11 déc. 2011

Le rôle de la femme nomade kel Tamachek dans la gestion des ressources naturelles

Tin Hinan est une organisation fondée par des femmes nomades dont les membres sont au Mali, Niger et Burkina Faso. Nous sommes membre fondatrices de plusieurs réseaux dont l’IPPACC (Comité de Coordination des Peuples Autochtones d’Afrique, l’OAFA( Organisation des Femmes Autochtones d’Afrique), Tasglat (Réseau des Organisations Pastorales Saharo-Sahélienne) et nous adhérons au CAUCUS Mondial des Peuples Autochtones et des Femmes Autochtones.

Les femmes et l’organisation sociale de base du peuple Kel Tamachek
Tin Hinan qui veut dire femme nomade en tamashek est le nom de la reine mère ancêtre et fondatrice de la communauté Kel tamachek (touarègue). Selon les historiens, elle a existé des centaines d’année avant Jésus Christ. Selon le sociologue Marie-Claude Chamba, son tombeau se trouve à Abellassa dans le Sahara du Sud Algérien. Son squelette et ses bijoux avec lesquels elle a été enterrée se trouvent au musée de Bardeau à Alger à plus de 2000 km de sa tombe. Les tombes des ancêtres sont sacrées et nous avons toutes une croyance spirituelle en relation avec eux.
Chez les nomades Kel tamachek connus sous le nom de Touareg, la femme est dépositaire de la culture, garante de l’unité et de l’honneur de la communauté. Elle apprend très tôt à prendre la parole sans en abuser et à bien réfléchir ses décisions. Cette position privilégiée reste à valoriser; c’est ce que l’association entreprend de faire, depuis sa création.
Malgré leur mobilité, les peuples pasteurs possèdent en général des terroirs d’attache. C’est à l’intérieur de ces espaces qu’ils s’organisent. Il y a encore peu de temps, cette organisation présentait une structure quasi féodale de type médiéval. Aujourd’hui estompée, elle a laissé beaucoup de traces encore visibles mais sans conséquences négatives. Contrairement à ce que pensent certains « la liberté d’errer de nomades» n’est pas synonyme d’anarchie. La plus petite entité sociale, la famille ou le ménage, comprend le père, la mère et les enfants. Cette cellule est souvent élargie aux ascendants et descendants directs et/ou indirects. Toutes les branches issues d’une même ascendance peuvent former une fraction ou une tribu en fonction de la puissance du degré de parenté et/ou du nombre de générations les séparant de leur ancêtre commun. Chaque groupe social (famille, faction, tribu, groupement, canton etc.) gère des espaces. Ce groupe exerce tous les droits sur ce terroir. Chaque groupe social connaissait les limites de son terroir sans être systématiquement soumis à une quelconque réglementation lui interdisant de faire paître au besoin ses animaux dans d’autres aires (pratique connue et acceptée de tous les éleveurs).
En effet, la grande mobilité des nomades, le déplacement des hommes constamment à la recherche des pâturages concourent à faire de l’homme un éternel absent de la maison. En dehors de son rôle culturel, la femme nomade se retrouve impliquée dans la gestion du bétail et des ressources naturelles. Dans la gestion de cet espace et de ses ressources, le rôle de la femme, pourtant vital, important, n’est pas visible.
La femme gère, les eaux de puits et puisards, eaux de mares, bois de chauffe, pâturages,plaines à fonio, plantes médicales, espaces d’habitation.
1. Eau
Puisards,puits
Dans l’ensemble les points d’eau ne couvrent pas les besoins en eau des populations et des animaux. Avec l’insuffisance des ressources hydriques, contrainte principale des nomades dans la région sahélienne saharienne. Dans ces conditions, la stratégie développée souvent reste l’abandon des milieux d’attache pour d’autres. Les puisards s’éboulent après une utilisation intense, quant aux puits l’exhaure et le faible débit constituent leurs contraintes.
