Les affrontements entre l'armée malienne et les combattants touaregs du MNLA, ex-mercenaires fraîchement revenus de Libye et lourdement armés, n’augurent rien de bon dans un pays déjà rongé par l’activisme des islamistes d’AQMI.
Dans l’immensité du désert saharien, l’insurrection touareg, en
sommeil depuis 2009, est-elle de retour ? Mercredi 18 janvier, les
rebelles du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA)
- une région au nord-est du Mali - ont lancé une offensive à Aguelhok
et Tessalit, deux villes proches de la frontière algérienne. La veille,
ils avaient déjà tenté de prendre Menaka, près de la frontière du Niger,
avant d’être repoussés par les forces de sécurité maliennes. Des
attaques revendiquées par la rébellion qui ont fait 47 morts, selon le
gouvernement malien, dont deux victimes au sein de l’armée malienne.
Si les affrontements entre communautés touaregs et pouvoir malien
n’ont rien d’inédit – le bras de fer entre Bamako et les "hommes bleus"
remonte à l’indépendance du pays en 1962 -, reste à savoir quelles sont
les motivations de ces nouvelles attaques qui
interviennent à quatre mois de la présidentielle. Pour l’armée
malienne, pas de doute : la réouverture du dossier touareg est
intrinsèquement liée au conflit libyen et au retour d’anciens
mercenaires touaregs qui avaient été enrôlés au sein de la Légion
islamique de Mouammar Kadhafi.
Une nouvelle génération de combattants
"Lorsque Kadhafi est tombé [le 20 octobre à Syrte ndlr], tous ces
rebelles se sont retrouvés sans employeur", explique Pierre Boilley,
professeur d’histoire d’Afrique contemporaine à l’université Paris-I et
directeur du Centre d’études des mondes africains (Cemaf). L’intérêt que
portait l'ancien Guide libyen aux différentes rébellions du continent
africain est un secret de polichinelle. Nombre d’insurgés touaregs
avaient rejoint la Libye dans les années 1970, fuyant les périodes de
grande sécheresse qui sévissaient alors dans la région saharienne.
Bien évidemment, le retour de ces anciens rebelles n’a pas été accueilli avec enthousiasme par les autorités maliennes.
"Ils sont rentrés au Mali [mais aussi au Niger, au Burkina Faso, etc.,
ndlr] lourdement armés, entraînés au combat et scolarisés", renchérit de
son côté Philippe Hugon, spécialiste de l’Afrique à l’Institut des
relations internationales et stratégique (Iris). "Plus dangereux que les
générations de combattants précédentes, ils sont pris très au sérieux
par le pouvoir en place", ajoute-t-il. Il faut dire qu'après l’échec des discussions lancées en novembre 2011 par Bamako, le torchon brûle. A l'époque, une délégation de diplomates maliens était partie à la rencontre des Touaregs pour tenter d’instaurer un dialogue. Chou blanc. Depuis, les relations entre les
autorités et les combattants se sont considérablement dégradées. Preuve
en est, l'important déploiement militaire mis en place ces derniers mois
dans le nord du pays.
MNLA, héritier de décennies de revendications politiques
"En réalité, je pense que le MNLA inquiète Bamako non seulement à
cause de son savoir-faire en matière de combats, mais aussi parce qu’il
est une entité inconnue. On ne connaît ni sa structure ni son chef, ni
même la solidité de leur formation", explique Pierre Boilley. "Tout ce
que l’on sait, c’est que le MNLA est une formation politico-militaire
née fin 2011 de la fusion de plusieurs factions de combattants touaregs
dont le Mouvement touareg du Nord-Mali (MTNM) et le Mouvement national
de l’Azawad (MNA)", continue-t-il. Cette rébellion est donc l’héritière
de décennies de revendications politiques qui se sont tour à tour
heurtées à la colonisation française, au pouvoir malien et aux
"multiples déceptions inhérentes aux plans de sortie de crise lancés ces
dernières années", ajoute le professeur.
Un portrait lapidaire mais dont les caractéristiques principales sont
confirmées par Pierre Boilley. "Si certains ont intègré le processus de
paix offert par le gouvernement du président Amadou Toumani Touré,
d'autres l'ont rejeté. Certaines branches ont toujours jugé, en effet,
que Bamako n’avait pas respecté ses engagements [lors des accords
d’Alger signés en 2006 ndlr] et laissé à l’abandon la région du Nord
rongé par la paupérisation et les mauvaises récoltes", complète le
directeur du Cemaf.
Le MNLA aspire à l’indépendance
Autre particularité du MNLA très préoccupante pour Bamako : ses
velléités d’indépendance. Alors qu'ils ne revendiquaient jusqu'à présent
qu'une meilleure intégration au pouvoir central, les "hommes bleus"
souhaitent désormais s’affranchir du pouvoir en place dans l’espoir de
créer un vaste État autonome dans la région de l’Azawad, berceau des
Touaregs.
Soucieux de préserver son intégrité territoriale, le Mali exclut de
donner suite à cette nouvelle revendication qui vient s’ajouter à une
longue liste de griefs. "Bamako ne cédera pas. Non seulement le
président Amadou Toumani Touré a le soutien de la population hostile à
ces combattants armés mais il a également le soutien militaire des pays
alentours. Il pourra toujours faire appel à une coopération régionale
voire même à l’Union africaine (UA) pour contrecarrer toute réactivation
majeure de ce mouvement", souligne Philippe Hugon.
Touaregs et AQMI, le binone explosif
Pas question donc de lâcher du lest et d’abandonner au MNLA une
région saharienne déjà très instable. "Certaines factions de combattants
nomades se sont branchées à des réseaux criminels et mafieux. Dans
l’Azawad, les trafics d’armes et de drogue pullulent". Sans compter que
le nord du Mali est aussi le théâtre d'opérations d'Al-Qaïda au Maghreb
islamique (Aqmi) qui, à partir de ses bases dans cette région, "rayonne"
dans plusieurs autres pays de la zone sahélo-saharienne où elle commet
des attentats, se livre à divers trafics et enlève des ressortissants
occidentaux.
"Le Mali s’inquiète de la nouvelle dimension que pourrait prendre ce
conflit. Imaginez que les combattants touaregs et les islamistes d’AQMI
se rapprochent pour combattre conjointement le pouvoir en place. Bamako,
et sûrement une grande partie du Sahel, se retrouveraient face à une
véritable poudrière", conclut Philippe Hugon.
Source: france24