14 mars 2012

Du nomadisme en particulier et de la question du développement du Niger en général

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Nomadisme NigerUn spécialiste des questions de développement qui a préféré garder l'anonymat nous a envoyé cette contribution sur la problématique du nomadisme au Niger en particulier et dans l'ensemble de la région sahélo-saharienne en général, passant en revue les divers défis géopolitiques qui, aux plans social, économique et agro-économique, s'imposent à notre pays comme autant d'impératifs catégoriques.
Avec une superficie de 1.267 000 km², six pays limitrophes et 13.500 000 habitants dont 1/3 de nomades, le Niger est à la charnière de plusieurs parcours. Il y a plus de 600 ans déjà, les échanges entre l'Afrique continentale subsaharienne, les Arabies (Maghreb, Proche Orient) et l'Inde mobilisaient le commerce de l'or, du sel, des dattes et des esclaves. Les routes principales de ces trafics allaient de Abéokuta, au Nigeria, en passant par Gao, Agadez au Niger, Sebha'a en Libye ou Khartoum au Soudan.
Cette dynamique a été cassée, au 20e siècle, par le système colonial français (en Afrique de l'ouest sahélo-soudanienne), qui avait intérêt à faire du Niger à la fois un contrepoids vis-à-vis de l'impérialisme anglais au Nigeria et un contre-pouvoir vis-à-vis de l'Algérie en voie de lutte armée d'indépendance. Les ethnies touarègues ont servi d'instrument dans cette stratégie de vassalisation du Niger par la France. En même temps, chaque fois que cela a été possible, les pouvoirs nigériens ont instrumentalisé le problème particulier des Touareg, plus généralement, celui de l'intégration des nomades arabes et touaregs proches de la Libye et de l'Algérie dans l'Etat national en construction et ce par des rebellions proto-ethniques utilisées par le "guide" libyen et monnayées aux gouvernements faibles contre une paix de chantage.
La vie nomade ne comprend pas les frontières, alors que les Etats territoriaux sont très agacés par le nomadisme transfrontalier. l'Etat moderne a été imposé par le colonialisme administratif. C'est désormais un acquis inscrit dans la légitimité internationale des nations. Dans un Etat à limites territoriales et juridiques (au plan international), il faut respecter un minimum de règles légales : i) une carte d'identité personnelle qui suppose un visage visible ; ii) une adresse nationale fixe ; iii) une feuille d'impôts annuels ; iv) si on a un véhicule (vélo, moto, auto, camion) les documents qui vont avec (certificat d'achat, assurance, certificat de contrôle technique).
Si l'Etat national doit se construire en intégrant les nomades et en respectant leur mode de vie, il faut se poser les questions suivantes et faire des choix consensuels :
  1. - Est- ce que les nomades veulent vivre dans un Etat territorial et en respecter les règles ? Sûr qu'ils n'en veulent pas ; il faudra donc en discuter démocratiquement ; on ne peut imposer à un nomade de se sédentariser ou imposer la loi des nomades aux sédentaires. La seule solution serait que toutes nations de nomadisation, du Maghreb en République centrafricaine (RCA) adoptent une loi pour accorder à tous les nomades un permis de circuler : à condition d'avoir une gouvernance du nomadisme, celle de la circulation des hommes, des bêtes et des biens, dans le respect des droits économiques, écologiques , fonciers et sociaux de tous.
  2. - Est - ce que les Etats-Nations abritant des nomades sont capables de gérer les socio-économies nomades qui sont une richesse unique au monde ? Si oui, il faudrait accorder à tous les nomades une carte d'identité multinationale transparente. Cette carte ne doit pas être un pouvoir de contourner les règles et les lois de tous les Etats et de s'adonner impunément à tous les trafics illicites. Ceci demande, par exemple, entre l'Union du Maghreb arabe (UMA), la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'ouest (CEDEAO) et la Communauté des Etats de l'Afrique centrale (CEEAC) une loi commune sur la circulation des éleveurs nomades. Cette loi doit concerner aussi l'immatriculation des bêtes transhumantes. En effet, des pays comme le Niger ou le Mali s'échinent financièrement à nourrir et soigner des animaux qui sont abattus au Nigeria, au Ghana ou en Côte d'Ivoire sans retour économique pour ces pays producteurs.
  3.  Est-ce que les Etats abritant des élevages nomades sont capables de réguler la circulation des bêtes par rapport à la conservation de l'environnement sauvage et la biodiversité animale et végétale naturelles ?