En milieu Touareg, les puisards de 1 mètre sont généralement creusés par les femmes et se trouvent dans les oasis car ils ne nécessitent pas un grand effort. Une fois que la profondeurest dépassée, elles font recours aux hommes pour forer le puits. Au niveau de la famille l’eau est gérée par la femme. Elle s’occupe de sa conservation et de sa distribution. Elle peut en cacher une partie (quand les quantités sont insuffisantes) et faire ressortir la quantité à consommer. Elle est responsable des récipients pour conserver et transporter l’eau.
Elle fabrique ou achète les outres en peaux qui servent de récipient et rafraîchissent l’eau. La maintenance de ces outils est assurée par la femme. La femme nomade intervient dans l’hygiène autour du puisard. Elle remet le remblais autour du puits en utilisant le matériel disponible (gravier, latérite etc. )
Pour alléger les tâches Je recommande de créer un moyen pour faciliter l’exhaure sur les puits ayant une grande profondeur. Dans le milieu nomade on utilise toujours la poulie, l ‘âne, la corde pour avoir de l’eau.
Pour améliorer l’hygiène il faudrait construire des abreuvoirs éloignés du puits (11 a 15 m) pour permettre d’abreuver tranquillement les animaux et de protéger l’environnement dupuits : On peut le faire avec des bassins de réception reliés aux puits par des tuyaux.
Construire autour des puits à une distance d’un rayon de ( 0m) des tables en ciment pour faciliter aux femmes le linge.
Eaux des mares
La femme nomade prend la décision de sélectionner les mares selon les différents usages. La mare destinée à l’eau de boisson est séparée de celle destinée à l’abreuvement des animaux et à la lessive. Cette gestion permet d’avoir un cadre hygiénique et en même temps de pérenniser l’eau. Les contraintes liées à l’utilisation des mares sont l’ensablement, la faible de rétention d’eau (très souvent deux mois seulement après l’hivernage) et l’insuffisance des pluies.
Il y a un système pour augmenter la durée de la vie de la mare : il faut faire des mares surélevées avec des tuyaux d’entrée et de sortie d’eau avec des vannes surélevées.Les animaux peuvent être abreuvés sans atteindre le lit de la mare.
2. Bois de chauffe et charbon
Le nomadisme n’est pas lié seulement à la recherche des pâturages et de l’eau. Il existe d’autres intrants comme la recherche du bois de chauffe, le commerce des animaux, les produits céréaliers et de cueillette, etc.… Le bois de chauffe est particulièrement important et les nomades campent très souvent dans un endroit proche du bois de chauffe. Cette ressource est généralement du ressort de la femme et l’approvisionnement se fait au jour le jour. La femme nomade gère de façon précieuse le bois de chauffe pour :
Produire l’éclairage : Tous les nomades ne possèdent pas de torches et ne peuvent pas atteindre les lieux de vente situés souvent a plus de 100km. Quand on a un malade on est obligé d’utiliser un tison (« emamalle en tamasheck ») pour voir le malade et le soigner.
Faire la cuisine : La totalité de la cuisine est faite à l’aide du bois de chauffe et des bouses de vaches car il n existe pas d’autres sources d’énergies avec lesquelles on peut cuisiner. L’utilisation des bouses de vache diminue la consommation du bois.
Pour chasser les moustiques et les mouches les nomades allument du feu et la fumée permet de les éloigner des êtres humains et des animaux.
En période hivernale, la végétation croît plus rapidement autour du bois mort que pendant le reste de l’année. Il en résulte que l’exploitation de ce bois n’est pas sans conséquence sur l’environnement. Elle diminue la matière organique du sol en amortissant l’érosion éolienne et hydrique. Ceci entraîne le déménagement de la couche fertile et on finit par faire mourir lesol.
Recommandations
Un moyen de lutte contre la dégradation de l’environnement, provoquée par le ramassage du bois sec, est de faire des bosquets sur les lieux de fixation des nomades. Cette méthode est très avantageuse car les plants utilisés sont du milieu et sont déjà acclimatés. La méthode consiste à protéger les plants qui poussent au niveau de l’étable et ce, pendant deux années. Elle comporte toutefois certains inconvénients et une formation est nécessaire pour les faire connaître aux femmes nomades qui ne connaissent que les avantages de cette pratique.
