Chez les touaregs la charpente de la société est structurée autour de
la femme. Elle est la matrice de cette culture. C’est de la lignée
maternelle que se transmettent les pouvoirs qui sont ceux d’une
aristocratie guerrière.
Le statut de la femme a, depuis un certain temps constitué un sujet
de préoccupations dans le monde, au point qu’une journée internationale
lui a été consacrée. Cela se justifie par la place qu’elle occupe dans
la société et surtout par le rôle qui est le sien dans le cadre de
l’épanouissement de la cellule familiale et de toute la société. Ce
statut fait apparaître des spécificités socioculturelles importantes
liées aux modes de vie des communautés, à leurs cadres naturels de vie
et de certaines contingences exogènes. Son évolution part toujours d’un
héritage historique propre à chaque communauté.
Chaque société a eu son propre cheminement et la femme a toujours eu à
se battre pour préserver son intégrité et ses droits, garder des
acquis, et assurer son avenir au sein d’une société qu’elle voudrait
plus égalitaire.
Chez les touaregs la charpente de la société est structurée autour de
la femme. Elle est la matrice de cette culture. C’est de la lignée
maternelle que se transmettent les pouvoirs qui sont ceux d’une
aristocratie guerrière.
Dans l’institution maritale, elle joue le rôle central depuis le
mariage, jusqu’à l’éducation des enfants en passant par la gestion du
foyer. La femme touarègue a non seulement droit à la propriété, mais
tout ce qui matérialise la cellule familiale lui appartient en
commençant par la tente et son contenu. En cas de séparation, l’homme
n’a droit qu’à son apparat au sens strict du terme. C’est lui qui part
du foyer et le laisse intact pour être livré à l’incertitude.
» Sans exagérer, l’homme touareg est perçu ici comme simple géniteur
et pourvoyeur des moyens matériels de subsistance. Il affronte les
dangers de part sa constitution physique et son penchant naturel et les
acquis de sa féroce lutte contre la nature sont confiés à l’intelligence
subtile de la femme pour les gérer et les préserver de la
déperdition ».
L’apogée de l’histoire maghrébine africaine des touareg a été faite
par des reines telles KAHINA (reine de Numidie , actuel Maghreb) et TIN
HINANE reine des Kel Ahaggar, des reines qui se sont imposées plusieurs
siècles avant l’Islam des rives méditerranéennes aux confins sud du
Sahara . Avec elles, le matriarcat qui leur donne droit à tout le
pouvoir et à toute prise de décision s’est imposé davantage à la société
touarègue. Le résultat de cette prépondérance matriarcale et de cet
engagement subtilement féminin, a consacré définitivement le droit du
fils de la sœur de l’Aménokal ( chef suprême des Touaregs) à prendre la
relève du pouvoir aristocratique. Comme cela on est sûr de préserver
l’héritage génétique matriciel. La femme touarègue est aussi le support
sur lequel repose toute la vie économique et l’avenir de la communauté.
Elle propose les alternatives, gère et encadre le campement à l’absence
de l’homme et participe à toutes les décisions en sa présence.
LES ATOUTS CULTURELS DE LA FEMME TOUARÈGUE ET LES CHANGEMENTS SURVENUS
Comme nous le voyons donc, depuis la nuit des temps, la femme
touarègue jouit d’une certaine notoriété. En effet, plus que partout
ailleurs, elle a pu exercer jusqu’au pouvoir suprême. Les cas de Kahina
reine berbère des Aurès ( Algérie) qui a combattu une armée de
conquérants arabe et celui de Tin – Hinan ( Celle des tentes )l’illustre
parfaitement. Des siècles durant, la société touarègue fut matriarcale,
et le pouvoir de commandement se transmettaient par le biais de la
parenté matrilinéaire. N’accédait au pouvoir que le neveu utérin du
précédent Chef. Ceci reste valable dans toutes les confédérations
touarègues, à quelques exceptions près. L’avis de la femme a toujours
été sollicité et pris en compte dans les grandes décisions qui ont donné
un sens et un contenu à la vie de cette société.