La circulation des bêtes contrôlées par les hommes a plusieurs dimensions:
  • - a dimension sociale : les nomades vivent sur leurs bêtes ; et les bêtes vivent sur les herbages qui dépendent des zones de pluviométrie ; d'où les conflits avec les sédentaires en période de cultures pluviales ;
  • - la dimension économique : les marchés se situent au sud (Nigeria, Ghana, Côte d'Ivoire) des zones de naissance (Niger, Mali, Tchad) ; mais les pays de naissance et de grossissement sont ceux qui profitent le moins de leurs efforts d'investissements ;
  • - la dimension régionale : le nomadisme est un potentiel important d'intégration régionale : à certaines conditions :i) que les nomades acceptent de respecter la loi commune des Etats qui les autorisent à migrer ; ii) que toutes les bêtes soient marquées et que les revenus d'abattage soient justement partagés.
  • - la dimension juridique et institutionnelle : les Etats de l'UMA, de la CEDEAO et de la CEEAC doivent s'accorder pour encadrer, avec des lois, la circulation des nomades qui va du Maroc à la RCA, lois devant comprendre au moins :i) les devoirs du respect des lois sédentaires par le monde nomade dans le respect des accords consensuels de conservation de l'environnement dans chaque Etat; ii) les droits de liberté de circulation du nomade à condition d' avoir des documents ou moyens d'identités valables  pour lui, sa famille et ses bêtes ;
  • - la dimension politique : il y a des communautés, en Afrique sub-saharienne ou sahélo -saharienne, qui ont la perception de n'appartenir à aucun Etat ; parce que les Etats sont conçus  sur la sédentarité et la territorialité ; alors que eux, les nomades, sont transfrontaliers et, donc transnationaux.  Le gouvernement nigérien doit faire très attention à l'instrumentalisation des Touaregs et des Arabes au nord et à l'est tout en se disant que même Niamey est déjà envahi par des adeptes de l'islam rigoriste suivi du terrorisme pseudo-islamique. Après tout c'est en plein Niamey qu'ont été enlevés deux  Français il y a quelques mois.
Géopolitique économique
Le Niger est très courtisé actuellement pour ses matières premières : uranium, pétrole, gaz, or, nickel, charbon, cassitérite, etc.
Le défi central de notre économie est l'enclavement : sous les deux premiers régimes (ceux de Diori Hamani et de Seyni Kountché), la diversification vers le Togo et la Côte d'Ivoire a permis d'éviter le monopole béninois, sauf pour l'uranium, pour une question de poids du produit et de choix des partenaires extérieurs. Le point faible est qu'il faut payer des rentes au Bénin ou à l'Algérie pour exporter nos produits. De plus, ce sont nos principaux partenaires en investissements qui décident, jusqu'à présent,  de nos voies d'exportation.
Le régime actuel, démocratiquement élu, est confronté aux défis suivants :
  •  Un héritage de corruption et de clientélisme sur-dimensionné jusques et y compris au sein du système judiciaire et de l'Assemblée nationale. Selon Transparentcy International, le Niger est l'un des pays les plus corrompus de la planète en plus de figurer parmi les cinq pays les plus pauvres (IDH/UNDP) et le dernier en termes d'indice de pauvreté multi-dimentionnelle (IDH) prenant en compte les risques environnementaux ;
  • La faiblesse des cadres administratifs en quantité et en qualité au niveau central comme au niveau du terrain ; leur corruption et leur obédience politique. Au Niger, la démocratie, pendant ces vingt dernières années, a été travestie en "business" : Je te garanties les votes de mon village, tu me garanties un ou deux marchés ou un poste à l'Assemblée nationale.
  •  L'incapacité de dialoguer sur les questions de développement, avec les populations (le peuple), de manière directe ; pour la première fois depuis dix ans aucune évaluation de la campagne agricole et alimentaire n'a eu  lieu par une haute autorité responsable, alors que les ONG estiment à 450. 000 tonnes le déficit céréalier, équivalent à celui de 2005 qui a entraîné plus de 40% de malnutrition juvénile (moins de 5 ans).
  • Mais outre les problèmes de sécurité alimentaire, le gouvernement peine à maîtriser la gestion des ressources naturelles (or, uranium, pétrole, gaz, etc.) qui devrait renflouer le budget de l'Etat alors que celui-ci accuse un déficit estimé à 33% et que le financement destiné aux pays dits Pays pauvres très endettés (PPTE) est terminé pour la première tranche.
