2 mars 2012

Aqmi: pourquoi l'Algérie reste incontournable (2/3)


Spécialiste du Mali, Serge Daniel vient de publier «AQMI, l'industrie de l'enlèvement» aux Editions Fayard. Il analyse pour SlateAfrique les raisons de l'expansion d'al-Qaïda au Maghreb Islamique. Deuxième partie de l’interview.

Photo de Michel Germaneau diffusée sur la chaîne Al-Jazeera le 26 juillet 2010. Reuters/Ho New


SlateAfrique - Pour lutter contre Aqmi dans le Sahel quels sont les obstacles à une coopération régionale?
Serge Daniel - Pour le Mali, les membres d’Aqmi ne proviennent pas de chez eux. Si nous voulons mener une lutte efficace contre al-Qaïda au Maghreb islamique, il faudrait que tous les pays s’investissent.
Or l’Algérie, un pays clé dans la région, freine toute avancée dans la lutte. Le budget de l’armée algérienne est évalué à 6 milliards de dollars par an, autrement dit 5 fois plus que le budget national d’un pays comme la Mauritanie.
L’Algérie reste une puissance militaire régionale incontournable. Mais Alger ne veut pas entendre parler d’étrangers dans la zone, ni du Maroc, ni d’une coopération avec les pays occidentaux. Or le Maroc est capitale dans la lutte contre al-Qaïda au Maghreb. Et les Marocains ont une expertise en matière de lutte contre al-Qaïda.
Pour les Algériens, il y a seulement quatre pays concernés par la lutte contre Aqmi: l'Algérie, le Niger, le Mali et la Mauritanie. Il appartient donc à ces quatre pays de trouver une solution commune au problème par la mise en place d’un état-major basé au sud de l’Algérie. A cela s’ajoute l’ouverture d’un centre de renseignement à Alger.
En réalité, la coopération est fictive. La lutte sur le terrain est quasiment absente. Lors d’une réunion de coopération en Mauritanie, les pays ont récemment annoncé la formation d’une armée commune de 27.000 hommes. Mais rien de concret n’a été réalisé jusqu’à aujourd’hui.
SlateAfrique - Comment Aqmi est-elle structurée?
Serge Daniel - Un Emirat national est basé en Algérie. Les patrons sont là-bas. Ce sont les vétérans, les anciens du GIA (Groupe islamique armé). On les surnomme les «Afghans» car ils ont combattus en Afghanistan. Ensuite viennent les émirats régionaux et parmi eux, les katibas —milices— du Sahel: Mauritanie, Mali, Niger.
Deux grosses katibas sortent du lot: d’une part la plus radicale conduite par Abou Zeid, l’homme qui a tué l'otage britannique Edwin Dyer en juin 2009. C’est dans sa katiba que l’otage Michel Germaneau, l’humanitaire français, a également été tué.
D’autre part, la katiba conduite par Moctar Ben Moctar, surnommé Malboro (en raison de son implication supposée dans des trafics de cigarettes). On le présente à tort comme un simple trafiquant de drogue. Or il est responsable de l’enlèvement de trois Espagnols fin novembre 2009. Il a pris neuf millions d’euros pour les libérer. Entre 2003 et aujourd’hui, les katibas ont au moins empoché 50 millions d’euros.
Aqmi, c’est un cancer qui est train de se métastaser. A côté des katibas, a été créé al-Qaïda en Afrique de l’ouest. Ce sont des noirs. L’idée c’est de favoriser une jonction entre Boko Haram, la secte islamiste basée au Nigeria et Aqmi.
Bémol. Une différence sépare les deux organisations. Pour l’instant, Boko Haram n’a pas fait allégeance à al-Qaïda maison mère. Sauf que Boko Haram se divise en deux branches, une interne qui veut instaurer la charia (loi islamique) et qui organise des attentats. L’autre branche formée par al-Qaïda au maghreb islamique.
C’est un Algérien Nabil Makhloufi qui a formé les combattants de Boko Haram à manier les explosifs. Il fait partie des vétérans algériens. Il était en prison en Algérie. Par exemple en commettant l’attentat d’Abuja (le 26 août 2011, un attentat suicide contre les locaux de l’ONU qui avait fait 26 morts), ils ont voulu dire aux cadres d’al-Qaida: vous nous avez formé, soyez fiers de nous.
Slate Afrique - Quel est le profil des membres d’Aqmi?
Serge Daniel - Ce sont des jeunes. Moyenne d’âge: 16 ans. Persuadés que Dieu va tout régler. Beaucoup de jeunes Mauritaniens. On les recrute majoritairement dans les madrassa (écoles coraniques).
Autre cas de figure: si vous apportez dix jeunes à Aqmi, cela vous rapporte entre 10.000 et 20.000 euros. Le dernier mode de recrutement reste Internet via des sites de tchat. En 45 jours, ils surchauffent le cerveaux de ces jeunes, prêts à prendre les armes au nom de Dieu.
On dit qu’Aqmi compte entre 300 et 400 combattants. Sauf qu’il faut prendre en compte les sous-traitants. Pour moi, ils sont au moins un millier, essentiellement des Mauritaniens. Les Mauritaniens ne supportaient plus d’être dirigés par les Algériens. Le chef d’al-Qaïda en Afrique de l’ouest, c’est un Mauritanien. La maison mère en Algérie a été habile en donnant plus de responsabilités aux katibas locales.
Slate Afrique - Quels sont les liens entre Aqmi et les Touareg?
Serge Daniel - Les problèmes dans le Sahel sont transversaux. Les Touareg sont des nomades éleveurs. On ne pas s’intéresser aux Touareg en faisant l’impasse sur le Niger, le Tchad, l’Algérie. Les Touareg se déplacent. Toutefois, ils partagent le même territoire avec Aqmi, le nord du Mali. Quand ils disent qu’ils sont les seuls à combattre Aqmi, ils se trompent. Je ne pense pas que les Touareg puissent avoir deux fers au feu, d’un côté l’armée régulière et de l’autre Aqmi.
SlateAfrique - Comment expliquez-vous que la cause des Touareg soit aussi populaire en Occident?
Serge Daniel - Le principe des minorités. Depuis les années 90, ils ont des soutiens. Danielle Mitterrand avait fait partie des soutiens de la cause touareg. Aujourd’hui, il y a deux ou trois officines qui travaillent pour eux. Ils sont également très présents sur la Toile. Le mythe de l’homme bleu, dans son désert, alimente cette image d’Epinal. Ce fantasme. Alors qu’il y a des Touareg dans les rangs d’Aqmi. Ils partagent la même région, le nord-ouest. Mais il y a aussi des Touareg dans l’armée loyaliste du Mali.
Propos recueillis par Nadera Bouazza et Pierre Cherruau
slateafrique

Entretien avec Romaric Adekambi, co-fondateur de Agone Drone, sur la vulgarisation de l’usage des drones au Bénin

Romaric Adekambi est le co-fondateur de Agone Drone, une agence de location de drones pour les professionnels du secteur audiovisuel. Avec ...