Bien longtemps avant la conférence de Beïjing, la femme touarègue a
eu accès à la propriété, à la liberté d’être, d’expression, de choisir
son partenaire et d’être à l’abri des sévices corporels. Pour préserver
ce fondement culturel de cette société, un code de conduite dénommé
« Asshak » a été institué et imposé aux hommes. Dans cette démarche
éthique morale, l’homme doit gérer son avantage physique afin de ne pas
en abuser sur la femme et les faibles de la société. Cette règle
garantie la totalité des droits de la femme et fait d’elle le facteur
anoblissant l’homme. L’homme qui déroge à cette règle n’est plus noble
et est déchu de ses droits. Il est banni. Ce sont les femmes qui
prononcent cette exclusion. Quel est l’homme touareg qui risquerait de
ne plus être chanté par ces belles voies à son retour lors des séances
musicales d’imzad,que ne fera t’il pour maintenir leur grâce, même s’il
lui faut se surpasser.
Aujourd’hui encore, le plus grand sacrilège dans la société touarègue
est de porter la main sur une femme et les insultes à son égard sont
fortement reprouvées. Aucune atteinte à son intégrité physique, morale
et spirituelle n’est tolérable.
(Pour cela et pour une question de pudeur, et certainement plus par
respect de la femme, la question de la virginité de la jeune mariée au
moment de la consommation du mariage est couverte par un silence
explicitement approuvé).
Le jugement de la femme est redouté. Elle est régulatrice du
comportement dans la société. Pour ce faire, l’homme a intérêt à
apparaître à ses yeux courageux, généreux et infaillible. A cet effet
d’ailleurs, devant une situation difficile quelconque, que ce soit sur
le champ de bataille ou dans la vie de tous les jours, le jeune touareg
ne pensera jamais aux conséquences de son comportement sur sa propre
personne, mais plutôt ce que diront les jeunes filles au campement.
Avant de rejoindre son mari, l’épouse touarègue a toujours disposé
d’une tente, de meubles et d’animaux de traite selon les capacités de
ses parents. Elle rejoint son mari avec un capital qu’il doit préserver
voire fructifier en accord avec celle-ci. Il convient de préciser que
dans le mariage, c’est le régime de la séparation des biens qui prévaut.
Aucun mari ne peut disposer des biens matériels inaliénable nommé
ébawel de son épouse sans son consentement. La femme touarègue choisit
son mari, ou alors la famille le choisit avec son accord. Sa préférence
est prépondérante même si elle doit obéir elle aussi à des critères qui
préservent la dignité et l’honneur de la famille, de la tribu ou de la
fédération. Sa dot est toujours équivalente à celle qui a été donnée à
sa mère et quelques soit le nombre de mariages, elle a droit à la même
dot. Contrairement aux autres femmes nigériennes, sa dot ne se déprécie
jamais. Dépositaire de la culture et de la tradition, la femme touarègue
a en charge entre autres, de transmettre la langue et l’écriture
touarègue « Tifinagh » aux générations montantes. Ainsi, la femme
touarègue s’occupe de l’éducation des enfants, de la jeune fille en
particulier, des travaux domestiques et de la surveillance des animaux.
Bien que musulmane depuis longtemps, la femme touarègue méprise
royalement la polygamie. Elle met à profit le statut que lui confère la
société pour imposer la monogamie. Pour elle, si l’Islam tolère jusqu’à
quatre (4) épouses, il ne contraint par contre aucun mari à être
polygame
D’autre part, la femme touarègue est si adulée que la poésie lui est
essentiellement dédiée. Elle y est décrétée comme un être chérissable,
mystérieux, énigmatique à conquérir. Elle est autant appréciée pour ses
qualités spirituelles, pour son intelligence et sa vivacité d’esprit que
pour sa grâce féminine. Consciente de son importance et du mythe qui
l’entoure, elle a su exploiter en sa faveur les réalités
socioculturelles et historiques de son milieu. Elle est par ce fait, en
position de force pour exiger et obtenir ce qu’elle veut. Cela est
d’autant plus facile car elle dispose d’une certaine autonomie sur le
plan économique que lui confère le droit à la propriété.