Cette formation se fait en deux étapes :
- Une prise de conscience du problème par les partages d’expérience
- Un encadrement rapproché par des techniciens
Educatrices
La femme joue un rôle d’éducatrice à tous les niveaux de la société, en particulier au niveau des jeunes et enfants. La gestion des ressources naturelles se trouve en plein coeur de ce rôle. Les enfants et les jeunes se retrouvent plus souvent avec les femmes. Ils apprennent sur le tas la vie quotidienne avec les animaux (chameaux, ovins, caprins, asins, animaux sauvages), autour des pâturages, des puits, des mares, des montanges, des oasis etc…. Cette éducation se fait à travers des chants, poèmes, ou jeux, en plus de vie la pratique.
3. Pâturages
Il existe des périodes comme l’hivernage pendant laquelle les femmes mettent en défends certaines zones. La stratégie c’est d’avoir en saison sèche des pâturages à côté de l’habitat. Il y a aussi la gestion des bourgoutières : il faut attendre une période pendant laquelle la graine ne sera pas engloutie par le piétinement des animaux pour pouvoir exploiter la plaine.
La femme nomade a une emprise sur son entourage (son mari ; le berger ; les habitants du site), même quand elle n’ordonne pas ; elle conseille et elle intervient d’une façon passive. Comme ce sont elles les vraies éducatrices, leur message passe facilement.
4. Plaines à fonio
Dans certaines zones, des femmes possèdent des plaines à fonio. Elles se chargent de l’exploitation, du gardiennage et de la vente du produit. Les revenus générés sont contrôlés par les femmes. Après la récolte, elles utilisent le fourrage pour les laitières ou les animaux fragiles. La production du fonio est liée à la pluviométrie.
5. Ressources naturelles nécessaires pour l’artisanat et la médecine traditionnelle
Les produits végétaux comme Tahidjarte « Tanin » Acacias scorpiodes, Adjar maerua crassifolia très efficaces pour le traitement de la jaunisse ; Adaras ; Comifera africana ect…
La gestion de ces ressources très prisées est du ressort des femmes. Elles utilisent plusieurs autres tiges et feuilles comme Takoufoute, aloumoze pour la confection des nattes, des vents, bracelets et mobiliers de la maison. Les feuilles et les fruits de ces arbres sont cueillis minutieusement et utilisés en médecine
traditionnelle. Ces arbres sont protégés par les femmes nomades. Il y a des croyances spirituelles détenues par les femmes qui disent qu’il ne faut pas cueillir les produits végétaux à certains moments comme le coucher du soleil. On ne doit pas dormir sous les arbres la nuit, etc…Je pense que ces croyances sont liées à la protection des végétaux.
Les femmes, étant « guérisseuses » en général, font partie de la couche sociale qui est responsable et se préoccupe le plus de la santé, en particulier de celle des femmes et des enfants dans sa communauté. Elles aident leurs soeurs pour mettre les vies au monde, elles guérissent plusieurs sortes de maladie comme par exemple le panaris, l’hépatite, les maladies génitales des femmes … par des plantes, des produits minéraux, des animaux et des dons spirituels.
6. Gestion de l’espace d’habitation
Les nomades se déplacent très souvent, le choix du prochain site est généralement déterminé par le chef de famille ou du campement en fonction des points d’eau et des pâturages. Une fois le site connu, il revient aux femmes de choisir le lieu idéal pour l’installation de leur tente, le choix dépend de la saison et doit prendre en compte plusieurs paramètres : La situation par rapport aux forêts : en saison sèche et en hivernage, à cause de la chaleur etde l’humidité, le campement doit s’éloigner de la forêt mais cependant une tente peut se rapprocher d’un arbre isolé qui peut servir d’abris aux animaux à cette période ; l’habitation peut également s’approcher des flanc des montagnes. Cependant en saison dite froide, les campements reviennent dans les forêts pour assurer une protection, y compris pour les animaux, contre le froid et le vent. Les excréments d’animaux entassés plusieurs mois sur un site donne de l’humus pendant l’hivernage aux plantes, qui se nourrissent pour compenser ainsi les feuilles perdues pendant ces mois. Ainsi se perpétue l’équilibre naturel de l’écosystème.
