12 mars 2012

«Le bilan de 40 ans d’exploitation de l’uranium est catastrophique»

Depuis 40 ans, le développement du nucléaire est justifié au nom de «l’indépendance énergétique» de la France. La réalité est bien différente. Dans «Areva en Afrique, une face cachée du nucléaire français» (Agone, Survie février 2012), Raphaël Granvaud, membre de l’association Survie Afrique, dévoile une nouvelle facette du néo colonialisme qui pille les ressources pour faire tourner des centrales qu’on veut même vendre aux pays incapables d’en assurer le fonctionnement, avec tous les dangers que cela induit, au plan environnemental et de dissémination de l’arme nucléaire. Car, malgré la pression effarouchée de l’Occident contre l’Iran, les liens entre nucléaire civil et nucléaire militaire n’ont jamais été un secret pour Areva et ses ancêtres.

 

- L’argument de l’indépendance énergétique de la France est avancé pour justifier le refus d’arrêter la filière nucléaire. Vous dites que cette indépendance est un leurre, pourquoi ?
C’est même un mensonge, au croisement de la propagande nucléaire et de la rhétorique néo-coloniale. Depuis 2001, la France n’extrait plus d’uranium de son sol : celui-ci est importé en totalité. Et même avant cette date, l’uranium français était très insuffisant pour alimenter les centrales nucléaires. Le sous-sol africain était donc essentiel, et même si les sources d’approvisionnement se sont diversifiées, cela reste vrai aujourd’hui. Dans ces conditions, parler d’ «indépendance énergétique» permet d’occulter l’importance de cet uranium africain, les conditions désastreuses de son extraction et les moyens mis en œuvre par les autorités françaises depuis 50 ans pour continuer à se le procurer à bas coût.

- Au Niger ou au Gabon, comment s’est manifesté le néocolonialisme qui a accompagné le développement du nucléaire ?

De la même manière que dans les autres ex-colonies où la France entendait sécuriser ses intérêts stratégiques, qu’ils soient énergétiques, économiques, ou militaires : la France a éliminé politiquement ou physiquement les véritables indépendantistes pour promouvoir des dirigeants «compréhensifs». Au Gabon, ce furent Léon M’Ba, puis Omar Bongo, dont le fils est au pouvoir aujourd’hui. Au Niger, Hamani Diori fut imposé contre Bakary Djibo, puis renversé par un putsch militaire en 1974 quand il a voulu renégocier le prix de l’uranium. Les réseaux Foccart ont également sponsorisé le coup d’Etat d’Ibrahim Baré Maïnassara en 1996, et l’ingérence française n’a jamais cessé, comme on l’a vu à partir de 2007, pendant et après le nouveau bras de fer entre Mamadou Tandja et Areva.

- Vous citez un Targui qui dit : «l’uranium est notre malchance». Pourquoi ?

Cela vaut pour toutes les populations locales, et pas simplement pour les Touareg.
Quand des permis sont attribués, les populations sont simplement expropriées. En outre, le bilan de 40 ans d’exploitation de l’uranium est catastrophique aux plans environnemental, social ou sanitaire pour les travailleurs des mines comme pour les populations environnantes. Non seulement la faible part de la valeur de l’uranium qui est rétrocédée à l’Etat nigérien ne leur a jamais profité, mais en plus leur environnement est irrémédiablement contaminé.


- Areva, et Framatome avant elle, a aussi tenté de vendre des centrales aux régimes les moins recommandables, comme à l’Afrique du Sud de l’apartheid ou plus récemment à El Gueddafi. Le nucléaire n’a pas d’odeur...

Les liens entre le régime raciste d’Afrique du Sud et la France ont été très étroits en matière de nucléaire, même sous la présidence de Mitterrand, quand la centrale de Koeberg a été construite alors que le pays était sous embargo international. Plus récemment, Areva s’était doté d’un responsable «Afrique» (qui prétend aujourd’hui à la présidence burkinabée) afin de vendre des centrales au rabais aux Etats africains qui n’avaient pas les moyens d’acheter des EPR. Ces projets n’ont, pour l’instant, pas abouti. Après Fukushima, le Sénégal a par exemple déclaré vouloir y renoncer, mais d’autres négociations se poursuivent, par exemple en Namibie.

- Il y a un an, la catastrophe de Fukushima est venue reposer la question de la sûreté nucléaire, mais Areva continue à nier les risques encourus. L’opacité que les antinucléaire dénonçaient il y a quarante ans est-elle toujours de mise ?

Plus que jamais. Les montants en jeu pour la construction de centrales sont colossaux. L’extraction de l’uranium, qui constitue le premier maillon de l’industrie nucléaire, ne fait pas exception. Qu’il s’agisse de nier les pathologies dont souffrent les mineurs, ou de recycler les personnages les moins ragoûtants des réseaux françafricains pour faciliter l’accaparement de tel ou tel gisement, la «transparence» dont se vante Areva à longueur de publications et de publicités n’est qu’un slogan creux.

- Vous parlez peu dans votre ouvrage de la concurrence féroce entre les sociétés mondiales qui interviennent dans le secteur du nucléaire, dont les Coréens, les Chinois. Qu’en est-il ?

Je ne traite ni de la totalité des questions nucléaires ni ne brosse le tableau complet de l’extraction de l’uranium en Afrique, où Areva compte effectivement des concurrents sérieux comme Cameco ou Paladin. Je me suis contenté d’essayer d’analyser la nouvelle situation marquée par l’ouverture à la concurrence dans le «pré-carré» français, et particulièrement de la présence chinoise pour l’uranium du Niger. Cette présence a permis, certes provisoirement, à Mamadou Tandja d’établir un nouveau rapport de force vis-à-vis de l’ancienne puissance coloniale. Mais elle n’a pas non plus profité aux populations, compte tenu de l’affairisme, de la corruption de son régime, et compte tenu des conditions d’extraction mises en œuvre par les firmes chinoises qui n’ont malheureusement rien à envier à celle d’Areva… A ce jour, l’espoir d’un développement économique et social du pays par l’uranium reste un leurre dangereux.
Walid Mebarek
Elwatan

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