Cette domination des femmes est souvent source de conflits dans les
couples où elle est mal gérée. Cela pourrait expliquer la courbe élevée
des divorces chez les touaregs. En effet comme on peut facilement le
comprendre, face à l’esprit prédateur des hommes, les femmes opposent
une résistance farouche afin de défendre des acquis millénaires. Cette
rude bataille n’est pas gagnée d’avance et ces femmes perdent du terrain
non pas face aux hommes, mais face à la roue de l’histoire. Le résultat
se traduit par des mutations intervenues dans un nouvel environnement
social où la femme touarègue est entrain de perdre en quelque sorte son
« pouvoir ».
En effet, son rôle dans la société est entamé par plusieurs facteurs
endogènes et exogènes. Sur le plan éducatif, l’école et la rue
s’occupent désormais de l’éducation des enfants. L’écriture bèrbère
« Tifinagh » dont elle était détentrice et qu’elle transmettait aux
enfants a été supplantée par d’autres langues, certaines imposées que
des vagues de colonisations et d’autres par les politiques nationales.
Des comportements contraires au code et à l’éthique « Asshak »
deviennent quotidiens et la polygamie commence à rentrer dans les mœurs
du fait de la fragilisation de son statut.
Sur le plan économique, la tendance à la sédentarisation qui se
dessine chaque jour davantage, lui « ôte » le privilège de la propriété
de l’habitat. Les sécheresses successives ont détruit les troupeaux qui
constituent son capital économique. Diaspora et exode ont abouti à la
transformation de ces sociétés Touarègues qui subissent de plein fouet
la modernité, sous la forme d’une « modernisation » brutale qui touche à
leur être existentiel, à l’âme de la société, à son imaginaire, à son
rapport à l’autre et à l’espace. Et surtout a ce qui faisait sa force et
son originalité, son système de parenté matrilinéaire. Mais la
situation « sombre » que commence à vivre la femme touarègue du fait de
ces bouleversements ne doit pas lui faire oublier sa place dans la
société. Elle doit pouvoir s’adapter au nouveau contexte socioéconomique
tout en continuer à être la gardienne et la dépositaire de la tradition
et des valeurs qui lui donnait toute sa distinction. A cet effet, elle
doit prendre conscience de son nouveau rôle qu’elle pourrait mieux jouer
en se scolarisant davantage tout en gardant sa personnalité culturelle
qui fait d’elle un symbole, une référence. Son héritage culturel énorme
peut bien s’accommoder de toute adaptation. Ainsi elle pourrait mieux
que par le passé participer au développement de la société avec des
méthodes modernes et novatrices, par exemple à travers les associations
et en assurant des postes de responsabilités. Cela lui permettrait aussi
de mieux s’impliquer dans le combat politique, chose déjà incrustée
dans sa culture et son comportement.
LA FEMME TOUARÈGUE FACE AUX NOUVEAUX DEFIS DE LA VIE URBAINE
Les nouveaux défis de la vie urbaine et du développement durable
qu’elle implique pour la société touarègue sont de deux ordres :
l’évolution du mode de vie nomade vers un mode de vie sédentaire et
l’influence du modernisme sur la culture traditionnelle.
L’évolution du nomadisme : sédentarisation et urbanisation
Les cataclysmes naturels tels que les sécheresses et les conséquences
qu’ils entraînent, ont eu un effet dévastateur sur les modes de vie des
touaregs. Cela implique naturellement des réadaptations qui ont modifié
la structure sociale et les rôles assignés à chacun. A ces phénomènes
naturels se sont ajoutés d’autres à l’échelle humaine comme les
conquêtes coloniales ou culturelles. L’effet conjugué de ces phénomènes,
a profondément modifié la charpente social, économique et politique des
touaregs. Les parcours traditionnels ont été modifiés. Les modes
opératoires de régulation de la société en son sein ont changé, ainsi
que les rapports des touaregs avec leur environnement physique.