La situation par rapport aux oueds et oasis : les lits des oueds et des oasis constituent des bons points d’emplacement pour l’habitat sauf en hivernage où ils constituent un risque. Cependant, pour la tente, il faudra choisir un espace équilibré, au milieu des ravins. Le campement se rapproche plus des points d’eau pendant la saison sèche où les animaux sont fatigués alors qu’en saison froide et en hivernage il s’en éloigne : les animaux peuvent passer des jours sans s’abreuver. Le chameau est le plus résistant à la soif.
Pour dresser la tente, les femmes tiennent également compte d’autres paramètres : la situation par rapport aux animaux. Pour garder l’hygiène tous les autres animaux sauf les chamelles doivent se placer du coté opposé aux mouvements du vent. Les matières fécales humaines et les ordures ménagères doivent être éloignées des enclos et dans le sens contraire des courants d’air.
Conclusion: la situation de notre peuple et les tâches qui nous attendent
Le peuple Kel Tamachek vit une situation de marginalisation ou de conflits depuis la colonisation. Il fait également face à des problèmes liés à l’environnement; notre territoire est en grande partie désertique ; il y a des plantes qui survivent mais beaucoup disparaissent.
Nous avons connu les catastrophes naturelles, notamment deux sécheresses qui ont fait des milliers de morts parmi les humains, sans parler des animaux et des plantes. Les périodes de conflits ont aussi été meurtrières pour notre peuple et son environnement.
La crise sociale ne permet plus de perpétuer l’apprentissage sur le tas des connaissancesconservées depuis des millénaires par les grands-mères. Par exemple, dans ma famille élargie aucune femme de ma génération n’a reçu les dons et les connaissances de notre grand-mère qui a plus de 80 ans. Le changement de notre mode de vie traditionnelle, l’exil et la pauvreté nous orientent sur d’autres chemins.
L’introduction de la médecine moderne dans notre système de santé, alors que nous n’y avons pas été préparés, affecte également la valeur de la médecine traditionnelle. C’est dans l’ignorance que nous consommons les produits pharmaceutiques dans notre milieu ; dans les campements les plus reculés on trouve des comprimés utilisés pour toutes sortes de maux indépendamment de leur indication.
Notre terre est très riche. Contrairement a ce que les gens pensent, cet espace essentiellement désertique, qui s’étend sur une superficie de 2500.000 km2 entre l’Afrique du Nord et l’Afrique de l’Ouest, a toute sorte de paysage : les montagnes, la forêt, le fleuve, les mares, les oasis et les dunes. Il contient des ressources minières comme l’or, le gaz, le pétrole, l’uranium, le plâtre, le sel gemme et les terres salées… Dans le désert du Ténéré, nous sommes malheureusement en majorité très pauvres.
Pour protéger notre environnement, perpétuer nos connaissances, respecter la biodiversité, nous interpellons l’UICN, les agences des Nations Unies concernées par ce domaine, la Banque mondiale, et tous les acteurs concernés. Nous voulons construire avec vous un partenariat fort afin que vous nous aidiez à réaliser deux choses :
1. Protéger nos sites sacrés dans le cadre d’aires de patrimoine communautaire contrôlées par les organisations et les communautés autochtones Tamachek. Des restes de dinosaures ont été trouvés dans le désert du Ténéré et transportés en dehors de notre contrôle; alors que par exemple, le tombeau de Tin Hinin est un site classé, son squelette n’est toujours rapatrié. Nous voulons aussi des projets de documentaires d’information de sensibilisation et de sauvegarde, des recherches et des forums d’échanges sur la question.
2. Nous souhaitons que des mesures concrètes d’appui aux femmes et au développement soient mises en oeuvre pour renforcer le rôle fondamental qu’elles jouent dans la vie sociale et environnementale du peuple Kel Tamachek.
Saoudata Aboubacrine
Communication en séance plénière : 1er Congrès des Peuples Autochtones Francophones,
Agadir – 2-6 novembre 2006
TINHINAN, Association pour l’épanouissement des femmes nomades
09 BP 709 Ouagadougou 09, Burkina Faso, tel / fax : 226 50 35 82 75
e-mail : tinhinan@yahoo.fr

Source: Tamoudre.org

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