel et utilise la couverture de l’Etat entre autre. A ce titre, elle écume toute la vie socio économique et administrative de la région d’Agadez. Tout l’appareil lui obéit au doigt et à l’oeil et la population subit la mort dans l’âme. Sans scrupule et sans vergogne le personnage visible de l’iceberg a sa main dans tout et de manière systématique. On peut citer entre autres les affectations des agents de l’Etat, l’attribution des marchés publics, la nomination aux postes de responsabilité, presque tous les secteurs de l’administration. Même les organisations paysannes et la chefferie traditionnelle n’y échappent pas. Le moindre vendeur d’engrais chimique dans une brousse perdue de l’Aïr doit avoir à priori sa bénédiction dès lors que cela provient de l’Etat. En cinquante ans d’indépendance cela n’a jamais été vécu dans notre région. Tout le monde doit se plier en quatre pour avoir sa place au soleil. On est alors en droit de se poser la question si ce comportement est le fruit d’une grande soif de pouvoir, ce qui est le moindre mal ou si c’est plus pernicieux avec des objectifs plus sérieux et plus élaborés à l’image du schéma ATT ! Dans ce cas, que Dieu nous en garde. Ce qui est regrettable, c’est la facilité avec laquelle nos cadres régionaux et nos responsables administratifs sont enclins à la soumission dès lors qu’il y a en face d’eux l’argent et le pouvoir au point de reléguer au second plan les principes cardinaux de la déontologie et de la conscience professionnelle. Sur le plan local, précisément à Tchirozérine nous tentons d’échapper non sans difficultés à ce phenomène. Nous constatons avec beaucoup de soulagement que la principale société de la place travaille de plus en plus avec une certaine déontologie en mettant de coté la politique politicienne. Cela peut être une apparence mais au moins ça rassure la population quant à la neutralité de l’Etat. Nous saluons l’initiative de cette société qui a formé des jeunes de la région à certains métiers qui ne sont accessibles que dans le milieu des mines. Ces jeunes formés, même s’ils ne sont pas systématiquement engagés dans la société sont désormais armés pour faire face à l’offre du marché de travail dans ce domaine. C’est un pas important dans la lutte contre le chômage et l’oisiveté de jeunes. Nous vivons aussi le problème de l’eau à Tchirozerine. Comme vous le savez, la nappe qui peut faire face à la consommation de la ville est à trente kilomètres. Donc difficile pour nous d’envisager une adduction d’eau propre à nous. C’est pour cette raison que c’est la Sonichar qui nous donne l’eau qu’on distribue à la ville. Nous sommes en train de vérifier nos besoins réels en eau et en adéquation avec la quantité qui nous est cédée par la Sonichar, trouver une solution durable à ce problème aussi vieux que la ville. C’est une question de négociation avec tous les impératifs en présence c'est-à-dire le besoin de la population et l’impératif d’exploitation.  
Quelle est selon vous la panacée à ce problème qui étrangle aujourd’hui la région d’Agadez ?
Le seul espoir aujourd’hui pour la région d’Agadez, ce que l’Etat au plus haut sommet se rende compte de la détérioration de nos valeurs pour voler au secours de la population d’Agadez. Il n’y a plus de convictions, plus de leaders d’opinion et plus de repères. C’est la désolation et l’expectative totales.
Quel est votre dernier mot Monsieur le Maire ?
Pour moi il est fondamental que l’Etat prenne ses responsabilités. Si on reste dans cette dynamique ou ce sont des individus fussentils du pouvoir qui dictent la conduite à tenir, il y aura une crise de confiance des populations à l’endroit de l’Etat et ça c’est très mauvais. Cela nous ramène à un débat de bas étage qui ne fait que ternir l’image de nos dirigeants. Surtout pour un pays comme le nôtre qui aspire à servir de modèle de bonne gouvernance dans toute la sousrégion. En un mot il est essentiel aujourd’hui de relever le niveau de débat, éviter à tout prix que l'esprit partisan prenne le pas sur l'esprit citoyen dans la gestion de la chose publique. Je vous remercie.
Interview réalisée par Ibrahim Manzo DIALLO

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