Une société ainsi aux abois, perd ses repères. Les hommes vaincus par
l’adversité naturelle et humaine ne peuvent plus sauvegarder des pans
entiers de notre culture. Plus rien ne met la femme touarègue à l’abri
de mutations volontaires ou involontaires. Seule sa force intrinsèque va
la protéger. Les touaregs appauvris, déstabilisés et désorganisés se
rabattent sur les centres urbains tout en gardant des attaches avec
leurs terroirs. Ici commence une vie écartelée dont les rênes vont leur
échapper. Ce sont les migrations forcées vers les villes. »
« Pendant ces migrations, nous étions obligés de piétiner notre
fierté par nécessité. Les femmes sont certainement celles qui vont payer
le tribut le plus fort. Les migrations de la sécheresse sont des
migrations de la faim et de la misère. Elles peuvent entraîner le départ
de tout le groupe à la recherche d’un milieu plus accueillant. Les
troupeaux décimés ou morts sont revendus à vil prix (20.000 F la vache à
contre 150.000 F en temps normal). Femmes et hommes affrontent ensemble
la détresse, l’oisiveté forcée, la désespérance de reconstituer un jour
le troupeau et de reprendre l’ancienne vie. »
Les migrations de travail plus anciennes voire traditionnelles, qui
poussent seulement les hommes vers les villes pour l’approvisionnement
sont modifiées dans leur cycle par la désertification. Ces migrations
représentent une hémorragie drastique pour la société avec de lourdes
incidences sur l’équilibre socioéconomique.
L’influence du modernisme sur la culture traditionnelle :
Si le sort de ceux qui choisissent l’exode n’est guère enviable,
celui de la femme restée seule au village ou campement l’est encore
moins. Dans le pire des cas, la femme peut se retrouver seule et chargée
de l’entretien de la famille dans les camps vidés par les hommes partis
pour une quête incertaine. L’absence du mari est une augmentation de la
dépendance morale, financière et des responsabilités. La femme se sent
abandonnée seule face à la misère, à la désespérance, à la maladie ou à
la mort, à la tristesse, à l’incertitude, à l’angoisse etc.
La survie grâce à l’aide alimentaire, à la mendicité, à la
prostitution, sont le lot quotidien de la femme touareg sevrée de tout
soutien économique et culturel. Voilà le tableau sombre de
l’urbanisation forcée que nous avons subie et le premier contact que les
touaregs ont eu avec la modernité. L’exode massif vers les villes a eu
des conséquences désastreuses sur les destins individuels et collectifs.
Il a entraîné de profondes perturbations sociales qui laisseront de
traces indélébiles à la femme. Ces mutations profondes qui touchent
toutes les sociétés traditionnelles obligeront à des reconversions
difficiles et douloureuses. Ces mutations affectent le tissu social. Les
générations de la sécheresse de 1968 et 1988 en est une parfaite
illustration de générations sacrifiées. Elles ne sont plus porteuses des
attributs essentiels de cette culture millénaire. Par ailleurs les
barrières de classes et de statuts constituant la hiérarchie
traditionnelle restent néanmoins très fortes, mais on a observe de plus
en plus une tendance à l’exogamie qui fragilise la structure de parenté
initiale. Les changements économiques et sociaux ont eu un impact qui a
permis la transgression en milieu urbain des interdits matrimoniaux. Les
femmes qui ont rompu avec la tradition matrilinéaire, en se mariant en
dehors du groupe, se retrouvent une fois divorcées ou veuves
complètement démunies et fragilisées et amenées parfois à la
prostitution. Car rares sont celles qui ont bénéficié d’une scolarité et
d’une formation leur permettant de s’assumer et de survivre dans un
quotidien difficile. L’Islamisation a également influé sur les règles de
parenté strictes, qui ont longtemps permis au Kel Ahaggar (ceux du
hoggar) de maintenir une organisation politique et sociale stable et de
là une domination. L’endogamie théorique du Touaregs noble subit
actuellement des entorses, le système matrilinéaire s’est vue
progressivement désagrégé par l’influence de l’Islam mais aussi par des
nouvelles conjonctures économiques. Les changements économiques et
sociaux ont eu un impact qui a joué sur la nature des nouvelles
alliances matrimoniales. . Les premières personnes fragilisées par une
certaine forme de déstructuration sociale se trouvent être les femmes.
