«Tous
les gens qui s’intéressaient à l’affaire savaient que ça allait
repartir un jour ou l’autre depuis la constitution du MNLA [né de la
fusion de groupes touaregs en octobre 2011, NDLR] qui revendiquait
quelque chose qui va beaucoup plus loin qu’avant, c’est-à-dire
l’indépendance, tout au moins une très grande autonomie »
Lire la version écrite de l'interview ci-dessous.
Depuis trois jours, quelques centaines de rebelles
touaregs défient le pouvoir malien. Les combats qui ont eu lieu Menaka,
Aguelhoc et Tessalit, ce mardi 17 et mercredi 18 janvier 2012, entre
rebelles touaregs et armée malienne ont fait 47 morts -45 rebelles et
deux soldats- dans deux des trois villes du nord du Mali attaquées par
la rébellion, selon un communiqué publié ce jeudi 19 janvier par le
ministère malien de la Défense. Pourquoi ce défi ? Le chercheur français
Pierre Boilley dirige le Cemaf, le Centre d'études des mondes
africains, et enseigne à l'Université de Paris I. Il répond aux
questions de RFI.
RFI : Pourquoi les rebelles touaregs se réveillent-ils après une trêve de trois ans ?
Pierre Boilley : Première chose, les rebelles
touaregs ne se sont jamais vraiment endormis puisque les rébellions à
bas bruit (*) de ces derniers temps ont continué à exister. Néanmoins,
effectivement, on se trouve là dans une situation assez nouvelle qui est
l’attaque de ce nouveau mouvement, le Mouvement national de libération
de l'Azawad (MNLA), qui a recommencé un combat. La question se pose :
pourquoi maintenant ? Je pense qu’il y a d’abord des raisons
conjoncturelles qui sont celles du retour des combattants touaregs qui
avaient aidé majoritairement le colonel Kadhafi mais qui, en partie
aussi, avaient combattu dans les rangs du Conseil national de transition
(CNT) libyen; et du retour d’une masse d’armes assez impressionnante, y
compris en termes d’armes lourdes, très lourdes même. Il y a une
opportunité de création d’une branche armée, ce qui était peut-être plus
difficile auparavant. Et puis la seconde raison, c’est aussi que le
Mali a réinvesti assez fortement le Nord en installant de nouveaux
postes militaires et cette installation a accéléré la décision de
réattaquer. Néanmoins, les choses couvaient depuis pas mal de temps.
Tous les gens qui s’intéressaient à l’affaire savaient que ça allait
repartir un jour ou l’autre depuis la constitution du MNLA [né de la
fusion de groupes touaregs en octobre 2011, NDLR] qui revendiquait
quelque chose qui va beaucoup plus loin qu’avant, c’est-à-dire
l’indépendance, tout au moins une très grande autonomie. Et on savait
forcément qu’il y aurait du mouvement mais ce qui n’était pas forcément
évident, c’est que ça se passe comme ça, par des attaques de villes.
RFI : Qui sont ces chefs du MNLA ? Est-ce que ce sont
essentiellement d’anciens officiers de Mouammar Kadhafi ou plutôt des
lieutenants de l’ancien chef rebelle Ibrahim Ag Bahanga, mort en août
2011 ?
P. B. : Très franchement il est assez difficile de
savoir actuellement qui est le chef ou qui sont les chefs, dans la
mesure où le MNLA est un condensé de trois mouvements. On est plus dans
une direction collégiale -ce qui peut d’ailleurs poser un problème à ce
mouvement- que dans une véritable direction unique. Donc il y a des
chefs qui étaient des lieutenants d’Ag Bahanga, et puis toute une série
de gens qui ont des postes importants éventuellement au Mali, comme des
postes de députés et qui peuvent aussi avoir un mot à dire dans la
direction.
RFI : A quelles communautés touarègues appartiennent-ils ?
P. B. : Majoritairement, ce sont des Kel Adagh, des
gens de la région de Kidal c’est-à-dire de la ville au nord de Gao. Mais
il y a aussi des populations proches de Gao, des gens qui peuvent être
considérés au sens très large comme des Kel Adagh mais qui sont plutôt
des Imrad, donc des gens qui ne sont pas nobles. Et puis il est très
probable qu’il y ait aussi des Iwellemeden (**), des gens qui sont plus
au sud et plus à l’est. La nouveauté aussi, c’est que le MNLA se réclame
de l’ensemble ce que qu’ils appellent l’Azawad, des populations du Nord
et pas simplement des touaregs. Il semblerait qu’il y ait aussi des
sonraï, des maures etc, à l’intérieur de ce mouvement.