  • Le Niger est un pays largement sous-industrialisé ; il importe presque tout, même le lait. Selon la Déclaration de politique générale du Premier ministre de la VIIe République devant l'Assemblée nationale le 16 juin 2011, un des trois axes fondamentaux de développement est " la promotion d'une économie de croissance et de développement durable ". Or il n'y aura pas de croissance et de développement durable sans "croissance endogène". La croissance endogène est celle qui vise l'industrialisation, la création de valeurs ajoutées locales et le développement des emplois professionnels
  •  Il faut donc créer, au moins, quatre conditions préalables : i) assainir les finances publiques et éradiquer la corruption et le clientélisme ; ii)créer une justice indépendante, incorruptible et qui donne confiance au privé ; ii) améliorer l'environnement du secteur privé et des partenariats ;iii) accroître les investissements publics dans les secteurs prioritaires de développement endogène : infrastructures, aides aux industries et aux investissements productifs locaux, éducation moyenne et supérieure, santé, eau, énergie et agriculture irriguée.- Au-delà : il faudra : i) que l'Etat soit redressé et soit plus efficace et plus efficient ; que l'administration soit dépolitisée et professionnalisée, mieux équipée et modernisée ; ii) que le ministère du Plan, de l'Aménagement du territoire et du Développement Communautaire  (MPATDC) établisse clairement des mécanismes de fonctionnement avec les gouvernorats et mette en place les personnels et la logistique de fonctionnement sur le terrain ; iii) que l'Exécutif et le Législatif s'accorde pour donner des pouvoirs de décisions de développement avec les moyens financiers correspondants aux Assemblées régionales tout en se donnant les moyens de contrôler les dépenses et les résultats.
  • L'entrée du Niger dans la production pétrolière lui donne son autonomie en carburants, mais le pays est toujours dépendant  à 80% de l'hydro-électricité de Kainji au Nigeria. Quelle est la politique énergétique du Niger à moyen et long termes ? le pays a tous les atouts : l'uranium, le solaire, l'éolien, le pétrole et le gaz. Nous pouvons même exporter vers les voisins par l'interconnexion.
  • La géopolitique économique nous impose quatre directions : i) faire des projets conjoints avec les pays du Liptako-Gourma ; ii) diversifier nos relations avec les pays du golfe de Guinée (Bénin, Côte d'Ivoire, Ghana, Nigeria) ; iii) construire une stratégie de pont entre le Nigeria, principalement (et le golfe de Guinée, et l'Algérie et la Libye) iv) assurer notre rôle de relais commercial entre le Nigeria, l'Algérie , la Libye d'une part et, d'autre part , entre le Nigeria, le Burkina -Faso et le Mali.
  • La principale menace sur l'avenir du Niger est la désertification. Même le fleuve Niger, la principale richesse en eaux douces, est menacé d'ensablement. Ses affluents, au lieu de l'alimenter en eau, lui injectent du sable parce que les bassins forestiers ont été déboisés pour fournir les villes en bois de chauffe.
  •  Il y a trois zones humides (qui méritent l'attention de tous les gouvernements de la zone soudano- sahélienne) : le bassin du fleuve Niger ; l e bassin du Lac Tchad ; le bassin fossile de l'IRHAZER. De tous ces bassins, on peut extraire de l'eau pour l'agriculture, le reboisement et la régénération de la biodiversité végétale et animale.
Géopolitique agro-écologique
  • La condition centrale est l'éducation des populations à l'écologie du futur. Au lieu de couper les forêts dans une dynamique d'économie suicidaire, elles devraient  faire des prélèvements raisonnables et faire du reboisement pour les générations futures. Les gouvernements devraient promouvoir des énergies alternatives pour les consommations urbaines des pauvres : solaire, éoliennes, gaz, pétrole, etc. Les villes vont contenir plus de 40% des populations en 2020 ; or, Niamey, la capitale, à elle seule, a déjà consommé une auréole de 200 km de diamètre de forêts.
  • Va- t - elle  éduquer davantage les populations aux stratégies de l'avenir ?
  • Va -t -elle favoriser l'arrêt de la désertification et promouvoir la reforestation?
  • Quels sont les vrais pouvoirs de choix de développement et de moyens financiers dévolus aux régions ? Comment seront-ils conjugués avec les choix de développement centraux et la gouvernance centrale ?
Cette géopolitique là assurera l'avenir des générations futures, à condition qu'elle soit accompagnée par  i)  de bonnes stratégies d'aménagement du territoire (cadre foncier, cadastre privé et public ; infrastructures etc ; ii) des stratégies adéquates de développement communautaire des terroirs villageois ; iii) l'éducation des futures générations (ceux qui on entre 7 et 16 ans aujourd'hui) à travers des programmes d'action civique écologique (maraîchages scolaires, reforestation, etc.) ; iv) une bonne gouvernance socio-économique régionale du nomadisme.
Il n'est pas sûr, cependant, que les pouvoirs politiques puissent faire passer ces stratégies auprès des populations tant sont grands les pouvoirs des lobbies qui exploitent les forêts (anciens militaires, spéculateurs fonciers, chefs traditionnels, y compris les fonctionnaires forestiers corrompus).
Logiquement, la décentralisation devrait favoriser ces stratégies ; mais, encore une fois, quelle est la gouvernance de décentralisation ?
On attend les réponses concrètes à toutes ces questions. Ce n'est pas du pessimisme ou de la contestation ; c'est de la lucidité pour le progrès du Niger.
 
Par A. Boubou
Source : Le Démocrate

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