Les femmes étaient propriétaires de la tente, ehen, qui représente
l’abri, ainsi que de l’ebawel, biens inaliénables constitués de
troupeaux et autres biens qui l’accompagnent. Ces éléments fondamentaux
se transmettaient de mère en fille. Les femmes qui ont rompu avec la
tradition matrilinéaire, en se mariant en dehors du groupe, se
retrouvent une fois divorcées ou veuves complètement démunies et
fragilisées. Et rares sont celles qui ont bénéficié d’une scolarité et
d’une formation leur permettant de s’assumer et de survivre dans un
quotidien difficile. La déstructuration de la société traditionnelle
touarègue a amené certaines femmes touarègues de l’Ahaggar souvent
elles-mêmes issues de couples mixtes (touareg-arabe) à préférer la ville
et à s’ouvrir aux autres en prenant comme compagnon et parfois comme
époux un homme en provenance des villes du Nord. Leur liberté agace et
dérange le reste de la population résidente de Tamanrasset. Quelques
rares unions ont eu lieu entre jeunes gens du Nord et jeunes
sahariennes, souvent des militaires prenant comme seconde épouse une
femme touarègue pendant que leur première épouse est restée dans sa
ville d’origine. L’attrait que ces femmes exercent a un rapport avec
leur manière de vivre, leur supposée libération sexuelle. Mais elles
vivent souvent très mal de partager un homme, la polygamie n’existant
pas chez les Touaregs. Des alliances également vivement critiquées et
condamnées par les tenants de l’ancienne aristocratie guerrière,
concernent des femmes Touarègues réfugiées issues de tribus nobles et
libres originaires du Mali et du Niger. Ces femmes se sont retrouvées
seules et abandonnées à Tamanrasset par les hommes qui ont pris le
chemin de la teshumara, de la révolte. Certaines de ces femmes
délaissées moyennant une prestation matrimoniale élevée, ont alors pris
comme époux un akli ou un hartani « affranchi »qui possède un travail,
leur permettant ainsi de survivre dans la dignité sans avoir à mendier,
ou à se prostituer. Cet état de fait a provoqué un tollé et des émeutes
dans certains quartiers de Tamanrasset. Les Ihaggaren voient d’un très
mauvais œil ce genre d’alliance qui rompt avec la hiérarchie
traditionnelle. Ils reprochent aux autres Touaregs qui sont ces ishumers
qui viennent d’autres territoires du Niger et du Mali de bouleverser
l’ordre ancien, d’abandonner leurs femmes aux iklan, aux descendants
d’esclaves, pendant qu’ils courent partout pour des raisons de rébellion
ou de contrebande. Ces ishumers eux même n’ayant pas la stabilité
suffisante de prendre épouse se scandalisent du comportement de ces
jeunes filles comme vont en témoigner par exemple ces chants . Mon Dieu,
mon dieu : les jeunes filles touarègues se déshonorent. Leur
comportement me blesse le cœur.
Quelques conséquences de l’urbanisation forcée et du changement du mode de vie
Du fait de l’exode des hommes, le ratio homme/femme a été bouleversé.
En brousse il y a plus de femmes que d’hommes. Il en est résulté une
grave perturbation des codes et principes directeurs. Les conséquences
de ces déstabilisations diffèrent profondément d’un milieu ou d’une
ethnie à l’autre. Cette diversité traduit le désarroi dans lequel ces
situations sans précédent ont plongé une société qui tente de répondre
au coup sur coup. Les règles du mariage ont changé. La perte des
troupeaux, les récoltes nulles ou insuffisantes, la raréfaction des
produits de cueillettes, l’exode massif ont entraîné la misère des
populations nomades et détruit les circuits traditionnels du commerce et
d’échange.
La sédentarisation forcée conduit la femme touarègue à s’installer
dans un milieu où elle est souvent démunie de tout moyen de subsistance
autonome favorisant son appauvrissement. Si les biens familiaux ont été
vendus pour assurer la survie du groupe, la femme a été aussi dépouillée
de ses biens propres : bétail et bijoux. La perte de bétails
s’accompagne de la perte de revenu propre et de sécurité matérielle en
cas de divorce, plus d’épargne sur pied en cas de besoin d’argent, plus
de viande pour les fêtes ou obligations sociales, plus de lait pour les
enfants ou pour la vente.