RFI : Est-ce qu’il y a des déserteurs de l’armée malienne parmi eux ?
P. B. : oui, ça c’est sûr. Officiers et hommes sont parmi eux. C’est quelque chose qui n’est pas nouveau non plus.
RFI : Ils réclament donc l’indépendance du Nord-Mali mais il y
a vingt ans, ils avaient mené le même combat et ils avaient échoué.
Qu’est-ce qui a pu les décider à reprendre les armes ?
P. B. : Il y a vingt ans, en 1990, l’indépendance
n’a jamais été réclamée et tactiquement en plus, il a été clair pour
tout le monde qu’il ne fallait pas le faire. Donc ce qui a été demandé,
c’est un statut particulier qui avait été accepté dans le pacte
d’ailleurs en 1991 et qui a permis quand même une certaine autonomie
politique de la région nord au même titre que les autres régions. D’une
certaine façon, je considère que la révolte en 1990 n’a pas échoué. Elle
a été positive sur pas mal de plans : sur le plan de l’autonomie d’une
part, sur le plan de l’intégration des touaregs dans l’armée, dans la
police, dans la douane etc… sur le plan de la meilleure connaissance
entre le Nord et le Sud et sur le plan démocratique aussi parce qu’il y a
eu malgré tout pas mal de gens qui ont été intégrés dans la vie
politique malienne. Je considère que c’était une réussite quelque part.
Si la révolte reprend maintenant, c’est peut-être parce qu’il y a eu un
net ralentissement -il faut le dire- sous la gestion notamment du
dernier président, Amadou Toumani Touré, qui, actuellement -et c’est
tout à fait intéressant- est relativement pointé du doigt par tous les
Maliens, particulièrement ceux du Sud qui disent en fait, le problème du
Nord n’est pas une bonne chose, la guerre n’est pas une bonne chose,
mais le grand responsable c’est quand même le président qui n’a pas fait
ce qu'il fallait.
RFI : Quels sont les liens entre ces rebelles touaregs et les terroristes d’al-Qaïda ?
P. B. : A priori, les touaregs eux-mêmes s’acharnent
à le dire et le redire : il n’y a pas de lien entre al-Qaïda au Maghreb
islamique (Aqmi) et les rebelles touaregs. Il n’y a pas de lien non
plus a priori entre les populations touarègues, les maures etc… et
al-Qaïda. Al-Qaïda est vraiment un corps étranger, enkysté maintenant
dans la région depuis 2007. Il y a eu des « mariages », mais malgré
tout, tout le monde passe beaucoup de temps à dire que les touaregs et
les maures etc, ne sont pas des terroristes. L’islam qui est pratiqué
n’est pas le même que les salafistes et qu’a priori, il ne faut pas
faire la confusion. Et si vous allez sur le site du MNLA, vous voyez
qu’il y a un grand article [reprise d'un article publié par le quotidien
La Tribune de Genève, NDLR], sur « Les touaregs sont le rempart à l’expansion du terrorisme d’Al-Qaida » .
RFI : Il n’empêche qu’après leur libération, plusieurs otages ont dit qu’il y avait des touaregs parmi leurs ravisseurs ?
P. B. : Il y a quelques jeunes touaregs. Les
notables touaregs ont fait une action ces derniers temps et ont fait
revenir dans les foyers une vingtaine, une trentaine de jeunes touaregs
qui s’étaient fourvoyés. Je pense qu’effectivement, un certain nombre de
jeunes ont pu être séduit par les sirènes islamistes et les profits
qu’on peut en tirer. [intervention RFI : et l'argent qui va avec ?]
Mais ça n’a jamais été un fait très important. Pour le moment, Aqmi
reste extrêmement majoritairement composée d’Arabes algériens.
RFI : Que peut faire le président Toumani Touré, riposter ou négocier ?
P. B. : Ce qui est assez fascinant, c’est de voir à
quel point l’armée se déploie contre quelques centaines de gens qui
effectivement attaquent des villes, mais elle ne s’est absolument pas
déployée contre Aqmi. Je ne pense de toute façon que la bataille soit la
solution parce que l’armement est lourd des deux côtés. Maintenant, on
n’est plus au niveau des armements de 1990 et ça peut vraiment aboutir à
quelque chose d’assez grave. Et j’ai le sentiment, en écoutant un
certain nombre de prises de paroles du MNLA, qu’il y aura des
négociations qui seraient assez facilement possibles et rapidement.
RFI