Poussée par la nécessité, la femme a dû se soumettre à faire des
travaux auxquels elle ne participe jamais auparavant. Le rôle
socioculturel de la femme s’est trouvé lui aussi par conséquent
appauvri. Sa fonction d’éducatrice, de conseillère, de formatrice est
grevée par l’accomplissement des tâches quotidiennes. La transmission du
savoir à leurs enfants, à leurs filles en particulier, ne peut se faire
comme avant.
Face à ces conséquences, la société a développé par instinct de
survie de nouvelles méthodes d’approche de son développement. En
attendant que ce processus soit pris en compte dans un cadre formel, la
femme touarègue ayant pris conscience de la déperdition culturelle et
sociale consécutive aux phénomènes détaillés en haut, essaie de s’en
sortir. Une nouvelle vague d’espoir voit le jour et encore une fois, ce
sont les femmes qui en sont porteuses. Comme par le passé, elles
puiseront dans leur courage l’énergie nécessaire pour sauver la société
en péril.
La femme touarègue s’étant adaptée au nouveau contexte, inscrit
désormais ses actes et comportements dans la pérennité. Consciente non
seulement des enjeux de la mondialisation, mais aussi de la précarité
des conditions de vie en milieu nomade, elle opte pour des actions de
développement durable dans tous les domaines de la vie. La durabilité du
développement suppose, le respect de la culture locale, la protection
et la valorisation au service des populations autochtones de leurs
ressources naturelles et de leur patrimoine culturel, l’autonomie locale
dans le domaine de la santé, des écoles, de l’alimentation et enfin
l’équité entre tous.
Le rôle d’éducatrice d’antan de la femme se retrouve renforcée
aujourd’hui dans l’incitation des jeunes à la scolarisation. Les
thématiques autour desquelles elle joue un rôle central sont : la
scolarisation de la jeune fille, l’hygiène et l’assainissement,
l’alimentation, l’alphabétisation, la protection des ressources
naturelles la sensibilisation sur les MST et le Sida en particulier. Ces
activités éducatives et formatrice se déroulent dans des cadres
structurés et organisés telles que les ONG pour ce qui du Niger et du
Mali les associations de développement ou même des droits de l’homme (
en Algérie l’axe du développement est la tâche attribuée aux
institutions de l’Etat),.seulement des associations culturelles et de
développement voient le jour et face aux besoins accrues des
populations, il y a tant à faire dans tous ces domaines (santé,
environnement, formation et éducation)
Notre association iman tamedourt (souffle de vie nomade) qui
travaille essentiellement avec des acteurs locaux dans la région de
Tamanrasset s’inscrit justement dans cette perspective de développement
durable
.Dans le domaine économique, la femme touarègue, en plus de son
capital bétail quelque peu reconstitué, s’est investie dans des
activités valorisant les ressources locales et les arts culturaux
génératrices de revenus et de nouveaux liens. C’est le cas de
l’artisanat jadis objet de loisir, aujourd’hui exercé à temps plein. Cet
artisanat a atteint un tel développement dans certaines régions
touarègues qu’il est en ce moment très prisé par la communauté nationale
et internationale et il fait office de « carte de visite » du Niger.
L’artisane touarègue est spécialisée dans tous les métiers du cuir et
autres matières. Elle est réputée dans la confection des objets meublant
la tente, des parures d’apparat des chameliers. Elle continu de créer
de nouveaux motifs , de nouveaux modèles plus adaptés à un autre style
de vie.
Les bijoux eux sont la spécialité des forgerons touaregs, mais des
femmes participent à la création de ces bijoux , s’inspirant des modèles
anciens.
Les femmes touarègues sont également très douées en matières de
médecine traditionnelle et sont détentrices de savoir et savoir faire
dans le domaine de la prescription ou de la préparation de médicaments
traditionnels. A l’heure actuelle, cette forme de médecine
traditionnelle est le premier niveau de recours dans les campements
ainsi que dans les villages et suscite intérêt et espoir des
scientifiques pour certaines recettes avérées très efficaces. Ces
savoirs se perdent malheureusement faute de transmissions des savoirs au
niveau des générations. Alors que la bio médecine est valorisée sans
qu’elle puisse être accessible à l’ensemble de la société, on observe le
danger que court ces femmes à ingurgiter des faux génériques, autres
corticoïdes, des substances chimiques achetés au plus bas prix au noir
pour se soigner ou pire pour prendre du poids ( critère de beauté chez
les femmes touarègues et sahariennes) , c’est ainsi que des maladies
déciment progressivement cette population. Sans parler du danger des
maladies transmissibles telles que le Sida favorisée par l’absence de
prévention, par le manque d’hygiène..etc.
Conclusion
Sans nous étendre davantage sur l’implication de la femme touarègue
dans les domaines social, culturel et économique, Les observateurs issus
de cette société mêmes soulignent un aspect encourageant dans le statut
de la femme touarègue, celui de son combat politique : « A la faveur du
vent de la démocratie qui a soufflé sur ces pays dans la décennie 90,
la femme touarègue soucieuse de préserver son rôle séculaire dans la
gestion des affaires du campement, s’est investie dans la lutte
politique. Aujourd’hui, au Niger par exemple elle participe activement
dans l’animation et la coordination des activités politiques au sein de
partis politiques ou des organisations de la société civile. Ces
prédispositions et son degré d’engagement au sein des différentes
structures la préparent tout naturellement à briguer des postes pour des
mandats électifs ». Cela est loin d’être le cas en Algérie, ou toute
activité politique qui n’entre pas dans le cadre de la politique
nationale hégémonique est suspectée de subversion et ou toute
revendication identitaire portant sur les spécificités culturelles, sur
la culture amazigh ( berbère) porté jusque là surtout au créneau par la
seule frange kabyle prends des proportions politiques autonomistes.
La prise en compte de ces variables chez la femme touarègue commence à
susciter des réactions positives et constructives. La femme touarègue a
un potentiel qu’il faudrait apprendre à exploiter au profit de la
société et de la communauté berbère répartie dans plusieurs pays. Elle a
une prise de conscience des nouvelles données, elle veut savoir ce
qu’il faut faire face à un monde en pleine mutation et se donner les
moyens pour avancer. Elle s’affirme encore comme partenaire et actrice
de développement à part entière. La femme touarègue pourrait être le fer
de lance de ce combat de longue haleine dans tous les domaines si on
prenait en compte la spécificité de la dynamique féminine : » elle est
lucide, présente, résolue, engagée et combattante ». Seulement cela va
dépendre non seulement des moyens qui seront mis à sa disposition, mais
aussi du respect et de la confiance dont elle va bénéficier au sein des
institutions nationales.
Il faut bien prendre conscience que cette marche forcée vers la
modernité, si elle n’est pas maîtrisée entraînera la disparition d’une
civilisation universelle. Des touaregs qui se sont engagés dans le
combat politique pensent que la seule façon de stopper cette descente
aux enfers, est de conférer un minimum de pouvoir politique aux touaregs
et une certaine liberté d’initiative des populations locales. Ce
pouvoir politique leur permettra de décider de l’orientation à donner à
leur vie dans un cadre national. Ils affirment qu’ainsi la femme y
retrouvera assurément ses marques, car le nouveau système que ces
derniers tentent de mettre en place envisage de prendre racine dans le
fondement culturel, et cela dans le cadre de l’autonomie locale.
L’espoir donc résiderait dans le processus de décentralisation en cours
d’application, notamment dans la communalisation, la régionalisation et
dans la coopération décentralisée. Faire en sorte que la tentative
d’uniformisation du monde ne mettent pas en péril des sociétés nomades
proches de la nature et respectueuses de l’environnement, et qui
possèdent un art de vivre que beaucoup ont à envier.
Faiza SEDDIK ARKAMBesançon, 10 octobre 2007
Conférence sur le statut privilégiée de la femme touarègue et son évolution actuelle
Source: Tamoudre.org